Le Nouveau Testament : pluralisme et unité
Il nous faut prendre conscience que nous avons dans
l'unique Nouveau Testament plusieurs manières de parler de Jésus, Fils de Dieu,
Messie et Seigneur, plusieurs manières qui voisinent et qui pourtant sont de
niveau différent, affirmant plus ou moins la divinité de Jésus.
Certaines affirmations parlent de Jésus qui sera
Messie et Seigneur lors de son grand retour, de sa parousie. Certes, Jésus sera
Messie quand il viendra dans sa gloire ; mais la formule serait fausse si l'on
s'arrêtait là, et si l'on prétendait que Jésus deviendra Messie seulement à ce moment-là.
D'autres textes nous parlent de la Résurrection de
Jésus et disent : dès ce moment Jésus, élevé dans la gloire, est Fils de Dieu
et Seigneur. Certes, il l'est à ce moment de la Résurrection, mais on pourrait croire, à tort, qu'il l'est devenu à ce moment.
Le malentendu est levé heureusement par d'autres
passages qui nous prouvent que dès son ministère, Jésus,Fils de Dieu, jouissait
de la puissance de Dieu. Cela est affirmé entre autres par la Voix du Baptême.
Mais là encore, certains ont affirmé que Jésus s'est compris comme Fils de Dieu
égal à Dieu au moment du Baptême. Que ce Baptême ait été pour Jésus un grand
moment spirituel, rien de plus vrai ; mais on pourrait croire que Jésus est devenu Fils de Dieu au moment de son Baptême
.
Cette erreur est prévenue par d'autres passages, qui
montrent que dès sa jeunesse (ex.12 ans) Jésus avait conscience d'être le Fils
de Dieu.
Non seulement Jésus avait cette conscience dès sa
jeunesse, mais les évangiles de l'Enfance nous montent Jésus, Fils de Dieu
depuis sa naissance et même depuis sa conception. Certes, il lui a fallu
attendre la lente maturation de l'enfance pour "avoir les mots pour le
dire". Mais il a toujours eu la certitude ("fontale", dit
Rahner) d'être le Fils de Dieu.
Toujours, c'est-à-dire dès avant l'Incarnation, dans
l'éternité partagée avec le Père. C'est ce qu'affirment d'autres textes, qui nous
parlent non seulement du Christ présent du temps d'Abraham, mais du même Christ
qui a vécu avant le temps, de toute éternité.
Ainsi,
à mesure qu'on s'avance vers la fin du 1er siècle, les formules
concernant Jésus sont de plus en plus complètes et soulignent de plus en plus
sa divinité et ce que cela entraîne. On s'éloigne de plus en plus de l'idée
typique de la foi juive, selon laquelle le Messie est encore à attendre.
La
difficulté, c'est que lisons ces textes côte à côte et que nous sommes tentés
de les mettre sur le même plan. En réalité, ils témoignent d'une découverte
progressive de la véritable personne de Jésus. Les évangélistes ou saint Paul,
qui se font une haute idée de Jésus, mettent parfois, sur les lèvres des hommes
et des femmes, des expressions qui dénotent une connaissance imparfaite du
Maître.
Si l'on se donne pour tâche de comprendre ce que tel
écrivain du Nouveau Testament a dit de Jésus, on peut éventuellement tomber sur
tel ou tel texte qui ne dit pas tout sur Jésus Christ. Il faut alors dire que
tout ne tient pas dans cette formule, qui sera complétée par d'autres, plus
complètes ou plus explicites.
Si l'on se donne pour tâche de faire la théologie de
Jésus, alors il faut prendre le tout du Nouveau Testament, car la vérité est dans
le tout. On a alors, de tous les problèmes, une approche plurielle qui respecte
à tout moment le mystère de Jésus, vrai Dieu et vrai homme.
La vérité de toute formule du NT est paradoxale. Elle
reste indéfiniment ouverte à un complément, qui lui viendra, soit du NT, soit
des Conciles, soit du développement que l'Esprit donnera à l'Eglise. Nous
n'aurons la vérité totale que lors du retour en gloire de Jésus. D'ici là,
toute vérité demeure, non pas mouvante, mais ouverte.
Le Magistère de l'Église, au service de cette vérité,
engrange de temps à autre (Conciles) les points de non-retour déjà acquis, tout
en laissant la vérité ouverte sur un complément que peut-être l'Esprit
apportera. Tel est le sens des déclarations du Magistère.
Ceci est un essai de dire les choses dans le langage de
tous les jours. Les théologiens y retrouveront le problème de la multiplicité
des christologies au sein de l'unique NT.
Christologie du retour (parousie), christologie de la
résurrection, christologie du ministère, christologie de la jeunesse,
christologie de la naissance et de la conception, christologie de la
préexistence, soit du temps d'Abraham, soit avant la création.