'Cachée en Dieu avec le Christ"

1R 19,4-15 Col 3,1-4 Le 1,26-38

Profession solennelle  

 

 

Ma Sœur,

L'engagement solennel que vous allez prendre apparaît comme un signe d'espérance, non seulement pour votre communauté, mais pour tout le diocèse qui vient d'être privé si brusquement de son pasteur. Monseigneur votre évêque se faisait une joie de nous rassembler tous au Carmel; ensemble nous le rejoignons là où il est maintenant, dans la joie de son Maître, et cette certitude de la fidélité du Seigneur nous aide à dépasser notre peine pour prendre pleinement part à votre allégresse, en ce jour du don total.

Sur l'appel de Jésus, vous avez choisi de vivre l'Evangile sur la route toujours montante du Carmel. Déjà vous en connaissez la beauté et la richesse, et vous nous les donnez à entendre à travers les trois textes que vous avez retenus pour cette liturgie de la parole.

Pour que nous puissions tous, en Église, communier à votre bonheur, je voudrais méditer un instant avec vous

-  le mystère de l'obéissance, à partir de la figure du prophète Élie,

-  la grandeur de la chasteté à la lumière de la lettre de Paul aux Colossiens,

-  la pauvreté de cœur de la Vierge Marie accueillant le message de Gabriel.

Pour Élie, le prophète du IXe siècle que Dieu a préparé longuement dans le silence au torrent de Kerit, tout a commencé par une série de succès. Jusqu'à la cour du roi il s'est fait le champion du vrai Dieu; il a stoppé en Israël la contagion du culte des Baals, il a restauré au mont Carmel l'unité des douze tribus, et il a évincé les faux prophètes, vendus au pouvoir royal.

Brusquement, tout change. Élie prend peur, parce qu'une reine fanatique le menace de mort, et il s'enfuit dans le désert, découragé, amer, déprimé: "Maintenant, Seigneur, c'en est trop! Reprends ma vie!" Il s'endort, il se réveille, se rendort, puis finit par se lever, pour boire et manger la nourriture préparée par le messager du Seigneur ; et il marche jusqu'à l'Horeb, la montagne de Dieu. Il refait donc, à rebours, le chemin de l'Exode, pour retrouver le lieu où Dieu a parlé à Moïse.

Au moment ou il pressent le passage de Dieu dans le murmure d'une brise ténue, Élie sort de la grotte, le visage voilé par son manteau, et il entend, venant de Dieu, cette question étrange: "Que fais-tu ici, Élie? Va, retourne par le même chemin, vers le désert de Damas. Tu iras oindre le roi de Damas et le roi d'Israël".

Ainsi Dieu a soutenu sur la route Élie pèlerin, mais il conteste sa fuite, sa peur, l'abandon de son poste, et il le renvoie au cœur des événements politiques. Obéir à Dieu, rester fidèles au premier appel, cela nous conduit, nous aussi, au torrent de Kerit, là où Dieu veut se manifester à nous dans le silence et dans l'austérité joyeuse, mais cela nous amène également à assumer, pour la gloire de Dieu et le salut du monde, des moments d'échec, d'incertitude ou d'insécurité. Élie a connu la faiblesse, et il n'en est que plus grand. Tous les chercheurs de Dieu qui marchent sur ses traces habitent le désert à longueur de vie et le retraversent sans cesse dans les deux sens: des remous du monde vers le silence de l'Horeb, et du silence en Dieu vers le cœur de l'histoire. C'est aussi le double mouvement de la prière contemplative: elle se détache du monde pour aimer Dieu l'Unique, mais elle assume, en Dieu, le monde que Dieu aime.

La volonté qui vous habite, ma Sœur, de vivre à plein ce double amour de Dieu et de vos frères et sœurs en humanité rend raison de l'engagement que vous allez prendre d'une chasteté joyeuse dans le célibat.

Le Christ vous a montré l'exemple. Parce qu'il venait rassembler dans l'unité de son Corps les hommes et les femmes de tous les lieux et de tous les temps, il a voulu que son cœur d'homme ne se referme sur personne. C'est pourquoi le Nouveau Testament ne lui connaît pas d'autre épouse que son Église sainte. Il a vécu totalement fils et totalement frère, Fils unique et frère universel, et c'est cette double ouverture du cœur humain que réalise le célibat consacré. Toutes les énergies du corps et du cœur sont mises en œuvre pour le Royaume et référés au Christ, aimé en tous et par-dessus tous. Désormais le Christ, choisi sans partage, est présent à un titre particulier en toute relation, et c'est à lui que sont rapportés fidèlement toute amitié, tout souvenir et toute solitude.

C'est une manière spécifique et intense de vivre l'attitude que Paul suggérait à tous les baptisés: "Recherchez les choses d'en-haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu" (Col 3,1). Mais ce regard sur la gloire du Fils renforce encore votre attention à tous ceux qu'il vous confie sur terre. Loin d'amoindrir ou de resserrer la vie affective, le célibat consacré ouvre sur de nouveaux modes de sympathie, d'accueil et de compassion. Il témoigne, au cœur du monde, de la liberté de Jésus et de la tendresse de Dieu.

Parce que vous avez entendu, ma Sœur, l'appel de Jésus à cette consécration de tout votre être, vous allez, à sa suite, vivre totalement fille de Dieu et totalement sœur. Vous connaîtrez un grand bonheur, car Dieu tient toujours ses promesses, et vous serez en ce monde un relais de sa joie.

Une femme vous a précédée sur cette route du don total, celle qui a mis fin au long avent de l'humanité lorsque le Fils de Dieu a pris chair de sa chair. Une femme de chez nous, si pauvre d'elle-même que Dieu a pu déployer en elle toute la nouveauté de son amour.

Quand le messager des grandes œuvres divines lui a dit: "Tu as trouvé grâce auprès de Dieu", elle a reconnu là le projet de vie de sa jeunesse fervente, l'aventure d'espérance qui ensoleillait chaque jour sa vie à Nazareth. Quand elle a compris qu'il s'agissait de mettre au monde le Messie, son humilité lui a permis de ne pas rester écrasée par sa mission et de donner à Dieu une réponse à la fois adulte et pleinement soumise: "Comment cela se fera-t-il? Voici la servante du Seigneur". Pour elle, le discernement de la volonté de Dieu prenait place dans un oui déjà donné pour toujours.

Quand elle a dit ce oui à l'avenir, elle n'avait pas d'autre assurance que la parole du messager de Dieu: "La puissance du Très-Haut fera ombre sur toi". Vous aussi, ma Sœur, que la parole de Dieu a mise en route, tout en cheminant vous serez prise avec bonheur dans cette ombre, car l'Esprit Saint protège la vie qu'il suscite, et il cache souvent les merveilles qu'il fait dans un cœur. Plus votre vie sera féconde, plus elle sera "cachée en Dieu avec le Christ" (Col 3,3), et votre joie rayonnante de fille de Dieu, tout comme celle de la Vierge Marie, portera la marque de la pauvreté du cœur.

Ainsi, ma sœur, au cœur de l'Église du nouveau millénaire et au service du diocèse où vous avez grandi, votre vie de carmélite va vous identifier au Christ Jésus,

heureux dans son obéissance,

libre dans son amour,

humble et pauvre de cœur.

Sûre de son amitié, vous allez dire solennellement: "Je promets", pour la joie de Dieu et le salut de vos frères. L'Église est là réunie, pour Dieu et pour vous. Jamais vous n'avez été aussi entourée: votre famille, avec toute son affection, vos amis de toujours, tous ces jeunes, tous ces laïcs engagés au service de l'Évangile, tous ces prêtres amis du monastère, et puis aussi, invisibles, tous ceux que vous portez dans votre prière, tous, pour ce grand moment, vous confient au Christ Seigneur.

Il est votre espérance; il sera votre gloire.

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