L'appel de Lévi
Lc 5,27-32
² Le
fisc était omniprésent dans l'empire romain au premier
siècle. À côté des grands percepteurs romains (publicanï) et de leurs
employés (portitores), on
comptait beaucoup de petits péagers, chargés de prélever
des taxes sur les marchandises et sur les esclaves, dans les grandes villes ou
les ports, aux postes frontières ou au passage des ponts.
En Judée et en Samarie le produit
des taxes était versé aux caisses de l'occupant romain, tandis
qu'en Galilée tous les percepteurs, dont Lévi à
Capharnaüm, travaillaient au compte du roi Hérode Antipas. Mais
partout les agents du fisc avaient très mauvaise presse, car ils
pouvaient outrepasser impunément les barèmes; et il fallait de
l'audace à Jésus pour s'affranchir de la méfiance
habituelle.
² "II
vit un péager assis à son bureau", dit l'Évangile.
Mais le verbe employé (éthéasato)
ne renvoie pas à un voir ordinaire. Il s'agit d'un regard insistant, qui
remarque, observe et interroge, celui dont il est question quand Jésus
demande: "Qu'êtes-vous allés voir au désert" (Lc
7,24); et c'est le même verbe que saint Luc emploie de nouveau au sujet
des femmes de Galilée, après l'ensevelissement de Jésus: "Elles
regardèrent [attentivement] le tombeau et comment son corps avait
été placé" (23,55).
I1 faut croire que ce regard de
Jésus a frappé et touché Lévi, car nous le voyons
se lever aussitôt et se mettre à le suivre. Or cette
décision de suivre l'homme de Nazareth impliquait non seulement un accord
avec ses idées, mais un cheminement de tous les jours et le partage
d'une vie désinstallée.
² "Lévi
abandonne tout", précise l'Évangile. Nous ne savons pas ce
qu'il a fait de sa fortune, mais son premier geste a été d'offrir
un grand repas, non pas à des pauvres (Lc 12,33 ; 14,33), mais à
ses amis publicains, tous des riches ! Merveilleuse liberté de
Jésus, qui se laisse inviter parmi des gens peu fréquentables !
C'est d'ailleurs cette ouverture de
cœur à tous les hommes, sans distinction ni exclusion, qui suscite
immédiatement l'indignation des Pharisiens. Dans le désert les
Israélites murmuraient contre Dieu parce qu'ils n'avaient plus qu'une
nourriture de voyageurs; les Pharisiens murmurent parce que le grand repas est
offert à des pécheurs, parce que Jésus se compromet
à leur table et y entraîne ses partisans. Ceux-ci, notons-le, pour
la première fois sont appelés ici "disciples" par saint
Luc, au moment même où ils se retrouvent mêlés aux
pécheurs pour rendre témoignage à la miséricorde de
Jésus Messie.
² Tous,
publicains et disciples, sont les malades d'un unique médecin; ils
partagent, le temps d'un repas, la même admiration pour Jésus, la
même joie de son amitié, la même fierté de lui faire
confiance pour le diagnostic et la guérison.
Et c'est bien ce que Jésus
souligne dans cette phrase si forte qui nous est transmise par les trois
synoptiques: "Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des
pécheurs". Non pas, comment on traduit trop souvent: "Je ne
suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs", comme si les
pécheurs étaient appelés et pas les justes, ce qui
n'aurait aucun sens dans le projet de Dieu, qui est projet de vie. Mais bien :
"Je suis venu appeler non pas des justes, mais des pécheurs".
Autrement dit : "J'appelle tous les hommes, et tous ces hommes sont
pécheurs et non pas justes. Je les appelle tous à la conversion,
à la métanoia".
Dans quelques instants, frères et
sœurs, le Christ ressuscité va nous rejoindre à la table de
son Eucharistie, et chacun de nous lui redira avec confiance: "Seigneur,
je ne suis pas digne de te recevoir, Seigneur, je ne compte pas parmi les
justes; mais dis seulement une parole, toi le Messie médecin, et ton
serviteur, ta servante, sera guéri(e).