Les responsables de la mort de Jésus

 

sur la base du commentaire de R.E. Brown

 

Position du problème

 

Un point reste hors de conteste : Jésus de Nazareth a été condamné par un préfet romain à être crucifié pour le motif politique qu'il a prétendu être le "roi des juifs".

Mais un problème demeure : quel rôle a joué le Sanhédrin (ou les autorités juives) dans les derniers événements qui ont amené la crucifixion de Jésus ?

 

À cela s'ajoute un problème secondaire : la responsabilité de cette crucifixion incombe-t-elle à toute la nation juive de cette époque et même à toutes les générations juives subséquentes ?

On doit reconnaître que cette idée pourrait s'autoriser dans une certaine mesure :

- de généralisations sur les Juifs que l'on trouve parfois dans le Nouveau Testament (encore que Jean valorise toujours Israël en tant que peuple, et Moïse) ;

- de passages comme Mt 27,25 … que son sang retombe

                                Jn 7,19    pourquoi voulez-vous me tuer ?

                                Jn 8,44    vous avez pour père le diable

         1 Th 2,14-16 …ces gens-là ont mis à mort le Seigneur Jésus et les prophètes, ils ne plaisent pas à Dieu, ils sont ennemis de tous les hommes quand ils nous empêchent de prêcher aux païens pour leur salut.

À vrai dire, dans ces textes, l'hostilité venait d'une polémique Synagogue/Église ; mais souvent, si les chrétiens ont espéré éveiller un sentiment de culpabilité chez les Juifs, c'était pour amorcer une conversion.

En fin de compte, ce ne serait pas une solution que de couper les passages difficiles, ou de dire que les auteurs du NT n'ont pas pensé ce qu'ils disaient. La solution est de lire les textes dans le contexte de l'époque, et de toute façon, c'est plus un problème théologique qu'historique, et cela ne doit pas nous freiner dans notre enquête.

 

 

Quatre positions principales

 

Position 1 : c'est la thèse qui fut longtemps classique : les autorités juives sont les grandes responsables de l'arrestation, du procès et de la condamnation de Jésus.

. Les responsables ont comploté contre Jésus, puisqu'ils récusaient ses prétentions messianiques.

. Le Sanhédrin l'a jugé pour blasphème et l'a condamné.

. Cependant, soit parce que les Romains seuls pouvaient exécuter les criminels, soit parce que les autorités juives voulaient faire endosser aux Romains la responsabilité, le Sanhédrin livra Jésus à Pilate pour un grief politique et firent chanter Pilate pour obtenir la condamnation. Certains disent même que Pilate ne fit que ratifier la sentence de mort prononcée par les Juifs.

. Dans cette optique (1) les Romains ne furent guère que des exécutants.

 

Position 2 : (autre forme, modifiée de la position 1) : les autorités juives sont profondément impliquées dans l'affaire, car elles tenaient à éliminer Jésus pour des motifs religieux ; pourtant elles n'ont prononcé aucune sentence contre Jésus, et les principales formalités légales ont été accomplies par les Romains.

Cette thèse, actuellement, a la faveur de beaucoup de chercheurs chrétiens.

 

Position 3 : les Romains sont les grands responsables et pour des motifs politiques. Ils connaissaient Jésus comme un agitateur potentiel et s'arrangèrent pour avoir la collaboration juive. Les Juifs ont trempé dans l'affaire, mais comme instruments plus ou moins volontaires des Romains. Beaucoup de chercheurs juifs pensent que seuls quelques membres du Sanhédrin furent impliqués dans l'arrestation et l'enquête (les partisans du grand prêtre on les leaders sadducéens).

 

Position 4 : les Romains ont agi seuls. Les autorités juives n'ont été mêlées en rien à l'affaire, même pas comme instruments des Romains. Toutes les allusions du NT aux autorités juives ou au Sanhédrin représentent une falsification de l'histoire.

 

En bref, on pourrait schématiser ainsi les quatre thèses :

 

 

 

Les raisons que l'on a de rejeter la position 4

 

(responsabilité romaine et donc aucune culpabilité juive)

 

1.    Certes, cette position 4 est une réaction contre des siècles de persécution anti-juives, souvent présentées comme des revanches contre la responsabilité supposée des Juifs dans la crucifixion ; mais scientifiquement ce n'est pas soutenable.

 

2.     C'est une théorie relativement moderne, car les sources juives les plus anciennes reconnaissent franchement la responsabilité juive dans la mort de Jésus : Baraitha du Talmud Babli (Sanh.43a), Testimonium Flavianum ou Josèphe (Ant.XVIII, III, 3). Ni dans l'apologétique juive contre les chrétiens (reflétée dans Tryphon, ou le "Contre Celse" d'Origène), ni dans les diverses versions des légendes juives anti-chrétiennes "Toledoth Jesu" on ne remarque la moindre tendance à reporter sur les seuls Romains la responsabilité de la mort de Jésus.

 

3.     De plus les sources chrétiennes permettent de remonter jusqu'aux années 40 pour les premières affirmations écrites de la responsabilité juive. Il est exact que les Évangiles tendent à amplifier cette responsabilité juive ; mais on ne peut dire qu'ils l'inventent, car cette affirmation apparaît avant l'époque des évangiles écrits :

-  les prédictions de la Passion, que l'on peut lire en Mc 8,31; 9,31; 10,33s, sont vraisemblablement pré-Mc, et, pour la majeure partie, d'origine palestinienne ; or ces prédictions impliquent déjà la responsabilité juive.

-  le récit source de Mc semble avoir inclus une présentation de Jésus au Sanhédrin ou au grand prêtre.

- pour beaucoup d'exégètes, les discours de Pierre dans les Actes contiennent des matériaux très anciens. Or ces discours attribuent eux aussi aux autorités juives une responsabilité dans la mort de Jésus (Act 3,14s; 4,10; 5,30; cf. 13,27s).

- dans 1 Th, le premier écrit chrétien conservé, Paul parle des Juifs "qui ont tué le Seigneur Jésus" (2,14-15). C'est un passage polémique, donc il est possible que Paul généralise et exagère, mais on ne peut raisonnablement supposer que, connaissant fort bien la Palestine des années 30, il invente ici complètement.

           

Concluons, au sujet de cette thèse n°4 : tout rejeter, unilatéralement, sur les Romains, ce serait oublier que le thème de la culpabilité juive remonte très loin dans l'histoire.

 

 

À l'inverse, on a aussi des raisons d'écarter aussi la position 1

 

(responsabilité presque totalement juive, les Juifs haïssant Jésus pour des motifs religieux,

et conséquemment disculpation des Romains).

 

A.   Posons-nous d'abord une question : y a-t-il eu, en fait, une tendance à excuser ou même à disculper les Romains, ce qui avait pour conséquence de charger davantage les Juifs ?

 

1.   C'était l'intérêt de l'Église chrétienne, qui cherchait à être tolérée dans l'empire, d'éviter tout blâme aux Romains, et donc de noircir plutôt les autorités juives. Même au temps des persécutions (cf. Apocalypse), donc au moment où l'Église ne pouvait plus espérer la tolérance, elle devait éviter que l'on considère le Maître comme un révolutionnaire, et donc ne pas insister sur une répression romaine contre Jésus et ses partisans.

 

2.   La tendance à disculper Pilate a été croissant tout au long du NT :

- Mc 15,6-15 : Pilate essaie de faire relâcher Jésus, mais sa répugnance à faire condamner Jésus ne passe guère dans les faits.

- Mt 27,19.24-25 : Réticence plus marquée de Pilate ; non seulement sa femme intervient, mais il se lave les mains.

- Lc 23,4.14.22 : Par trois fois Pilate déclare qu'il ne trouve rien de coupable en cet homme. Il envoie Jésus à Hérode, tentant d'éviter de prononcer lui-même la sentence. Il offre même aux leaders juifs un compromis : le fouet plutôt que la mort (23,16.22).

- Jn 18,28 – 19,16 : Pilate est résolu à gracier Jésus. Et de fait, dans son esprit la flagellation est une tentative pour apitoyer les Juifs. Il est vraiment impressionné par le calme de Jésus et paraît craindre d'avoir affaire à un personnage divin (19,7-8).

 

3.   Le même processus de disculpation de Pilate s'est poursuivi jusqu'au temps d'Eusèbe (Hist.ecc.vers 320).

- Évangile de Pierre, 2 : c'est Hérode, et non Pilate, qui prononce la sentence.

- Vieille syriaque : la Passion selon Mt est récrite pour souligner que les Juifs seuls ont maltraité et crucifié Jésus.

- Didascalie des Apôtres, V,19: 4 (Syrie, IIIe s.) : Pilate ne consent pas aux mauvais desseins des Juifs.

- Tertullien (Apologeticum XXI, 24; PL 1:403) présente Pilate comme chrétien de cœur  ; et une légende plus tardive parle de sa conversion.

- Hagiographies copte et éthiopienne : Pilate et sa femme Procla sont fêtés comme saints le 25 juin.

 

4.   Si cette tendance à blanchir Pilate apparaît constante et progressante de 60 jusqu'à Eusèbe, il était vraisemblable qu'elle était déjà à l'œuvre dans la période pré-évangélique.

 

Conclusion : les Romains, souvent ménagés, sont peut-être plus responsables qu'il n'y paraît à une première lecture des Évangiles, ce qui équivaudrait à diminuer la responsabilité des Juifs.

 

B.   Si les Romains sont en réalité coupables, les autorités juives le sont-elles moins ?

 

D'après Mc et Mt, un procès en règle a été mené par le Sanhédrin : des témoins ont été cités et une sentence de mort a été portée. La condamnation est plus nette en Mc 14,64 qu'en Mt 26,66, mais tous deux, Mc et Mt, parlent nettement d'une condamnation par les chefs des prêtres et les scribes dans la troisième prédiction de la Passion (Mc 10,33; Mt 20,18), ce qui signifie que l'idée d'une condamnation à mort par les Juifs était connue de la communauté palestinienne pré-marcienne, et ce qui suggère également qu'il faut éliminer l'exégèse bienveillante selon laquelle le Sanhédrin aurait seulement "émis l'opinion" que Jésus méritait la mort.

 

Il est vrai que des auteurs de tendances très diverses ont contesté plus ou moins le tableau Mc ou pré-Mc d'un procès en règle et d'une sentence énoncée. Trois raisons ont été avancées :

- on doute qu'un procès en règle ait fait partie de la source de Mc, et certains parlent d'une exagération de la tradition marcienne ;

- Lc et Jn semblent accréditer, chacun de son côté, une version des événements qui n'implique ni jugement en règle ni sentence portée par les Juifs.

- certains événements rapportés par Mc et Mt ont de quoi étonner : la double session du Sanhédrin la nuit et le matin (ici deux récits différents de la même scène ont été probablement fusionnés), et l'on doute par ailleurs du caractère légal de la procédure (voir excursus).

 

En résumé : la responsabilité des seules autorités juives (thèse 1) ne peut être retenue, parce   les Romains ont trempé dans l'affaire, même si indéniablement certains ont cherché à disculper Pilate.

 

 

 

Une fois écartées les positions extrêmes 1 et 4, restent les thèses 2 et 3 :

- soit responsabilité juive, mais exécution avec l'aide des Romains (2),

- soit responsabilité romaine avec collaboration juive (3).

 

Selon Brown, le rôle des autorités juives dans la nuit ou au matin avant la mort de Jésus (soit que Hanne ait agi seul, soit que tout le Sanhédrin soit en cause) doit se comprendre en termes d'enquête préliminaire. Le Sanhédrin joue le rôle d'un "grand jury" américain ; il a le pouvoir  d'interroger quiconque a été arrêté, d'entendre la déposition des témoins, et alors de déterminer si les preuves sont suffisantes pour envoyer le prévenu devant le préfet romain.

 

Note sur la procédure juive suivie lors du procès de Jésus

 

Beaucoup d'historiens juifs soulignent l'irrégularité de la procédure du Sanhédrin, en se basant sur le code criminel que l'on trouve dans la Mishnah (Sanh.), qui date du siècle après la mort de Jésus, mais contient des matériaux anciens.

 

On relève jusqu'à 27 infractions. Par exemple : une séance de nuit du Sanhédrin, soit à la fête de la Pâque (chronologie synoptique), soit à la veille de la Pâque (chronologie johannique), aurait été entachée de deux irrégularités : heure trop tardive, proximité de la fête. Selon la Mishnah, pour une peine de mort deux sessions étaient requises, et aucune des deux ne devait avoir lieu un jour ou une veille de fête.

 

Mais on ne sait pas avec exactitude si ces lois de la période mishnaïque étaient déjà applicables au temps de Jésus.

 

Certains pensent que les lois n'étaient pas déjà applicables. Voici leurs arguments :

1.   La mishnah codifie la tradition pharisienne, or au temps de Jésus le Sanhédrin était dominé par les Sadducéens.

2.   Les lois au 1er siècle étaient différentes, pour les procès, des lois postérieures, car au 1er siècle le Sanhédrin n'était pas seulement une instance judiciaire, mais aussi un corps législatif et exécutif.

3.   De toute façon, même si les lois du futur code mishnique étaient déjà en vigueur au 1er siècle, le jugement de Jésus a pu être conduit comme le relatent les Évangiles, car l'AT lui-même permettait de traiter même en temps de fêtes des affaires criminelles vraiment sérieuses.

 

Disons qu'on sait trop peu de choses sur les usages du Sanhédrin au temps de Jésus pour infirmer les récits de Mc et de Mt. Simplement l'existence de deux sessions si rapprochées, dont l'une de nuit, pose problème.

 

Le Sanhédrin avait-il compétence pour punir de mort ?

L'hypothèse paraît historiquement fragile. Jn 18,31 peut avoir raison.

 

Pouvait-il y avoir un jugement juif et un romain ?

De bons connaisseurs de la jurisprudence de Rome dans les provinces pensent qu'il n'y aurait là rien d'extraordinaire.

 

Comment choisir entre les positions 2 et 3 ?

 

Elles diffèrent :

- sur le degré de participation juive :       2 : les Juifs ont l'initiative,

                                                           3 : les Romains essayent d'obtenir la collaboration juive ;

- sur les motifs invoqués :          2 : religieux,

                                               3 : politiques.

 

 

A.   Étudions d'abord les motivations de Pilate

 

 

1.   Les sources non chrétiennes (juives et romaines) ne sont pas tendres pour lui.

 

2.   Il y avait collusion entre Caïphe et les Romains. En effet Caïphe a tenu la charge de 18 à 37 : le plus long pontificat depuis l'accession d'Hérode le Grand jusqu'à la chute de Jérusalem (environ 100 ans), et dix de ces années avec Ponce Pilate comme procurateur. Ce qui suppose qu'ils ont su … travailler ensemble ! D'ailleurs, dès que Pilate a été révoqué, Caïphe a été déposé également …

 

3.   La durée du mandat de Pilate a été marquée par des flambées de nationalisme juif ; Pilate avait donc toutes raisons d'être sensible aux prétentions d'un "roi des Juifs".

 

4.   Selon Josèphe (Ant.Jud. XVII, X,8) la Judée foisonnait de guerilleros (lèstai). N'importe qui pouvait se proclamer roi à la tête d'une bande de rebelles, et amener des représailles sur toute la nation.

 

5.   Jésus était galiléen, et Pilate avait eu des troubles avec les Galiléens (Lc 13,1).

 

6.  Les prophéties apocalyptiques de Jésus contenaient des références à des guerres imminentes.

 

7.   Parmi les disciples il y avait un zélote (=révolutionnaire), Lc 6,15.

 

8.   L'entrée de Jésus à Jérusalem avant la Pâque avait fait sensation ; beaucoup de gens l'avaient acclamé roi.

 

9.   À l'approche de la Pâque, Jésus était une source possible de troubles dans la cité surpeuplée, qui avait connu récemment une insurrection et où les prisons étaient remplies de lèstai (bandits, guerilleros, Mc 15,7; Lc 23,19).

 

10.  Certains partisans de Jésus portaient des armes en cas de troubles (Lc 22,38; Mt 26,51; Jn 18,10).

 

Même si ces détails n'ont pas tous la même valeur historique, quelques-uns suffiraient à expliquer pourquoi Pilate ne voulait pas prendre de risques, et pourquoi il pouvait faire pression sur les Juifs pour arrêter Jésus avant la fête.

Cela ne signifie pas que Pilate avait l'intention de crucifier Jésus ; il voulait seulement avoir des informations sur les intentions et les prétentions de Jésus, afin de l'écarter de la route durant une période explosive ("internement préventif").

 

 

B.     Les motivations juives (mélange de motivations politiques et religieuses)

 

 

1.   Jn 11,47-53 donne la description d'une séance du Sanhédrin qui contient plus d'un élément intéressant pour comprendre les motivations des chefs juifs. Le Sanhédrin craint le prestige de Jésus sur les masses ; un mouvement lancé par lui pourrait amener une réaction romaine non seulement locale, contre le temple de Jérusalem, mais au niveau du pays tout entier.

      On peut supposer que ce motif a effectivement joué dans la décision de collaborer avec les Romains pour l'arrestation de Jésus.

 

2.   Selon beaucoup d'auteurs chrétiens, tous les responsables juifs étaient conscients que Jésus n'était pas vraiment un révolutionnaire en puissance, et que leur grief politique n'était qu'un rideau de fumée pour marquer leur antipathie religieuse contre Jésus.

      Mais la situation n'est pas si simple. Act 5,33-39 présente Gamaliel, l'un des leaders du Sanhédrin, comme un honnête homme au jugement droit, cherchant la volonté de Dieu. Or ce même Gamaliel croit possible que le mouvement chrétien soit un mouvement révolutionnaire analogue à ceux de Theudas et de Judas le Galiléen. Ce discours des Actes, même s'il n'est pas nécessairement historique, peut refléter correctement les doutes que beaucoup avaient au sujet de Jésus.

 

3.   En tout cas, aux ordres des Romains et peut-être avec l'aide de troupes romaines, les chefs des prêtres du Sanhédrin peuvent fort bien avoir arrêté Jésus dans un endroit solitaire de peur qu'il ne provoque un soulèvement dans les foules rassemblées à Jérusalem. 

 

4.   Apparemment la troupe envoyée pour l'arrestation était bien armée et craignait des troubles. En fait un seul des partisans de Jésus s'est défendu.

 

5.   Jésus s'aperçut qu'on l'arrêtait comme révolutionnaire, et il protesta : rien dans son comportement n'autorisait à le traiter ainsi comme un bandit de guérilla (lèstès, Mc 14,48).

 

6.   On ne peut dire dans quelle mesure exactement l'interrogatoire (ou les interrogatoires) par les Juifs,  sont historiques, mais ils consistent tous en questions religieuses qui ont des harmoniques politiques, cherchant à sonder la position révolutionnaire ou non de Jésus.

- Jn 18,19 : la question de Hanne insinue peut-être que Jésus est subversif.

- Mc 14,58 et Mt 26,61 : détruire le temple eût été un acte révolutionnaire. Que la question ait été  ou non posée lors de l'interrogatoire, c'est un fait que Jésus avait parlé dans ce sens.

- les 3 synoptiques : le grand prêtre demande à Jésus s'il est le Messie (= le roi davidique, le libérateur).

       Là encore, souvent les auteurs chrétiens supposent que les autorités juives comprenaient que Jésus parlait au figuré de la destruction du temple et prônait un messianisme non politique ; mais cela est assez improbable, car, d'après les données du Nouveau Testament, même les disciples de Jésus ont mis bien du temps à comprendre les paroles de Jésus dans un sens figuré.

   Donc en livrant aux Romains Jésus comme le prétendu "roi des Juifs", les autorités juives, ou au moins certains de ces hommes, ont pu penser sincèrement que Jésus et son mouvement étaient politiquement dangereux.

 

 

C.    Le jugement d'ensemble doit rester nuancé : même si Romains et Juifs ont pu se rencontrer sur des griefs politiques, il faut se garder de trop simplifier et de nier les motifs religieux dans la condamnation de Jésus.

 

         Bien des contemporains de Jésus n'ont pas vu en lui un révolutionnaire politique.

 

- entre les lignes de l'Évangile, nous lisons la déception de beaucoup devant sa prédication du Royaume, et cela justement parce qu'elle ne cadrait pas avec les espérances politiques. Ses réticences à accepter le titre de Messie (Mc 8,29-31), à se laisser acclamer comme roi (Jn 6,15), montrent bien que l'idée qu'il se faisait de son rôle ne coïncidait pas avec les visées d'un messianisme politique dans le sens habituel.

 

- les Évangiles affirment nettement que ceux qui ont interprété Jésus avant tout en termes politiques se sont trompés.

 

- on peut donc affirmer l'existence d'un motif politique dans l'action intentée contre Jésus, mais pas au point de penser que Jésus venait à Jérusalem pour un "coup d'état" messianique contre l'aristocratie sacerdotale.

 

         Autre simplification à éviter : il ne faut pas exclure toute motivation religieuse chez les chefs juifs qui ont livré Jésus aux Romains.

 

- si l'on reprend l'histoire d'Israël, de Moïse à nos jours, la destinée de la nation, dans l'esprit des Israélites ou des Juifs, n'a jamais été une question purement politique.

 

- si une réaction romaine devait menacer à la fois le temple, le sacerdoce et la cité, le danger représenté par Jésus était religieux autant que politique.

 

- il semble clair que Jésus, en certaines occasions, en paroles ou en actes (parfois les deux), a réagi à la manière des prophètes contre le temple ou contre les abus dans le temple. Cette réaction de Jésus était tout aussi religieuse que celle de Jérémie ou celle du prophète Uriah (Jer 26,6.11.20-23). Rappelons-nous que vers 150 av. J.C l'opposition du Maître de Justice (Qumran) au temple de Jérusalem et au sacerdoce de la capitale amena le grand prêtre à chercher sa mort lors d'une fête (1Q p.Hab IX, 4-5; XI, 4-7). Donc les prêtres ont pu vouloir se débarrasser de Jésus à la fois à cause de leur crainte de Rome et parce que Jésus avait attaqué ce qui était sacré à leurs yeux.

 

 - La question de Jésus comme Messie avait aussi de fortes connotations religieuses.

  Même dans le cas où la question ne serait pas venue, historiquement, au cours du procès, elle avait été certainement soulevée durant le ministère de Jésus et était connue des autorités (elles savaient au moins que ses partisans le déclaraient Messie).

  Certains objectent que la prétention d'être le messie ne déclenchait pas automatiquement l'antagonisme religieux des autorités juives. Par exemple beaucoup de soi-disant messies, au 1er siècle, ne furent pas condamnés par le Sanhédrin, et Simon bar Kochba, qui se disait messie, reçut l'appui religieux des plus hautes autorités religieuses juives.

  À cela on peut répondre : - que ces soi-disant messies se présentaient comme nationalistes, - que leur succès aurait amené l'indépendance politique du Sanhédrin, avec la glorification de Jérusalem et du temple, - tandis qu'un Messie qui en même temps menaçait de renverser le temple pouvait fort bien, au contraire, mobiliser contre lui une opposition religieuse.

 

- Certains pensent que le grief religieux principal ne visait pas Jésus-Messie , mais Jésus-faux prophète. Points d'appui de cette thèse : Mc 14,65 et peut-être l'interrogatoire par Hanne ; comparer Jn 7,15-19 et Dt 18,20.

 

- Bien des actions de Jésus durant son ministère ont eu des implications religieuses, et ceux qui l'ont interrogé devaient le savoir :

. l'opposition aux Pharisiens (certaine historiquement) n'a pas été oubliée par ceux des scribes qui faisaient partie du Sanhédrin.

. l'attitude de Jésus par rapport à la richesse et son appel aux classes les plus pauvres ont dû inquiéter l'aristocratie possédante, dont faisaient partie certains anciens du Sanhédrin.

. le blasphème : on ne peut être certain que l'accusation de blasphème ait été lancée contre Jésus durant le procès, mais elle apparaît de manière indépendante dans les diverses traditions évangéliques. Quelle que soit la formulation exacte du blasphème, la réalité historique remonte au ministère de Jésus. Sa prédication du Royaume, l'autorité avec laquelle il prêchait et agissait, ont dû choquer les tenants de la religion traditionnelle (Pharisiens, Sadducéens). Ils ont vu en lui quelqu'un qui attaquait les privilèges de Dieu, et donc l'unicité de Dieu.

 

Conclusion : Nier les motivations religieuses dans la condamnation de Jésus, c'est aller contre tout ce que nous savons de la longue histoire du conflit entre les prophètes et les autorités.

 

 

En définitive, que retenir ?

 

Le Sanhédrin, en tout ou en partie, comme toutes les assemblées religieuses de l'histoire, a dû rassembler des gens bien différents :

-          des politiciens "ecclésiastiques",

-          des hommes religieux au zèle fanatique,

-          des hommes pieux, prêts à la justice et à la pitié

(Nicodème, Gamaliel, Joseph d'Arimathie).

           

En livrant Jésus aux Romains comme un révolutionnaire en puissance, avec des prétentions à la royauté :          

-      les uns sans doute ont agi par égoïsme et sans scrupule de conscience, pour protéger leur intérêt avec le statu quo ;

-      d'autres ont agi également pour des motifs politiques, mais pas pour des motifs égoïstes : depuis longtemps ils avaient identifié leur intérêt avec ce qui était le mieux, des points de vue temporel et spirituel, pour la nation ;

                        -     d'autres encore ont agi seulement pour des motifs religieux, redoutant cet homme qui s'en prenait au temple et aux coutumes sacrées.

 

 

 

 

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