Spiritualité de la prieure
Je voudrais m'adresser à la carmélite, à celle qui a fait profession de
chercher son Dieu, selon ce que l'Église nous faisait demander hier matin
" que notre esprit resplendisse à tes yeux du désir de te trouver".
Au-delà de toute préparation et de toute réflexion, il reste que celle
qui, aujourd'hui, est prieure, demeure une humble fille de Dieu, qui écoute
chaque jour la voix qui lui dit :"viens vers le Père", et qui doit
pouvoir vivre sa vocation d'abord en remplissant évangéliquement son rôle, sans
timidité et sans faiblesse, puis dans le silence où elle rentrera, pour servir
et aimer le même Seigneur.
L'Esprit de Jésus crée en elle l'unité, malgré les tiraillements de sa
charge, et c'est à ce niveau de la personne que je voudrais me situer, sans
rien nier des difficultés et des pauvretés inhérentes à la charge, mais en
remettant ttt dans l'axe, essentiel, de la réponse à Dieu.
Le Christ
Une manière d'appartenir au Christ, d'être à 100% son épouse, de gérer son bien à Lui, de vouloir qu'Il grandisse.
Sans pouvoir rien mesurer ni faire aucun bilan.
Une
manière de vivre le mystère pascal et l'Eucharistie du Seigneur (2x
"faites ceci en mémoire de moi", sur la pain et pour le lavement des
pieds).
Il
n'y a pas d'interruption dans la vie de la carmélite ; son ou ses priorats sont
une manière de vivre le Carmel et de tout donner jour après jour.
Le
priorat réserve ses nuits et ses solitudes. On est souvent seule à chercher et
à décider, et on ne peut faire porter toute l'insécurité du discernement ou de
l'avenir aux pauvres de Yahweh.. Ni même toujours aux conseillères. Vivre toute
solitude comme un appel du Christ Sauveur.
Vouloir
le vrai bien de toutes, au-delà de toute réputation ou facilitation.
Equilibre
difficile à trouver entre imposer et ce que peut porter une sœur.
C'est
au Christ qu'elle s'en remet pour tout, spécialement lorsqu'elle découvre en
elle telle source de faiblesse, tel attachement qui la fait chanceler dans sa
chasteté, tel mensonge avec le personnage qu'elle affiche, telle pauvreté
d'engagement contemplatif, tel trait de caractère avec lequel elle est tentée
de pactiser.
Le
priorat reste pour elle un chemin de conversion, tout comme sera le retour à la
vie ordinaire.
La
référence à Jésus et au Père peut seule offrir une paix durable ; et
spécialement dans sa vie affective, tout le soin d'une contemplative doit être
de garder toujours le Christ en tiers dans toute relation. Se redire sans cesse
que l'on est aimée, que Dieu n'a pour nous que des pensées de paix et d'amour.
Se chercher en Dieu et rien qu'en Dieu.
Le
Christ sera pour elle Celui qui comprend, qui pardonne et prend pitié, sans
faire de reproche, et heureux devant toute conversion.
Elle
devra se rappeler souvent, pour garder ou retrouver la paix, qu'elle n'est pas
chargée de réussir, mais de faire jusqu'au bout le travail du Seigneur. C'est
parfois la seule certitude qu'elle aura, face à mille facilités qui lui seront
offertes.
Gagner
les bonnes grâces de l'une peut cacher une tentation. L'une de ses croix sera
d'avoir à rester la prieure de toutes, alors même que certaines ne cesseront
pas de lui poser question.
Quant
une maladie est vraiment avérée chez une sœur, cela peut être une charité
authentique et forte que de prendre ce qu'elle dit ou fait comme venant de sa
maladie plutôt que d'une volonté de mal faire ou de faire mal.
La
prieure reçoit une participation réelle à la tâche du Pasteur ; pour Lui, et à
son niveau, elle doit connaître, elle apprend à connaître chaque brebis selon
son histoire. Peu à peu le Berger fait d'elle une adulte, capable d'assumer
sans trop d'angoisses la destinée parfois chaotique, ou incompréhensible
logiquement, de chacune. Elle a à porter, sans les majorer, mais sans non plus
se les cacher, les impréparations ou les réflexes maladifs de l'un ou de
l'autre, en sachant qu'elle ne peut pas tout, mais aussi qu'elle ne peut
laisser telle ou telle malade prendre de l'ascendant sur la communauté de Jésus
. Souvent le mieux, ou le moins mal, que l'on puisse, c'est que les sœurs en
difficulté sente que la communauté va son chemin, quoi qu'il en soit de leurs
éclats ou de leurs pressions.
Il Lui faut faire provision de bonté, et seul un mimétisme par rapport au Père lui fera, dans chaque cas, trouver le ton juste et la parole adaptée.
Arrivé ici, je voudrais redire la confiance que je garde dans la fidélité carmélitaine des prieures. Je voudrais redire, pour être juste, ma compréhension devant tout l'imprévu qui les agresse, face auquel l'équilibre est parfois difficile, voire impossible à trouver. Et pourtant, quoi qu'il en soit des excuses ô combien légitimes, il me semble devoir dire :quelle que soit la presse, la prieure doit passer devant pour la prière et la liturgie ; c'est souvent par là qu'elle gagnera la confiance des sœurs et qu'elle pourra se situer comme carmélite parmi les carmélites
Les sœurs dans l'ensemble sont bonnes, et prêtes à comprendre beaucoup de choses, à excuser et à pardonner, mais elles doivent pouvoir compter sur l'exemple de la prieure. Il y a là, bien sûr, matière à sacrifices, mais ces sacrifices-là achètent directement quelque chose.
La
parole
La parole de la prieure est parfois attendue même par les sœurs les plus rétives. On est surpris parfois des trésors de fidélité qui se dévoilent à la faveur d'un dépassement qui est suggéré.
On
sentira tout de suite si la parole de la prieure est adossée à la parole de
Dieu et transmet les appels de cette Parole.
Si
la prieure reste vulnérable à la parole de Dieu, cela se sentira à sa propre
parole.
C'est
souvent la parole de Dieu qui sera la seule richesse de la prieure, et son
recours quand tout appui humain fera défaut.
La
manière dont une prieure quitte la charge dit souvent la manière dont elle l'a
vécue, comme un service ou comme un pouvoir.
La
tentation peut lui venir, en fin de mandat, par lassitude ou par dépit de
débrayer prématurément. Toute tentative de faire sentir aux sœurs que … est souvent une manière de se regarder
soi-même, en quittant la main du Christ.
Il
ne faut pas s'étonner : même dans les meilleurs cas il est difficile de quitter
une charge, car on a vite pris des habitudes de liberté, et par ailleurs
parfois du jour au lendemain on n'existe plus pour personne, hormis Dieu, qui
ne change pas.
Prieure
une fois, prieure toujours. On emportera dans le silence tout le poids des
confidences qui ont été faites, des porte-à-faux avoués, du mystère de chaque
vie. Souvent seule la sœur pourra revenir sur tel ou tel secret confié.
L'Eucharistie
reste la grande affaire de sa journée comme de sa vie. Toute son action, comme
toutes ses impossibilités, sont référées au grand sacrifice enveloppant, celui
du Christ rendu chaque jour présent et appelant, par l'Église.
Il
est bon que la prieure s'interroge sur la manière dont elle vit le sacrement de
réconciliation, manière routinière ou trop épisodique, pour que le Seigneur et
les sœurs la trouvent toujours en état de conversion. Elle ne peut entraîner la
communauté que si elle y croit elle-même de toute son âme.