"À la louange de sa gloire"

                                                                                                                               Lc 1,26-38

                                                                                                                               Ep 1,3-14

Pour la profession de deux frères

 

Frères très chers dans le Seigneur,

 

le voilà venu, le moment, attendu dans l'espérance et la paix, où vous allez vous donner au Christ Sauveur en vous engageant à votre tour sur la Montée du Carmel.

Entourés de votre famille, dont chaque membre est si présent à votre cœur, de vos frères et sœurs qui, eux aussi, aujourd’hui vous donnent à Dieu, en présence de tant d'amis, témoins de votre amour du Christ et de ses pauvres, portés par la prière des frères et des sœurs du Carmel, vous allez vous mettre, librement, au service du Royaume, comme permanents de la prière, au cœur de l'Eglise de Jésus. Et puisque nous vivons cette liturgie de consécration sous le signe de l'Annonce faite à Marie, c'est sous son regard, et à la lumière de sa vie, que je voudrais méditer avec vous, admirer avec vous , le "dessein bienveillant de Dieu"

       qui vous a élus,

       qui vous a fait grâce,

       et qui a mis le comble à sa grâce en vous introduisant dans le mystère de sa volonté.

 

²    Dieu vous a choisis.

Dans sa tendresse de Père, il a réalisé pour vous, à l'heure favorable, au jour du salut, un dessein plus vieux que le monde, le rêve qu'Il fait pour chacun de ses enfants. Il vous a donné de ratifier consciemment votre adoption, de commencer à vivre libres dans sa maison, sûrs d'être aimés depuis toujours et pour tou­jours. Il vous a lui-même mis au cœur le désir fou de vivre en sa présence saints et sans tache.

Par quels chemins son appel est-il venu jusqu'à vous? Quels exemples, quelles rencontres, quels guides ont été pour vous des relais décisifs? Quels moments de lumière ont jalonné votre quête de Dieu? C'est vous qui le savez, et c'est pour vous aujourd’hui source d'action de grâces. Une chose est sûre, c'est que cet appel du Seigneur s'est fait pour vous de plus en plus précis, jusqu'à vous proposer une route étroite, une route de pauvre, le sentier de la prière où notre seule œuvre consiste à aimer.

C'est ainsi que vous vous êtes retrouvés à Nazareth où la Mère de Jésus vous attendait, elle, la toute sainte, la première choisie, la première "bénie des bénédictions de l'Esprit", elle, la Servante aux mains ouvertes, elle que Dieu a comblée de sa faveur: "le Seigneur est avec toi!"

 

 

²    Dieu vous a élus: en son Fils Il vous a fait grâce.

Tout au long de cette marche au désert qu'a été votre noviciat, à mesure que tombaient vos illusions et que se clarifiait l'image de vous-mêmes, vous avez mieux perçu en vous l'œuvre de la miséricorde.

Vous savez quelles impasses Jésus vous a évitées, de quelles craintes ou de quelles résistances son amour a triomphé en vous. Votre histoire personnelle est une histoire de salut, et désormais c'est avec gravité et allégresse que vous pouvez redire avec saint Paul: "Il m'a aimé et s'est livré pour moi!"

Les pardons de Jésus ont dégagé peu à peu en vous la route des Béatitudes et l'espace d'une vraie liberté. Recréés à l'image du Christ, à une profondeur qui dépasse toute connaissance et tout sentiment, vous vous avancez aujourd’hui vers Lui, heureux de votre pauvreté, pour qu'Il vous revête de lui-même et restaure en vous la nouveauté de votre baptême.

Votre seul appui, c'est votre confiance en Celui qui vous sauve. Votre seule sécurité, c'est le regard du Père "qui se souvient de son amour"; et pour retrouver la paix et l'espérance quand la montée vous semblera rude, il vous suffira d'entendre de nouveau cette parole de l'Ange que Marie a gardée toute sa vie dans son cœur: "Sois sans crainte; tu as trouvé grâce auprès de Dieu". 

 

 

²    Dieu vous a élus, Dieu vous a fait grâce; Dieu, pour vous, a fait surabonder sa grâce.

En quoi consiste cette surabondance? Saint Paul le précise aux chrétiens d'Ephèse: "Dieu vous a ouverts à toute sagesse et intelligence; il vous a fait connaître le mystère de sa volonté, - c'est-à-dire le plan d'amour, longtemps voilé, et maintenant dévoilé dans le Christ -, le dessein grandiose, que Dieu a d'avance arrêté en lui-même, de rassembler toutes choses sous un seul chef, le Christ".

Nous le savons par le témoignage de nos saints du Carmel: plus on entre par l'adoration dans l'intimité de Dieu, et plus on vibre à ce dessein universel. Mais aussi: plus on œuvre, ici et maintenant, au service du Royaume par le combat de la prière, par les fidélités quotidiennes et par l'engagement dans la vie fra­ter­nelle, et plus on sent le besoin vital de retrouver l'horizon universel du dessein de Dieu. Au Carmel, tout spé­cialement au Carmel, parce que notre œuvre première est de demeurer en présence de Dieu qui seul sauve le monde, il nous faut vivre l'universel dans le quotidien, mais un quotidien vigoureux et authentique, car le quotidien nous incruste et nous aliène quand il n'est plus vécu sur l'horizon de l'universel ni référé à l'urgence du Règne.

Ce qu'implique, jour après jour, cette authenticité carmélitaine, vous l'avez déjà pressenti, ou déjà expé­ri­menté: c'est d'abord l'engagement de toute notre personne, avec douceur et fermeté, dans l'aventure théo­logale, par le chemin de l'oraison, au nom de l'Église tout entière orante, au nom de tous les hommes qui n'ont pas d'espérance. C'est aussi, et inséparablement, la part que nous prenons à l'annonce de l'Évangile et à la sanctification du peuple de Dieu, soit par notre témoignage communautaire de prière et d'unité, soit par nos tâches proprement apostoliques de prédication ou d'animation, soit par l'offrande cachée de notre labeur ou de nos impuissances.

Mais l'authenticité de notre vie réclame encore de nous, et réclamera de plus en plus, la volonté d'être solidaires de nos frères à la vie et à la mort. Et de ce point de vue votre engagement d'aujourd’hui nous enga­ge tous, pour l'avenir que Dieu fera avec nous, "à la louange de sa gloire".

 

Quel sera, dans votre âge mûr, le visage du Carmel? Quelles seront, dans l'avenir, les formes concrètes de notre fidélité? Nul ne peut le prévoir avec certitude à notre époque où bien des structures visibles de l'Église sainte subissent des à-coups qui nous font parfois nous tourner vers le Seigneur avec des mains sup­pliantes.

Comme la Vierge Marie devant le mystère inclus dans son appel, il vous arrive sans doute de vous demander: "Comment cela se fera-t-il?" La réponse, l'unique réponse, est celle-là même que Marie a reçue, juste avant de prononcer le oui de tout son être: "l'Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut fera ombre sur toi!". L'Esprit, qui est promesse de Dieu, vous fera vivre votre promesse; l'Esprit, qui déjà vous "a marqués de son sceau" lors de votre baptême et vous a confirmés comme témoins de Jésus, vous ramènera sans cesse "à la parole de vérité, à l'Évangile qui vous sauve". Il fera sourdre en vous la parole de Jésus, comme une eau vive, et la route s'éclairera de la lumière que vous aurez au cœur .

 

Mais cela, c'est l'avenir, noyé d'avance dans la miséricorde du Père. Pour l'heure, frères, pour ce moment de grâce que vous avez à vivre, sous le regard de Marie la Servante, que votre seul souci soit d'entrer dans la bénédiction de Dieu, et de vous donner sans retour, avec un cœur de pauvre,

 

                                           "à la louange de sa gloire".

 

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