Les renards ont des tanières
Mt 8,18-22
La parole de Jésus a ceci d'étrange que l'on n'est
jamais quitte envers elle. Nous ne pouvons pas l'enfermer, même dans l'écrin de
notre cœur. Nous ne pouvons pas la refermer, en disant: "J'ai lu; j'ai
compris". Et même lorsqu'une parole de Jésus nous a déjà remués et
convertis, nous la retrouvons toute neuve, d'année en année, de liturgie en
liturgie, comme un regard qui guette notre regard.
Ainsi en va-t-il des deux paroles d'aujourd'hui, qui
jusqu'au bout nous remettront en exode.
² "Maître, je te suivrai, où que tu
ailles!"
Cela,
nous l'avons dit, dès la première rencontre, dès le premier désert où Jésus
nous a parlé au cœur , (littéralement: sur le cœur).
"Je te suivrai", dit l'homme; et Jésus ne
dit pas non; Jésus ne le décourage pas. D'ailleurs, à d'autres il dit lui-même :
"Viens; suis-moi!"
"Je te suivrai où que tu ailles".
C'est cette ambition qui a fait réagir Jésus, car le suivre partout, le suivre
jusqu'au bout, ce sera mener une existence errante, plus vagabonde, plus
insécurisée que la vie des bêtes sauvages, qui ont encore nid et tanière! Et
cet exode nous attend spécialement dans la vie fraternelle.
Certes, on pourrait calquer le quotidien d'une communauté sur le mode
de vie des lapins de garenne: quinze sœurs, quinze terriers ! Mais l'expérience
nous le montre très vite: au monastère il ne peut être question de nous creuser
une tanière pour y goûter à volonté une fausse solitude ou pour échapper de
temps à autre au coude à coude et à l'aventure communautaires.
Jamais non plus nous ne pourrons réclamer un nid,
parce que nous n'avons pas d'autre amour à abriter que notre attachement au
Seigneur, et la vie fraternelle se construit, non pas dans la facilité ni dans
une chaleur artificielle, mais dans un dialogue courageux qui réclame chaque
jour une sortie de soi-même.
² Nous sommes donc prévenus: "le
Fils de l'Homme n'a pas où reposer sa tête"; il n'y aura pas d'oreiller
non plus pour ceux qui veulent le suivre, et nous n'aurons pas de repos avant
le grand repos de Dieu . Mais quelle joie, quel honneur d'user ses forces pour
un tel maître!
Quand nous pensons à notre effort de vie évangélique
et de prière, nous pensons désert. Le désert, c'est bien; mais l'exode
au désert, voilà qui nous rapproche du destin de Jésus. Pour rester en exode,
il faut que notre cellule, habitée par le silence, et surtout l'espace de notre
cœur, soient la tente du désert où nous venons chaque jour rencontrer le
Seigneur pour une nouvelle étape de vie d'Église et pour de nouveaux pas dans
la vie fraternelle.
Car les deux sont
liées intimement, et notre vie fraternelle authentifie nos désirs missionnaires.
En plein monde comme au cloître, elle est la première manière, concrète et
quotidienne, de servir le royaume et d'entrer dans l'œuvre de Dieu.
Il est une demande que le Christ exauce toujours,
celle d'une communauté de pauvres qui lui redit, avec la témérité d'un amour
sincère et réaliste: "Seigneur, nous te suivrons, ensemble, où que tu
ailles".