Mt 23,13-22
Ces trois mises
en garde de
Jésus rendent un son inhabituel. C'est que
l'enjeu est
grave et que
Jésus, dans
ces controverses de Matthieu 23, est confronté
à des hommes
qui se posent
en guides de leurs frères sur
la route du
salut.
² Le premier avertissement vise l'hypocrisie
des scribes et des Pharisiens, c'est-à-dire des intellectuels et de ceux
qui agissent sur l'opinion
de la classe moyenne. Une
hypocrisie qui se double d'un
abus de pouvoir ; en effet,
tout en tournant
le dos,
pour eux-mêmes, à l'aventure de la foi, il
la rendent impossible pour les autres qui, loyalement,
cherchent Dieu. Ils s'interposent de toute leur masse
entre Dieu et les hommes ; il barrent
la porte du Royaume ou la route
de la conversion communautaire. Ils n'en finissent de se donner
à Dieu, mais
ne cessent de donner des
leçons aux hommes, et
si on les
laissait faire, leur échec
deviendrait l'échec de tous,
le naufrage de leur foi
engloutirait la foi des autres.
² Après le drame et
parfois le mensonge de ceux
qui ont stérilisé toute leur espérance, voici maintenant une autre hypocrisie, une autre
comédie que dénonce Jésus
: le zèle mal orienté,
l'apostolat au seul bénéfice de l'apôtre :"Vous parcourez mers et continents
pour gagner un seul prosélyte, et quand il
l'est devenu, vous le
rendez digne de la géhenne, deux fois
plus que vous
!"
Un homme se convertit, il est
gagné !...
Mais gagné pour qui ? Pour
le Christ sauveur, libérateur,
pacificateur ? ou pour le propagandiste
qui l'a pris en main, et qui
va exercer sur lui sa
volonté de puissance ? L'homme s'est converti
au Christ, mais que lui
propose-t-on comme modèle
? Le Christ, vraiment le
Christ, l'Homme-Dieu, Sauveur
de tous les
hommes, ou
bien le Christ
déjà récupéré par une idéologie, déjà minimisé
par le doute
ou l'ironie ? L'homme
s'est mis en
route vers le Christ,
mais qui sera
son héros,
le Christ, Jésus de Nazareth, où le
témoin du Christ
qui se taille lui-même son salaire, et qui
prend dans la vie ou
dans le cœur du converti ou de son compagnon une place qui n'appartient qu'à Jésus ?
² Pour sa troisième mise
en garde,
Jésus se fait
nettement plus sévère : "Guides
aveugles … insensés et aveugles"... Et sa pensée
est pour nous
un peu plus
difficile à saisir, parce
que Jésus dénonce
des serments qui ne sont
plus guère en usage dans
notre monde. De son
temps on jurait volontiers par le sanctuaire, par l'autel, par
le ciel,
etc.... Toutes
choses qui, de près ou
de loin, avaient trait
à Dieu et à son culte. On jurait ainsi pour donner du
poids à une
affirmation, mais aussi et surtout
pour donner force juridique à un témoignage
et donc pour
emporter la décision du juge
en matière importante.
Regardons bien ce
que critique Jésus : dans
d'autres contextes, il dénonce
l'abus des
serments ; ici il reproche
aux Pharisiens de fausser
la hiérarchie des valeurs, d'inverser
les véritables priorités, de
faire plus de cas des
dorures que du sanctuaire, des
offrandes que de l'autel, mais
surtout de
prendre pour critères des choses
matérielles, des détails secondaires, alors que
la référence ultime devrait être Dieu qui habite
les choses,
qui les valorise, ou qui
les agrée.
² Voilà bien des dangers
qui nous guettent, personnellement et communautairement : tourner le dos aux véritables
priorités spirituelles, s'enliser
dans les choses
en négligeant Celui qui leur
donne du prix, "ne jurer"
que par son
propre senti sans plus se
référer à l'œuvre
commune, à
la gloire de Dieu et au
salut du monde.
Que Jésus nous garde
de toutes ces
dérives de l'intelligence et du
cœur, par la
force et la
douceur de son Esprit
; et qu'il nous retrouve chaque matin les
mains ouvertes, à l'écoute de ses
Béatitudes.