Soixante-dix fois sept fois

Mt 18,21-35

 

 

 

 

"Combien de fois devrai-je pardonner ?"

 

²  Du temps de Jésus les rabbins répondaient :"Une fois, deux fois, trois fois, oui ; mais pas la quatrième". Pierre, généreux, est prêt à aller jusqu'à sept fois ; mais Jésus, pour couper court à tout calcul, invente pour ses disciples la parabole du serviteur gracié et impitoyable.

 

            Tous les traits sont volontairement forcés :

- D'abord les deux sommes apparaissent disproportionnées; dix-mille talents, près de quatre cent millions de francs-or, c'est une somme énorme, comme seuls pouvaient en manier des gouverneurs de royaumes ou de provinces ; c'est la dette impossible à payer. En face, une somme modique : cent deniers, l'équivalent de deux ou trois mois de salaire pour un journalier agricole.

- Surprenante est aussi la bonté du roi : son financier ne demandait qu'un moratoire, le temps de combler le trou par une bonne gestion ; le roi, d'un coup, lui remet toute sa dette.

- En contraste avec cette magnanimité du roi, la dureté du serviteur n'est que plus révoltante et sordide : en sortant du palais, il prend à la gorge son compagnon.

 

²  Jésus prend bien soin de situer cette scène dans un pays étranger. En effet, le droit d'Israël ignorait la prison pour dette, la torture du débiteur, et encore plus la vente de la femme et des enfants pour éteindre la dette. Aucune allusion politique précise ne vient donc détourner l'attention des disciples, et chacun reçoit de plein fouet la question du roi dans la parabole :"Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j'avais eu pitié de toi ?"

            Et nous entendons aujourd'hui le Christ Sauveur dire à chacun de nous :"Toi qui si souvent as été pardonné, que fais-tu du pardon dans ta vie quotidienne ?"

 

²  Toute notre vie se déroule sous le regard et le pardon de Dieu. Notre baptême déjà nous a plongés dans sa miséricorde. Puis Dieu notre Père a pardonné les fredaines de notre enfance, les faux-pas et les impatiences de notre jeunesse. Il pardonne encore, sans se lasser,  les chutes plus lourdes de l'adulte, quand les tentations ou les leurres du midi de la vie viennent ravager les cœurs, les foyers, les familles et les communautés, laissant le croyant ou la croyante désemparés devant le gâchis de leur existence. Il pardonne, enfin, au soir de la vie, tous les réflexes de repli ou d'amertume, tous les manques de confiance, toutes les compromissions avec la tristesse.

 

²  En réponse à cette miséricorde, qui nous ouvre chaque jour au meilleur de nous-mêmes, Jésus attend de nous, non pas un pardon, ni quatre ni sept, mais quatre-cent quatre-vingt-dix pardons, autrement dit le pardon au quotidien, le pardon sans calcul ni limite. Chaque jour, envers tel ou tel membre de notre famille ou de notre entourage, il nous faut reprendre le sentier étroit du pardon.

            L'autre se regarde, sans nous voir, il vit sans se soucier de nous faire vivre, il suit son idée, son projet, ses goûts, et il nous écrase en passant ou nous met à son service. Jésus nous dit :"Pardonne. Comprends et pardonne !" L'autre a déçu nos espoirs, ignoré notre dévouement, trompé notre confiance ; il a blessé notre honneur, notre loyauté, notre amour. Jésus nous dit :" Pardonne. Pardonne et reprends la route !"

            Et nous, très souvent, de nous révolter :"Seigneur, il ne mérite pas mon pardon !" C'est vrai ; mais nous-mêmes, avons-nous jamais mérité la bonté de Dieu ? Souvent l'envie nous prend de saisir l'autre au collet :"Rends-moi ce que tu me dois ! Rends-moi ce que j'ai fait pour toi ! Rends-moi cette vie que je t'ai donnée, cette fidélité que je t'ai gardée !"

 

²  Mais Jésus nous demande de desserrer les mains, d'ouvrir de nouveau notre cœur, de laisser tomber toute aigreur et toute colère. Jésus nous appelle à nous retourner humblement vers Dieu qui nous supporte, vers Dieu qui nous laisse vivre, vers Dieu qui nous fait vivre parce qu'il nous aime :" Sois patient envers moi, Seigneur, et je te rembourserai tout".


            En fait nous ne rembourserons rien du tout.

            Car on ne rembourse pas Dieu,

            et il n'a que faire de nos comptes.

 

 

 

 

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