Le filet rempli de poissons
Mt 13,47-50
² Pour les Galiléens, le retour des barques de pêcheurs
au petit matin était un spectacle familier, et Jésus s'en est inspiré pour la
parabole d'aujourd'hui .
Tant que le filet traîne dans l'eau
et que la pêche se poursuit, on ne peut discerner le contenu de ce filet. C'est
sur le rivage que l'on peut apprécier la pêche, c'est sur le rivage que l'on a
de bonnes surprises ou que l'on perd ses illusions.
² De même il y aura un tri à la fin des temps, et personne
ne saurait y échapper. On trouvera, pêle-mêle, dans le grand filet de
l'histoire, du "beau" et du
"moins beau", des justes et des mauvais. Et ce ne sera plus le temps
des demi-mesures : quand le filet est tiré sur la grève, on n'a plus le temps
de se demander si le demi-avarié est encore à moitié comestible : il n'y a de
paniers que pour le poisson mangeable, le reste n'est pas intéressant ; on le
rejette à l'eau sans se poser de questions.
² Quant à nous, nous nous en posons une, et Jésus désire
que nous nous la posions : irai-je dans le panier ? ou serai-je rejeté à la mer
? irai-je du côté des pleurs, ou du côté de la joie ? Question redoutable, si importante
et si radicale qu'elle pourrait parfois induire de véritables malaises dans la
vie spirituelle.
Et ici, il y a deux écueils à éviter
:
- le premier serait d'éluder la
question, en se disant :"Elle ne me concerne pas. Un bon chrétien ira forcément
dans le panier, dans le panier des justes".
- l'autre écueil serait de céder à
la peur, la peur de soi et la peur de Dieu.
D'un
côté la suffisance de l'insouciance, de l'autre toutes les formes du désespoir.
Or l'Évangile ne veut ni l'un ni l'autre. L'attitude que Jésus attend de nous
et qu'il veut nous inculquer par sa parabole, c'est une sorte de réalisme de la
foi, à base d'humilité et de confiance.
Humilité, car la force pour être
fidèle ne viendra pas de nous ;
confiance, parce que rien ni
personne ne nous arrachera jamais de la main du Père ni de la main de Jésus, et
parce que Dieu veut notre bonheur plus encore que nous ne le voulons
nous-mêmes.
Humilité, car les consacrés eux
aussi doivent manger chaque jour à la table des pécheurs ;
confiance, parce que Jésus nous a
aimés et s'est livré pour nous : "Il n'y a plus de condamnation pour ceux
qui sont dans le Christ Jésus "(Rm 8,1)
Humilité, car l'argile vivante que
nous sommes peut toujours trahir la main du Potier,
confiance, car le Potier peut
toujours repétrir en objet d'art l'argile qui l'a déçu.
Elles
sont si fortes, elles sont si douces, les mains de Dieu, si habiles et si
précises ! Ce sont des mains d'artiste, ce sont des mains de Père, qui à la
fois redressent et libèrent, à la fois remodèlent et guérissent. Saint Irénée les
a nommées : les mains du Père sont pour nous le Verbe et l'Esprit.
² De la parabole de Jésus nous pouvons tirer une autre
leçon, qui va, elle aussi, dans le sens du réalisme de la foi : si nous voulons aborder sereinement le grand tri
de la fin des temps, le moment de vérité à la fin de notre vie, le plus sûr et
le plus apaisant est d'anticiper nous-mêmes le triage, d'opérer nous-mêmes,
chaque jour, le discernement de ce que nous voulons vivre ou privilégier. C'est
la grâce que Salomon demandait à Dieu dans sa prière : recevoir de lui un
"cœur écoutant", capable d'entendre Dieu et de discerner sa volonté.
Dans le filet de notre cœur, nous
ramassons tant de choses, et parfois n'importe quoi ; du dévouement, de la
simplicité, de la tendresse, mais aussi des désirs qui nous encombrent, des
amertumes qui nous rongent, des agressivités qui s'entassent dans notre mémoire
et nous rendent malheureux ou désagréables.
C'est chaque jour, en pleine mer, en
pleine vie, qu'il nous faut faire le choix, sous le regard de Dieu, avec le
nouveau regard que Jésus nous donne, afin de ramener au port uniquement ce qui
nous fera vivre, nous et ceux que Dieu nous donne à aimer.
² Que nous soyons jeunes, dans la force de l'âge, ou
déjà entamés par la fatigue, l'heure est venue pour nous - et elle vient chaque jour - de rejoindre
vraiment notre liberté d'enfants de Dieu, de dire joyeusement et courageusement
les oui et les non qui s'imposent, de choisir déjà le bonheur, comme Dieu nous
l'offre, comme Jésus nous le montre.
Choisir
la vie, c'est cela qui rend heureux.