Mt 18,10-14
Chaque évangéliste a sa manière personnelle
de proposer les paraboles de Jésus.
Ainsi, là
où saint Luc parle de brebis perdue, et applique l'image à tous les
hommes, Matthieu
décrit une brebis égarée que Jésus vient sauver, et
il enchâsse la parabole entre
deux rappels des "petits", c'est-à-dire, concrètement, pour saint Matthieu, les plus humbles
et les plus
délaissés de chaque communauté chrétienne.
²
On
pourrait dire : brebis perdue/
brebis égarée, où est la
différence ? Effectivement la différence apparaît peu dans notre langue, mais
dans le Nouveau
Testament l'égarement a toujours trait
à la foi.
"Que personne ne vous égare", disait Jésus (Mt 24,4). De même saint
Paul avertissait Timothée :" Les hommes
mauvais et imposteurs vont progresser dans le mal, égarant les
autres, égarés
eux-mêmes ! Mais toi,
demeure ferme dans ce que
tu as appris et accepté comme certain" (2 Ti 3,13). Et l'on retrouve
chez Jean, chef de communauté, la même
mise en garde :"Petits-enfants, que personne
ne vous égare (1 Jo 3,7; cf. 2,26) !" Ceux qui
égarent les chrétiens sont clairement désignés : ce sont - d'une part
les faux prophètes (Mt 24,11.24; Ap 19,20), les hommes mauvais et imposteurs, - d'autre part le Satan,
"qui égare la terre entière" (Ap 12,9). Mais l'on peut s'égarer soi-même si l'on se
prétend sans péché (1 Jo 1,8).
Ainsi, dans la parabole telle que la propose
Matthieu, ce sont les petits
de la communauté chrétienne, les
gens sans défense, qui sont
menacés dans leur foi par
les slogans des faux prophètes. Et cela,
Dieu ne le
supporte pas. Sur ce
point Jésus est formel :"Votre Père qui
est aux cieux
veut qu'aucun de ces petits ne
se perde"; et ces réflexes
du Père,
Jésus les fait
siens.
La parabole de Matthieu complète donc celle de
Luc : non seulement Jésus-Berger est
venu chercher ceux qui étaient
perdus, mais
il prend fait
et cause pour
tout ceux que l'on méprise dans
les groupes humains, tous
les "petits" que l'on égare
sans scrupule.
² Dans la parabole
selon Matthieu, la brebis égarée est beaucoup moins révoltée que victime, et
la joie du
berger met surtout en lumière
l'immense pitié
qui habite le cœur du Christ comme celui du
Père. Quel
recours auraient les "petits", les "humainement faibles", si Dieu
ne les prenait
en charge
? Quel espoir de salut auraient-ils, si
le Christ ne
s'était pas fait homme pour
mieux se faire
reconnaître comme Berger ?
L'essentiel
de la parabole est cette révélation
de Dieu,
de ses réflexes
et de ses
méthodes, qui
sont aussi ceux de Jésus.
Quant à nous, nous perdrions
sûrement notre temps si nous nous demandions
quelle brebis nous sommes, brebis
de Luc ou brebis de Matthieu,
brebis qui se retrouve loin de Dieu parce
qu'elle n'en fait qu'à sa
tête, ou
brebis incapable de se défendre et qui
est ballottée à tout vent
de doctrine ou au gré
des impressions spirituelles fugitives et
contradictoires. Il est probable que nous
sommes un peu les deux, un
peu perdus et un peu
égarés.
Ce qui importe, c'est
de nous redire
aujourd'hui : Si je me laisse
rejoindre par le Berger,
je peux vivre
une amitié qui n'a pas de
nom sur la
terre parce qu'elle sera à
la fois pardon, dialogue, don
de vie et irruption
dans la lumière de Dieu.