Jésus transfiguré
Mt 17,1-9
L'Église nous
propose aujourd'hui, un récit déroutant, tout centré sur la personne et la
mission du Christ, un récit qui nous place directement devant le mystère du
Fils de Dieu fait homme, et qui nous invite à reculer encore l'horizon de notre
foi, à renouveler les perspectives de notre espérance.
² Pourquoi Jésus a-t-il voulu pour trois de ses apôtres
cette expérience bouleversante de la transfiguration ? – pour leur révéler,
semble-t-il, des aspects cachés et proprement divins de sa personne.
Il laisse transparaître pour un instant la gloire qui l'habite,
c'est-à-dire une densité de vie et un éclat de sainteté qui n'appartiennent
qu'à Dieu. Mais, toujours soucieux de parler aux hommes dans leur langage,
Jésus révèle cette gloire par des signes que ses trois apôtres puissent
reconnaître et interpréter : le resplendissement du visage et la blancheur des
vêtements.
Par ailleurs l'apparition, à ses côtés, de Moïse et d'Élie souligne la
continuité de sa propre mission avec celle des deux grands témoins de Yahweh :
- l'Alliance qu'il a conclue
avec son peuple grâce à Moïse, Dieu la renouvelle directement par la médiation
de son Fils ;
- le Règne de Dieu promis
pendant des siècles par les prophètes successeurs d'Élie, Dieu l'inaugure par
la présence de son Fils dans le monde.
Mais s'il y a bien continuité dans le dessein de Dieu,
Jésus apporte une nouveauté absolue.
C'est ce que Pierre, d'abord, n'a pas compris,
puisqu'il voulait dresser trois tentes, comme s'il pouvait encore mettre sur un
même pied Moïse, Élie et le propre Fils de Dieu !
Aussi la voix de Dieu se fait-elle entendre comme au
jour du baptême de Jésus, pour révéler solennellement sa personne et la tâche
dont Dieu l'a chargé :"Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me suis
complu. Écoutez-le !" Non pas :"Écoutez-les", mais
:"Écoutez-le".C 'est lui qu'il faut écouter maintenant, plus
encore que Moïse, plus encore qu'Élie et les prophètes. Les grandes figures du
passé d'Israël doivent s'effacer devant ce Fils unique qui vient
"raconter" dans le monde le Père que personne n'a jamais vu (ekeinos
éxègèsato, Jn 1,18).
² Ainsi la Transfiguration, en soulevant le voile du
mystère de Jésus, vise à fortifier la foi des disciples en l'Envoyé de Dieu.
De plus, elle prend place entre deux
annonces de la Passion prochaine, comme pour prévenir chez les disciples le
scandale devant la mort de Jésus. Quand ils verront leur Messie crucifié, ils
pourront se souvenir de la majesté qui, ce jour-là, rayonnait de son visage, et
quand l'événement de Pâques aura dessillé leurs yeux et réveillé leur foi, ils
seront prêts à reconnaître dans le Ressuscité le Transfiguré de la montagne.
C'est pourquoi Jésus leur recommande
d'attendre pour comprendre toute la portée de la Transfiguration :"En
descendant de la montagne il leur donna cet ordre :Ne parlez à personne de cette
vision avant que le Fils de l'homme ressuscite d'entre les morts".
² Quant à nous, qui n'avons vu ni le visage de gloire ni
le visage de chair du Fils de Dieu , nous accueillons le message de la
Transfiguration comme un stimulant pour notre vie "dans la foi au Christ
qui s'est livré pour nous".
Notre lot, c'est de retrouver chaque
jour Jésus seul. Jésus seul, parce que désormais c'est à travers lui que nous
rejoignons "la Loi et les prophètes". Jésus seul, également, parce
que nous accueillons Jésus sans les signes de la gloire.
À vrai dire, même si le visage du
Christ ne nous apparaît pas extérieurement transfiguré, Dieu lui-même prend
soin de l'illuminer dans notre cœur. Nous n'étions pas sur la sainte montagne,
mais nous recevons chaque jour une révélation plus inouïe encore : le
témoignage de la Résurrection, transmis par l'Église dans l'Évangile ,
"l'Évangile de la gloire du Christ" (2 Co 4,4). C'est cette bonne
nouvelle que l'Esprit Paraclet réveille et actualise à l'intime de nous-mêmes,
pour nous conduire à la vérité tout entière.
Jésus, transfiguré éternellement
dans la gloire du Père, ne dévoile pas sa gloire à nos yeux de chair, mais nous
tous, désormais, parce que Dieu "illumine les yeux de notre cœur"(E
1,18), nous guettons son visage en scrutant sa parole.
"Nous tous, le visage
découvert, nous réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur ressuscité,
et nous sommes transfigurés (métamorphoumetha, 2 Co3,18) à son image, en
son image, de gloire en gloire, parce qu'il nous donne la gloire que Dieu lui a
donnée.
Nous sommes transfigurés,
métamorphosés, dit saint Paul, non pas dans notre corps, qui reste un corps de
misère, mais dans notre être profond de fils et de filles de Dieu, transfigurés
progressivement à l'image du Fils ; or sa gloire , à lui, c'est justement
d'être Fils, et c'est dans sa gloire de Fils que nous entrons déjà par la foi et l'amour, c'est cette gloire du
Fils qui prend peu à peu possession de nous, en attendant les cieux nouveaux et
la terre nouvelle où notre corps ressuscité vibrera à l'unisson de la gloire du
Fils de Dieu.
Quand sous nos yeux se déroule la
passion de l'Église, quand l'épreuve traverse notre propre vie ,"comme il
nous est bon d'être là", par la prière, là où vit notre Sauveur, comme il
nous est bon de rejoindre par la foi la présence en nous, invisible,
insensible, impalpable, de la gloire de Jésus !