Une récompense de prophète.
Mt 10,38-47
² Saint Matthieu a regroupé en un même discours un bon
nombre de consignes de Jésus concernant la mission chrétienne et le style de vie
des missionnaires chrétiens ; c'est la conclusion de ce discours que l'Église
nous fait lire aujourd'hui.
Comme vous l'avez remarqué, ces
quelques versets sont centrés sur l'idée d'accueil ; mais l'accueil peut être
vu à plusieurs niveaux.
² Il y a d'abord l'accueil des envoyés de Dieu.
Disons
tout de suite que ces envoyés ne portent pas forcément tous la petite croix des
clercs ou des religieuses. Hommes ou femmes, prêtres ou non, il s'agit des
prophètes de la nouvelle Alliance, donc de tous ceux et de toutes celles qui
ont quelque chose à dire dans l'Église de Jésus, non parce qu'ils l'ont lu dans
une revue ou dans leur journal, mais parce qu'ils l'ont expérimenté, dans la
force de l'Esprit Saint, parce qu'ils interprètent authentiquement les
événements que traverse le peuple de Dieu.
"Qui accueille un prophète en
qualité de prophète recevra une récompense de prophète." Cette parole de
Jésus, nous pouvons la comprendre d'abord à la lumière de la première lecture :
la femme qui a accueilli dans sa maison
le prophète Élisée s'entend dire par l'homme de Dieu :"L'an prochain à
cette époque, tu tiendras un fils dans tes bras." Autrement dit : celui
qui accueille les messagers de Dieu, le message de Dieu, les suggestions de
Dieu, voit venir dans sa vie une fécondité inespérée : c'est la récompense accordée par le prophète
Mais on peut comprendre aussi :
celui qui accueille un prophète reçoit la
même récompense que le prophète. Si c'est vraiment un prophète que nous
recevons, et si nous l'accueillons à cause du message qu'il porte, à cause du
Christ qu'il représente, à cause de l'appel qu'il nous transmet, lui
"l'homme juste", il faut nous associer, librement et courageusement,
à l'œuvre du prophète, il faut laisser entrer en nous l'espérance nouvelle et
l'exigence inattendue dont il est le témoin, et c'est pourquoi Jésus nous
promet, à nous aussi, une récompense de prophète et d'homme juste.
Évidemment, on ne peut accueillir
tout le monde à la fois, on ne peut investir ses forces chrétiennes dans toutes
les directions à la fois, ni non plus participer à la fois à toutes les entreprises
missionnaires. Il y a d'authentiques disciples du Christ qui ne feront que
traverser notre vie. L'important, nous dit Jésus, est de ne pas manquer le
moment du verre d'eau.
Autour de nous, des hommes, des
femmes peinent pour le Royaume, ou simplement cherchent le Seigneur, qu'il
s'agisse de jeunes, d'adultes ou de personnes âgées. Nous les rencontrons
fortuitement, au hasard de notre métier ou sur la route des vacances. Ils ne
demandent rien, mais ils ont soif, soif d'un moment d'amitié ou de compréhension,
soif d'un accueil aussi simple, aussi limpide, aussi opportun qu'un verre d'eau
fraîche en pleine chaleur.
² Mais l'accueil le plus fondamental se situe à un autre
niveau : celui de notre relation directe au Christ Sauveur.
"Celui qui aime son père ou sa
mère, son fils ou sa fille, plus que moi, n'est pas digne de moi",
c'est-à-dire n'est pas de niveau avec ce que je lui offre, dit Jésus. Bien sûr,
le Christ ne cherche absolument pas à déprécier ni même à relativiser les
affections familiales. Lui-même, au moment de mourir, se souciait encore de sa
mère, et il a tenu à ce que Marie soit intégrée à sa vraie place dans la
communauté chrétienne. Le Christ ne veut pas non plus opposer les attachements
humains et l'attachement à sa personne, comme s'ils étaient inconciliables,
mais il proclame cependant avec force que, si nous voulons marcher à sa suite,
notre marche ne doit pas être arrêtée ni même gênée par des liens affectifs.
En d'autres termes, le Christ ne
peut se contenter des restes de nos forces, de notre temps, de notre amour. Il
veut tout et tout de suite, et l'amour pour lui est premier et total. Toute
autre affection, tout autre lien d'amitié ou d'amour doit être vécu, pour ainsi
dire, à l'intérieur de ce don total que nous faisons au Christ. Mais - et c'est
là une richesse inouïe du message de Jésus - nos affections humaines, ainsi
ressaisies dans notre don au Christ, loin d'être niées, loin d'être dévaluées,
loin d'être taries ou stérilisées, trouvent une vérité plus grande et se libèrent
des contraintes de l'égoïsme.
On n'aime jamais autant que
lorsqu'on aime en Dieu. Tant que Dieu, dans un cœur humain, reste le concurrent,
quelque part se glisse la tristesse. Quand Dieu est accueilli comme source de
tout amour, la tristesse même se change en joie, et l'on apprend à aimer avec
tout son cœur.