"Prends ta civière"
Mt 9,1-8
²
Jamais
cet homme n'avait ressenti aussi douloureusement sa paralysie. Non seulement,
comme tous les jours, il était incapable de marcher, mais il était, ce jour-là,
incapable de s'approcher de Jésus. Qu'a-t-il fait ? S'est-il découragé, a-t-il
abandonné tout espoir, en se disant :"La guérison, c'est pour les autres,
ceux qui ont de la chance !"? Non ; il a osé demander ce service à quatre
camarades : portez-moi jusqu'à Jésus ! Il a accepté d'avoir besoin des autres,
et les quatre porteurs sont entrés de bon cœur dans son projet et son acte de
foi. L'Évangile le souligne ; il ne dit pas : Jésus vit sa foi, mais leur
foi, et c'est à leur foi commune qu'il a voulu répondre.
² Tous les jours ce mystère de la bonté de
Jésus et de la charité des hommes se reproduit sous nos yeux ; tous les jours,
si nous le voulons, nous pouvons y entrer. Partout, autour de nous, des
paralysés sont là, immobiles, sur leur brancard, avec, dans leurs yeux, toute
leur détresse, et toute leur espérance. Ce sont les pauvres de Jésus, pauvres
de moyens de vivre, pauvres de santé, d'amitié, d'espérance. Et leurs yeux nous
disent : Me conduiras-tu jusqu'à Jésus ? Me porteras-tu à Jésus ? Saisiras-tu
mon brancard avec trois autres volontaires ?
² Seul Jésus peut rejoindre nos frères
jusqu'au fond de leur misère, et aimer tous les pauvres du monde. Notre lot à
nous, c'est l'impuissance, même lorsque nous servons les pauvres à longueur de
journée ; car, pour un brancard que nous portons, il en est cent qui restent à
terre. Et vous, sœurs du Carmel, vous n'avez même pas la consolation d'avoir
soulagé au moins quelques misères, car Jésus vous veut au poste avancé de la
prière, et c'est dans le cœur du Maître qu'il vous faut rejoindre ceux qui
souffrent, les tout proches comme les plus lointains.
² Voilà donc le paralysé aux pieds de Jésus, guettant un
geste, une parole. Or la première parole de Jésus est tout à fait surprenante,
inattendue. Elle va faire appel encore plus à la foi de cet homme :
"Confiance, mon fils, tes péchés sont pardonnés". Le paralysé aurait
pu dire :"Mais, Seigneur, ce n'est pas cela que je te demande ! Je veux
marcher, ce sont mes jambes que je veux ! Je viens à toi avec la misère de mes
jambes, et tu me parles de péché !"
²
Jésus
aurait pu commencer par guérir le corps, et s'occuper ensuite du cœur de cet
homme et de son péché. Pour lui c'était aussi facile de dire :"Lève-toi et
marche", que : "Tes péchés te sont remis!", car Jésus avait
pouvoir aussi bien sur le malheur que sur le mal.
Il commence par le mal, pour
l'ôter du cœur de l'homme, comme pour dire :"Le grand malheur pour toi,
c'est le péché".
Mais pour bien nous montrer
que la souffrance du monde est un tourment pour lui, Jésus ajoute aussitôt
:"Lève-toi ; prends ta civière et va dans ta maison".
Et l'homme se lève, guéri de
son péché et guéri dans son corps. Il emporte sa civière, pour oublier tout son
passé de souffrance, car Jésus vient de faire de lui un homme nouveau, tourné
vers l'avenir, avec une nouvelle espérance.
² Aujourd'hui encore, mes
sœurs, nous allons rencontrer Jésus, nous allons communier à son Corps et à son
Sang. C'est le moment de quitter notre civière, de laisser là toutes les
tristesses du passé, toutes les craintes pour l'avenir. Jésus est là, de quoi
aurions-nous peur ? Jésus est là, qui nous guérit, soyons heureux de le servir,
"rien que pour aujourd'hui", comme disait la petite Thérèse.