Mt
18,15-20
² "Si ton frère vient
à pécher",
a dit Jésus. Et ce
qu'il veut privilégier, c'est
la démarche de dialogue,
celle qu'il faut tenter,
patiemment, avant toute autre. Dialogue entre
frères et entre sœurs d'une même famille, d'une même
communauté. Dialogue entre conjoints, dont
les deux ont
besoin, dont
les deux ont
soif, et
qui devient parfois, au
long des années, difficile et
inexistant.
Être pardonné,
c'est une exigence
de la vie théologale.
Pardonner, c'est une dimension
de la vie fraternelle. Le pardon est fait de mille nuances dans les paroles, dans les
gestes, dans
le regard,
et il mobilise
toute la vie
affective, car il implique
une vigilance de tous les
instants sur tout ce qui
monte du
cœur, les souvenirs, les attentes, les craintes
pour l'image
de soi-même. Bien des
raisons nous arrêtent, nous freinent, quand le moment serait
venu d'un dialogue
de frère à
frère, de
sœur à sœur, et nous sommes
parfois tentés de mêler les
trois démarches dont parle
Jésus, et de
faire dire à la sœur par des responsables ou par la communauté ce que nous
dirions si bien nous-mêmes, si
nous étions doux et humbles de
cœur.
"Va et reprends-la seule
à seule",
dit Jésus.
Va, et cherche le dialogue,
patiemment, humblement, sans crainte de ce qu'il faudra perdre pour que ton pardon soit
reçu. Mais ce seul à seul
avec la sœur ou le frère n'est possible que s'il est
précédé d'un seul à seul
avec Jésus.
C'est dans sa miséricorde envers nous que
nous lisons le pardon que
nous demandons. C'est dans
ses yeux que
nous trouvons le regard qu'il
attend de nous.
C'est au pied
de la croix que nous comprenons
jusqu'où il faudra pardonner.
Puisque nous sommes
réunis ce matin
au nom du
Christ ressuscité, et qu'il
a promis d'être
au milieu de nous, demandons-lui
d'ouvrir lui-même dans notre cœur la source de
la miséricorde et mettons notre regard dans le
sien.
² À vous, frères
et sœurs, qui
êtes mariés depuis cinq ans, trente ans, quarante ans, l'Évangile d'aujourd'hui offre une nouvelle occasion de réfléchir
en profondeur sur votre vie de couple chrétien
et sur le
chemin du pardon
qu'il vous faut prendre,
aujourd'hui encore, sans lassitude, en vue d'une
nouvelle qualité de votre amour.
L'alliance entre vous s'est dite en un instant très bref, par vos deux oui
échangés, mais elle veut se déployer tout au long de votre vie commune,
librement, joyeusement, courageusement, par la confiance en l'autre, par la
connivence des deux regards, par l'harmonie des corps, par la volonté,
réaffirmée chaque jour, de vivre ensemble et l'un par l'autre, et de vous
mettre ensemble au service de la vie.
Cette alliance, vécue au quotidien, réclame souvent le
meilleur de vous-mêmes et vous appelle au dépassement de ce que vous êtes. La
charte de cet amour toujours en devenir, vous l'avez ensemble méditée sur ce
beau texte de saint Paul sur la maison du chrétien (Col 3,12-17).
"Revêtez votre cœur de tendresse", dit Paul. C'est la partie facile et riante du
programme, et il est clair qu'aucun couple au monde n'a besoin de prendre
ailleurs des leçons de tendresse. Mais la tendresse des époux chrétiens doit
rester entre eux, les années passant, et en dépit des pesanteurs inévitables,
un chemin de bonté, une volonté de faire le bonheur de l'autre. Or, s'il est
une usure qui guette les couples, c'est bien la lente érosion de la bonté ; car
l'agressivité est là, à la porte du cœur, qui répercute les impatiences, les
agacements, les déceptions et les manques d'égard.
C'est
pourquoi Saint Paul ajoute :"revêtez votre cœur d'humilité, de douceur,
de patience".Trois mots souvent dévalués, et qui pourtant mettent un
foyer en prise directe sur l'Évangile de Jésus. Tôt ou tard viennent des
moments où il faut se situer humblement l'un en face de l'autre, où il faut
écarter avec humour toute volonté de puissance ou de mainmise sur l'autre, sur
ses goûts ou ses convictions. La douceur arrange tellement de choses dans les
mille choix et les milles heurts de la vie quotidienne, la douceur qui est la
vraie force chrétienne, la force de ceux qui ne veulent pas passer en force !
Et si la douceur laisse ainsi à l'autre tout son espace, la patience lui laisse
le temps, le temps pour se dire, pour se comprendre et pour changer.
Car tout n'est pas acquis au jour de
l'alliance, même si les deux époux s'engagent avec toute leur loyauté et un vrai désir de
s'effacer pour le bonheur de l'autre et celui des enfants. Pour continuer à
bâtir ensemble, pour assumer ensemble les joies et l'insécurité, les époux sont
amenés à se porter mutuellement et à s'accepter mutuellement tels qu'ils sont, Car
tout n'est pas acquis au jour de l'alliance, même si les deux époux s'engagent tels
que la vie les a faits. Au jour le jour on pardonne beaucoup au conjoint, et
cela aussi est chemin de tendresse ; mais le plus dur parfois est de lui
pardonner d'être lui-même, et de le rester. Quelle joie, au contraire, pour un
foyer, et quelle force tout au long de la vie, quand le dialogue va jusqu'au
fond des choses, et quand chacun est assez oublieux de soi pour promouvoir
l'autre dans sa différence !
Cette alliance que vous avez nouée
entre vous, inaltérable, vous la scellez devant Dieu et vous la concluez avec
Dieu. Le Christ Jésus, que vous avez pris à témoin de votre parole, sera
jusqu'au bout le lien vivant de votre amour.
Car cet amour vous dépasse tous deux, et le sacrement
de mariage, que vous vous êtes donné l'un à l'autre par votre promesse, vous
insère dans l'Eglise de Jésus comme une nouvelle cellule vivante, comme un nouveau
foyer de rayonnement, et comme un relais de la tendresse du Père.