"Si ton frère vient à pécher", dit Jésus.
Il ne dit pas seulement :"S'il vient à pécher contre
toi", mais, d'une manière très générale :"Si ton
frère vient à pécher". Dans ce cas il faut tenter une correction
fraternelle et Jésus se montre
ici très précis, puisqu'il envisage une démarche en
trois étapes : démarche de frère à frère, démarche communautaire, démarche d'Église.
Souvent, dans les communautés monastiques ou religieuses, on avait pris depuis des siècles l'ordre inverse de celui proposé
par Jésus : tout se passait
d'abord en public devant toute la
communauté réunie, et l'on
en venait seulement
en dernier lieu, et
parfois pas du tout, à
l'explication fraternelle seul à seul.
Il faut avoir
le courage de suivre,
ici comme ailleurs, les consignes
de Jésus qui
tendent nettement à personnaliser la correction fraternelle, et
déjà beaucoup de communautés ont reconnu loyalement
que leurs usages accusaient une dérive importante par rapport à
l'Évangile.
² Jésus envisage comme toute première démarche un dialogue
de frère à
frère, de sœur à sœur, d'époux à épouse, pour que le mal demeure caché et que l'honneur du frère
reste sauf. "Va trouver
ton frère et
reprends-le seul à seul". Dialogue exigeant, qu'il
faut toujours préparer longuement dans la prière,
afin de se
présenter à l'autre avec un
cœur évangélique, sans la moindre
trace d'aigreur ou d'agressivité. Dialogue
qui, au Carmel, doit rester marqué
par une certaine
sobriété et qui ne peut
se chercher hors du cadre d'une
obéissance ouverte, et encore
moins dans les zones sacrées
du silence, mais dialogue vrai,
non contraint, sans calculs, sous le regard
de Jésus.
Car l'essentiel alors n'est pas
de chercher à avoir raison, mais de
s'ouvrir à
deux à la vérité de l'Esprit
Saint.
Il est vrai que, dans un
cadre communautaire, cette correction
fraternelle personnalisée réclame de chacune
une grande loyauté, car
en abordant les situations on met parfois en cause
les personnes, et l'un des critères d'un dialogue vraiment évangélique entre deux frères ou deux sœurs, c'est qu'il reste constructif
pour la communauté
et resserre dans la communauté
les liens de
la confiance.
La mise au
point entre deux sœurs ne peut pas
non plus être un dérivatif ou
une compensation à la solitude
vraie, la solitude avec Jésus seul. Mais
la crainte des déviations toujours possibles ne doit pas amener
les communautés à vider de son sens la parole de Jésus.
² "Si ton frère ne t'écoute pas, dit Jésus,
prends encore avec
toi un ou deux personnes,
afin que toute
l'affaire soit
décidée sur la parole de
deux ou trois témoins"
Tout de suite les
choses deviennent plus sérieuses. La démarche
perd de sa
spontanéité, car il s'agit de faire
pression sur le frère pour
l'amener à
changer, et l'on se trouve
déjà dans le
cadre juridique d'une sorte de
procès. Jésus parle de l'affaire, d'une décision, d'une parole
solennelle, et de
témoins. Tout cela suppose
qu'il y a du danger dans
l'air, soit pour le
frère, soit
pour la communauté.
² "S'il
refuse de les
écouter, dis
le à l'Eglise".
Si en effet une décision
grave doit être prise,
il faut qu'elle
émane de la communauté et de ses responsables, afin qu'elle
ne soit marquée
d'aucune vengeance personnelle, d'aucune pression
injuste ni d'aucun abus de
pouvoir.
² "Et s'il refuse d'écouter
l'Église qu'il soit pour toi comme
le païen et
le publicain".
Ce qui ne veut
pas dire
: tu pourras le haïr et
le repousser, mais :
tu auras fait
ton possible, désormais remets-t'en à Dieu pour
le salut du frère comme tu t'en remets à Dieu du
salut d'un païen qui ne
veut pas de
dialogue. Mais
ce sont là
des cas limites, des cas
douloureux qui pèsent lourd dans
le cœur, et Jésus revient aussitôt, avec
insistance, à l'aspect positif
de la vie fraternelle, à la nécessité
de s'accorder
sous son regard,
même à deux,
même à trois, afin de
pouvoir prier ensemble, d'être
exaucé ensemble, et de
recevoir ensemble la miséricorde du Père.