Colombes et serpents
Mt 10,7-15
Gratuité, légèreté, limpidité: trois consignes que Jésus nous a
laissées pour notre vie et notre témoignage de chaque jour.
Gratuité de notre action et de notre dévouement, puisque c'est de Dieu
que nous tenons ce que nous avons à donner et la force de servir. Gratuité,
puisque c'est le Seigneur que nous servons à travers nos frères et nos sœurs.
Et cette liberté dans le don peut nous prémunir contre bien des tristesses,
spécialement dans la vie de communauté, quand personne ne voit ni ne mesure ce
que nous essayons d'apporter, ou quand personne ne garde mémoire de ce que nous
avons vécu, porté ou donné.
Légèreté : le témoin de Jésus est un disciple
désencombré. Désencombré dans le cœur, au niveau des possessions, des attaches
et des désirs, mais aussi allégé le plus possible pour la route et le travail.
« Deux tuniques l'une sur l'autre », c'est bon pour les oisifs et ceux qui
vivent dans le luxe, le cœur aussi vide que leurs journées.
Il ne faut pas se méprendre sur la légèreté de l'Évangile.
Elle n'est pas l'inconscience de ceux qui n'ont effectivement rien dans les
mains et rien dans les poches, mais parce qu'ils n'assument rien, ni pour
eux-mêmes ni pour les autres. Notre légèreté sur la route du Christ, c'est un
choix très conscient et adulte, en vue d'une plus grande liberté filiale.
Limpidité enfin. Limpidité du regard et du cœur . Nous
connaissons bien sa caricature: l'attitude du naïf, qui trouve tout très simple
parce qu'il passe toujours à côté du réel. La vraie limpidité chrétienne est au
contraire à base de réalisme et réclame de nous des discernements exigeants.
C'est une limpidité patiemment acquise par la garde du cœur, l'ascèse de la
mémoire et un recul évangélique par rapport aux événements, aux idées et aux
paroles.
C'est pourquoi Jésus dit: « Soyez candides comme les
colombes, et avisés comme les serpents ». Non pas tantôt avisés et tantôt
candides, au gré des circonstances et de notre humeur, selon la tête du frère
ou de la sœur, en fonction de notre intérêt du moment ou de nos visées à long
terme; mais en même temps simples et avisés, gardant à la fois prudence
et spontanéité, tact et cordialité, l'un pondérant l'autre. Cet équilibre de la
charité est typique de l'enseignement de Jésus sur la vie fraternelle: les
silences opportuns du serpent nous éviteront les enthousiasmes faciles, et la
bienveillance tempérera le réalisme, dans l'esprit des Béatitudes.
Jésus nous invite là à un long
apprentissage de la liberté et de la bonté, qu'il nous faut consentir à tout
âge de la vie spirituelle; car on pense instinctivement à la liberté: on la
désire et on la demande. Mais la bonté s'éteint parfois dans le cœur.
Progressivement, insensiblement.