Comme votre Père céleste
Mt 5,43-48
² Les
animaux sauvages ont presque tous un territoire, qu'ils parcourent, qu'ils marquent,
qu'ils défendent. Malheur à l'intrus, malheur au concurrent !
Il en va de même parfois pour nous, les humains : plus
nous sommes sauvages, plus sévèrement nous défendons notre territoire. Notre
cœur a des frontières, et il en crée toujours de nouvelles : frontières entre
les personnes et entre les groupes, entre les amis et les ennemis, entre les
gens intéressants et les laissés pour compte, entre ceux pour qui nous existons
et ceux qui n'existent pas pour nous.
Au-delà de la frontière, parfois très
près des yeux, mais déjà loin du cœur, nous apercevons des frères et des sœurs
dont nous craignons le caractère, les réactions, dont nous n'attendons plus
rien, ni compréhension, ni dévouement, ni lumière, et pour qui nous avons cessé
d'espérer.
² À ces limites de notre regard, à ces scléroses de notre
cœur, Jésus oppose la manière de Dieu, les habitudes du Père céleste, qui est
parfait : "Soyez parfait, comme votre Père céleste est parfait".
Elle est insaisissable, cette perfection du Père
céleste...
Elle est faite, bien sûr, de miséricorde ; mais Jésus
la décrit aussi
comme une joie de donner et de faire vivre,
comme un désir sans limites de faire confiance,
comme un océan de tendresse qui n'aurait pas de
rivages.
Dieu aime toujours le premier, et continue d'aimer
même quand aucun amour ne lui répond Dieu ignore les frontières entre les
hommes et entre les groupes ;
Dieu
n'enferme jamais un homme dans son passé, et à toute heure il nous rejoint pour
œuvrer en nous, sans reprise, sans lassitude, dans le sens de la vie, de
l'élan, de l'espérance. Même le païen, même le publicain, même le méchant et
l'injuste peuvent compter sur son soleil et sa pluie, et donc aussi attendre
les récoltes et espérer pour l'avenir. C'est déjà ce que le psalmiste chantait
à son Dieu :
"Toi, tu ouvres la main, tu rassasies tout
vivant, et c'est là ton plaisir ..."
La perfection du Père céleste, c'est comme une main
toujours en train de s'ouvrir.
² C'est ce Père qu'il nous faut
regarder et imiter pour lui devenir semblables, pour entrer dans l'expérience
de notre filiation. Jésus y insiste : "Aimez vos ennemis et priez pour
ceux qui vous persécutent, pour que vous deveniez les fils de votre Père qui
est aux cieux".
Nous sommes fils, et il nous faut devenir ce que nous
sommes, aller jusqu'au bout, jusqu'au profond, jusqu'à la source de notre être
filial, en nous laissant revêtir par le Père de sa manière d'aimer.
C'est bien ce mimétisme par rapport au
Père qui faisait pour Jésus la joie de tous les instants. Son style d'accueil
et de pardon, il le prenait au Père, il le lisait en Dieu. Sauver comme le
Père, aimer comme le Père, cela aussi était sa manière d'être Fils.
² De même pour nous : aimer, et
pardonner, ou rejoindre le désir de Dieu qui est de faire vivre, c'est notre
manière de devenir fils, d'épanouir notre être de fils.
Jésus
nous a prévenus: le fraternel et le théologal sont indissociables dans notre quête
de Dieu.
C'est bien pourquoi, au Carmel, surtout au Carmel, il
est si important de garder tous les jours, dans un coin de notre cœur de
pauvres et pour chacun de ceux que le Seigneur nous donne à aimer, un brin de
soleil et un brin de pluie, un rayon de soleil pour la joie du frère, une ondée
pour l'aider à porter du fruit.