Le signe de Jonas
Mt123842
² Plusieurs fois l'Évangile met en scène les scribes et
les pharisiens demandant un signe à Jésus, un signe venant du ciel, qui rende
la foi plus évidente et plus facile.
Et Jésus répond toujours
négativement :
- ou bien, comme chez Marc, d'une
manière absolue :"En vérité je vous le dis, il ne sera pas donné de signe
à cette génération" ;
- ou bien, comme chez Matthieu et
Luc, en reportant le signe à la fin des temps, "lors du jugement", et
dans ce cas interviennent, jumelés, les personnages de Jonas et de la Reine de
Saba, qui renvoient, l'un au prophétisme, l'autre à la sagesse de Salomon. Deux
types de prédication ; deux exemples de soumission à la parole, celui des
Ninivites et celui de la reine étrangère, qui tous deux contestaient
l'endurcissement des contemporains de Jésus.
Dans sa réponse aux scribes, que
nous lisons aujourd'hui en saint Matthieu, Jésus ajoute un autre signe de
Jonas, valable non plus seulement pour la fin des temps, mais pour la
génération du Christ et pour tout le temps de l'Église : "Le Fils de
l'Homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits",
seulement trois jours et trois nuits, puis il sortira de la mort, comme Jonas
fut rejeté par le monstre marin. La prédiction est devenue réalité, comme nous
le proclamons bien souvent dans notre Credo ... "Le troisième jour, il est
ressuscité des morts".
C'est bien là en effet le signe
majeur pour notre foi chrétienne, un geste qui vient du cœur de Dieu et nous dévoile la puissance de son amour.
C'est également le signe de Dieu auquel nous accrochons de plus en plus notre
espérance, à mesure que nos forces nous quittent, que l'aiguillée chaque jour
se raccourcit et qu'en nous l'homme extérieur s'en va en ruines : Jésus
glorieux à la gloire du Père, c'est le signe assuré de notre victoire sur la mort et sur la tristesse ; c'est la certitude
que pour nous aussi, fils et filles de Dieu, la vie et l'amour auront le dernier
mot.
² Mais la parole de Jonas et de la Reine de Saba gardent
pour nous, chrétiens, toute son urgence.
Il nous faut écouter celui qui vient
de loin : c'est le message du prophétisme.
Il faut venir de loin pour écouter :
c'est l'exhortation de la sagesse.
² Jonas
venait de très loin sur la terre : Jésus nous est venu de Dieu, qui est au
ciel, ses paroles sont les paroles du Père, et c'est pourquoi le Père nous
redit chaque jour :"Écoutez-le !" Ce qui est visé là, c'est une
écoute qui change le regard et la vie, une vraie conversion de tout l'être.
"Dans Ninive, on cria, dit le livre de Jonas, et
l'on fit par décret du roi cette proclamation :"Hommes bêtes, gros et petit
bétail ne goûteront rien, ne mangeront point et ne boiront pas d'eau."
Tous les vivants sont concernés : les hommes chanteront des psaumes de pénitence,
les bœufs mugiront, les moutons ensemble se mettront à bêler. Manière
humoristique de souligner que la pénitence sera complète, alors que, dans notre
cas, le troupeau de nos habitudes n'est pas toujours touché par notre
conversion.
² De même
la Reine de Saba est venue du lointain Yémen pour entendre la sagesse de
Salomon. Et nous, quelle distance sommes-nous prêts à franchir, quelles
préférences sommes-nous décidés à bousculer, quel engourdissement allons-nous
secouer, pour rejoindre Jésus, notre sage et notre sagesse, et nous mettre à
son écoute ? Parfois nous refusons la distance culturelle entre son siècle et
le nôtre, entre son langage et le nôtre. Plus profondément encore, entre les
promesses de Dieu et leur réalisation, entre l'amitié de Dieu et la certitude
de sa présence, entre les sacrements et les réalités divines qu'ils nous
apportent, un espace, une distance demeurent, que seule la foi peut traverser,
or les pas de notre foi restent timides : il faudrait chercher, scruter,
désirer ; mais nous restons sur le seuil, nous restons au Yémen, et pourtant il
y a parmi nous bien plus que Salomon.