"Préparez le chemin du
Seigneur"
Mc 1,1-8
"Préparez le chemin du Seigneur".
² Combien de fois l'avons-nous entendue déjà, cette voix
du désert qui venait nous secouer dans notre engourdissement spirituel , nous reprocher
le mensonge de notre vie, l'inertie de notre amour, et réveiller en nous le
désir du pardon ;
combien de fois l'Église messagère nous a-t-elle redit
:
"Voici ton Dieu ;
voici ton Seigneur qui vient avec
puissance",
pour
te sauver de toi-même, te faire entrer dans son œuvre de salut et faire de toi
un sauveur-avec-lui ;
combien de fois des messagers de Dieu sont venus en précurseurs, nous
apportant la seule bonne nouvelle qui soit au monde, la certitude que nous
sommes aimés de Dieu,
et
nous avons fait si peu pour arranger le chemin.
Entendrons-nous aujourd'hui une parole vigoureuse, une
parole digne du Baptiste, et la laisserons-nous venir jusqu'à notre cœur ?
Plus les années passent, et plus l'accès de notre vie
devient malcommode pour le Christ.
Il
vient à nous pour consoler son peuple,
pour parler au cœur de
sa communauté,
pour lui crier :"Ta
servitude est finie, j'ai expié ton péché !"
Mais
nous ne savons pas quoi inventer pour retarder le tête-à-tête décisif :
"montagnes, collines, précipices, escarpements", arguments, théories,
ironie, discussions, tout est bon lorsqu'il s'agit de gagner du temps ; et le
Christ est obligé de prendre des détours, lui, le Fils de Dieu qu'aucun homme
n'est digne de recevoir.
² Nous n'en finissons pas de nous livrer à lui, et nous
qui sommes si exigeants pour l'authenticité et la logique, si sévères pour tous
les faux-fuyants, nous refusons parfois de tracer droit dans la steppe de notre
vie un chemin pour notre Dieu.
Faire attendre Dieu (Thérèse d'Avila), imposer à Dieu
des préalables, voilà l'une des racines les plus vivaces du péché dans notre
cœur et notre intelligence d'hommes modernes ; et dans un monde de plus en plus
marqué par l'incroyance, la tentation peut venir au chrétien de se situer à la
fois en même temps dans la foi et en dehors, de s'en remettre vaguement à Dieu
de ce qui touche son salut, tout en critiquant les choses de la foi, comme si
elles lui étaient étrangères.
Nous disons – ou nous pensons - : l'incroyant qui demeure
en moi a bien droit à quelques égards, à quelque patience, à quelque privilège,
sans nous demander si le croyant qui est en nous n'a pas dès aujourd'hui des
devoirs envers Celui qui vient.
Nous attendons que Dieu monte jusqu'à nous, et par
l'escalier de service, nous désirons que son message s'adapte à nous, nous
exigeons presque, pour admettre Dieu en notre présence, qu'il ait revêtu la
livrée de nos idées chères, ou qu'il ait passé sa parole au crible de nos
évidences.
Nous décidons d'avance, plus ou moins consciemment :
-
le
Dieu que j'admettrai, ce sera Dieu comme ceci, ou comme cela ;
-
le
Christ que j'accueillerai devra tamiser sa divinité en ceci ou en cela ;
-
l'Évangile
que j'annoncerai devra taire ceci et proclamer cela ;
-
l'Église
que je servirai devra prendre telle ou telle option temporelle.
² Péché d' Adam, péché de l'homme, péché du monde !
Ne nous leurrons pas, frères et sœurs, nous nous
referons pas Dieu !
Nous n'empêcherons pas Dieu d'être, en lui-même et
pour nous, un mystère d'amour.
Nous n'empêcherons pas Celui qui est d'être Celui qui
vient, et de venir à sa manière pour
accomplir ce qu'il a promis.
Nous n'arrêterons pas le Messie de Dieu, qui veut
paître son troupeau et le mener au repos selon ses propres méthodes, sur des
pâturages que lui seul a choisis ; et s'il peut être bon et même nécessaire de
clarifier l'image que nous nous faisons de Dieu et de son Christ, afin
d'assurer l'authenticité de notre démarche de foi et d'espérance, il sera
toujours dérisoire et décevant de mesurer Dieu à notre mesure d'hommes et
d'attendre la grâce, dans notre désert, aux seuls points d'eau que nous aurons
désignés.
² Mais n'ayons pas peur de Dieu, qui n'a pour nous que
des pensées de paix. Il comprend nos réticences, il respecte nos combats, il approuve
notre souci de vérité et notre loyauté d'homme qui parfois nous détourne de lui
ou plutôt de ses caricatures. Il sait que nous sommes plus victimes que
coupables, face aux modes de pensée que tant de nos contemporains partagent. Il
nous sait démunis, et ne renonce pas à nous sauver.
Car c'est Dieu qui a et qui garde l'initiative du
salut, et avant de nous demander si Dieu entre dans les vues de l'homme, nous
devons nous soucier de coïncider avec le projet de Dieu.
Nous
savons bien tous, par expérience, que nous ne sommes jamais plus attentifs au
monde que lorsque nous l'aimons selon Dieu, nous ne sommes jamais plus
intensément les bâtisseurs du monde que lorsque nous entrons dans l'œuvre de
Dieu.
Car Dieu est à l'œuvre, aujourd'hui comme aux premiers
jours de la création, et tout le long de l'histoire d'Israël :"Mon Père
travaille toujours, et moi aussi, je travaille" ; et rien ni personne
n'empêchera jamais Dieu et son Christ de rester à l'horizon de toutes nos
créations et de toutes nos conquêtes.
Dieu n'est pas seulement pour nous la source infinie,
il veut être également l'avenir absolu en ce Jour mystérieux où il viendra
comme un voleur.
Ne prenons pas les lenteurs de Dieu comme une
démission de sa part ni le silence de Dieu pour de la timidité. Comme nous le
rappelait à l'instant la lettre de Pierre, Dieu n'est pas faible, mais tout
bonnement patient, et toujours vaincu par la tendresse.
Accueillons simplement, humblement, cette présence
paisible de Dieu au cœur du monde, au cœur de l'histoire. Laissons faire Dieu,
laissons venir en nous le Fils de Dieu, laissons-nous aimer : c'est là que tout
commence, c'est par là, aujourd'hui, que nous pourrons recommencer.
Mais cette tendresse même nous crée des devoirs et
rend urgente notre conversion.
Il
suffit d'un instant pour nous retourner vers Dieu, mais nous n'aurons
pas trop du reste de notre vie pour faire retour à Celui qui nous
appelle.