² "Je ne suis
pas venu appeler
des justes, mais des pécheurs".
C'est une de
ces paroles du Seigneur qui
balayent d'un seul coup nos
fausses assurances, nos habitudes
de médiocrité, nos complaisances
en nous-mêmes.
Tout chrétien satisfait
est un pécheur
qui s'ignore, et si
bien souvent nous nous sentons
les mains vides, c'est que
nous nous sommes
approchés de Dieu avec un
cœur de riche, qui n'a
besoin de rien, surtout pas
de pardon.
Si nous n'entendons plus l'appel de
Jésus avec la même force, la même
urgence qu'autrefois, c'est probablement que nous nous sommes
peu à peu installés à la table
des justes qui n'ont besoin
de rien ni
de personne, surtout pas de
l'Église.
Si nous disons
que nous n'avons
pas de péché, nous nous
mentons à nous-mêmes, et la
vérité du Christ
n'est pas en
nous.
² C'est bien d'ailleurs
ce mensonge qui nous fait peur,
aux moments où nous sommes
le plus lucides sur nous-mêmes, le plus
dociles à la
voix du Berger.
Nous sentons plus ou moins confusément combien nous sommes
étrangers à Dieu, aliénés
de Dieu, "par nos pensées
et nos œuvres mauvaises", et souvent nous
nous énervons de percevoir en nous
cette opacité, cette pesanteur, cette inimitié
latente, sans pouvoir toujours isoler, clarifier,
nommer notre péché.
Dieu, qui permet pour
nous cette impuissance, nous
ramène par elle à la
véritable conversion, qui est
non seulement un retournement, mais un lent retour, non seulement
un événement, mais un difficile
cheminement. Si nous ne pouvons
pas saisir,
objectiver, une fois pour
toutes, notre péché pour l'arracher, c'est qu'il fait
corps par mille adhérences avec ce qu'il
y a en nous de plus personnel, de plus
libre. Si nous ne pouvons
voir par nous-mêmes le péché
dans une clarté immédiate et
rassurante, c'est que Dieu
se réserve de nous le
révéler par la croix de son Fils.
² Une fois de
plus ce matin le Christ sauveur,
qui ne sait
ni mépriser ni haïr, vient
s'asseoir à
notre table de pécheurs pour
nous parler de lui,
de nous,
et nous nourrir
de son Corps
et de son
Sang. Il vient
nous réconcilier "dans son corps de chair" (Col 1,22), nous unir à lui
dans le moment
suprême de son passage au
Père que nous allons vivre sacramentellement.
C'est le moment
pour nous d'arracher
notre masque, d'oublier
notre personnage, cette image
rêvée de nous-mêmes
que nous projetons
sans cesse devant nous et devant
les autres ; c'est le moment
de faire miséricorde, nous qui
avons tant besoin d'être supportés et pardonnés
; c'est l'occasion de détruire
en nous toutes
les barrières artificielles élevées par nos petitesses, et même
par nos choix spirituels intolérants, d'éliminer notre manie de cataloguer
et d'étiqueter les gens et les
attitudes.
C'est le moment
de redire personnellement,
comme si c'était
vrai de nous
seul : "Seigneur, aie
pitié du pécheur que je suis".