Transfiguration
Mc 9,2-13
² Si Jésus n'avait pas pris
volontairement la condition de Serviteur, la Transfiguration aurait été son lot
quotidien. La gloire qui l'habitait aurait transparu chaque jour dans son
humanité sainte.
Mais cela, c'est de l'imagination, c'est
une hypothèse, ce n'est pas de la théologie, car l'authentique théologie est un
langage sur ce que Dieu est et ce que Dieu a fait "pour nous les hommes et
pour notre salut".
Or ce que Dieu a choisi, réellement,
c'est l'incarnation de son Fils, dans l'humilité, dans la modestie, dans la
pauvreté de Nazareth ; et la lumière éclatante de la Transfiguration, qui nous
parle de gloire, d'union indicible avec le Père, nous révèle, par contraste,
l'humilité du quotidien de Jésus. L'intensité de sa gloire est telle que même
les vêtements de Jésus deviennent éblouissants. C'étaient pourtant des
vêtements de charpentier.
C'est bien pourquoi la fête du
Transfiguré est si chère à tous les cœurs contemplatifs : au-delà des prises de
notre intelligence, elle déploie pour notre cœur le paradoxe inouï de la
personne de Jésus, vrai Dieu et vrai homme, vrai charpentier métamorphosé un instant
par la gloire.
² Désormais Pierre, Jacques et
Jean sauront que le salut n'est qu'en Jésus, et que les temps de Moïse et
d'Élie sont passés.
C'est tout le sens de la méprise de
Pierre :"Rabbi, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes
!" Trois tentes, Pierre ? mais il y en aurait deux de trop ! Faire trois
tentes, ce serait aligner Jésus sur Moïse ou Élie: Jésus serait l'un des prophètes,
sans plus !
C'est pourquoi Dieu le Père écarte l'initiative
brouillonne de Pierre. Tout comme Dieu a bâti pour David une maison-dynastie,
sans que David ait à bâtir sa maison au Seigneur, Dieu couvre les
disciples de la nuée sans qu'ils aient pu bâtir leurs tentes de mains d'hommes.
Et la voix venue du ciel commente le
geste de Dieu :"Celui-ci est mon Fils bien-aimé". "Celui-ci",
dit la voix ; et les disciples ne voient plus que Jésus seul, comme au jour du
Baptême où le vol de la colombe avait désigné Jésus seul, Jésus, le Bien-Aimé.
² C'est bien ce que nous avons
à vivre chaque jour dans la foi.
Sortant en quelque sorte de la nuée théophanique,
quand nous quittons l'oraison ou l'Eucharistie, nous ne voyons plus, dans l'ordinaire,
que Jésus, "seul avec nous", en habits de charpentier. Mais chaque
fois qu'il plaît à Dieu de "révéler son Fils en nous", nous
percevons, à l'intime de nous-mêmes, transmise et amplifiée par l'Esprit Paraclet,
la voix révélante du Père :"Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le
!"
Et nous nous sentons moins seuls et plus
forts en descendant de la montagne.
Écouter Jésus, le Bien-Aimé, c'est
adhérer à Dieu tel qu'il nous le révèle ;
c'est aussi regarder le monde comme il le regarde,
et nous ouvrir au salut, à la vie nouvelle, que Jésus
nous offre.
Écouter Jésus, c'est garder Dieu et son
amour à l'horizon de notre vie,
et entrer dans son dessein, jour après jour,
parmi ceux qu'il nous donne à aimer et à servir.
Écouter Jésus, c'est nous tourner
résolument vers l'avenir et rester aux avant-postes de l'espérance,
"puisque, en Jésus Christ, Dieu nous donne de croire en l'homme et nous
rend capables de transformer le monde selon son désir"(rapport Dagens,
1033a).
C'est la même espérance qui, au-delà de
nos tâches terrestres, nous fait vivre dès aujourd'hui "plus haut que ce
qui meurt" (Elisabeth).
Car si la gloire de Dieu, c'est l'homme
vivant, la vie de l'homme, c'est la vision de Dieu.