"Allez par le monde entier"
Mc 16,9-15
L'Évangile que nous lisons
aujourd'hui tranche un peu sur tous les
autres de cette semaine. Il ne s'agit plus d'un récit vivant et coloré, mais
d'une sorte de résumé des apparitions de Jésus Ressuscité.
Nous le trouvons tout à la fin de
l'Évangile de Marc ("finale longue de Marc"), qui fait partie des
Écritures inspirées, bien que probablement Marc ne soit pas l'auteur de ces
quelques versets. Les matériaux ont été pris, semble-t-il, dans les traditions
de Luc et de Jean ; et, de toute façon, nous avons là une relique authentique
de la première génération chrétienne. C'est à ce titre que l'Église l'accueille
dans sa liturgie pascale.
² Tout au long de cette
semaine, nous avons pu relever trois constantes dans les récits d'apparitions
du Sauveur :
–
l'initiative
venait de Jésus,
–
la reconnaissance
de Jésus se faisait toujours progressivement,
–
chaque
rencontre du Ressuscité débouchait sur une mission pour les disciples.
Aujourd'hui encore :
- l'initiative de Jésus est soulignée … Jésus apparut (se fit voir),
…
Jésus se manifesta sous un autre forme,
…
Jésus se manifesta aux Onze eux-mêmes.
- le
thème de la reconnaissance de Jésus est présent, lui aussi, mais renversé, en
quelque sorte : l'Évangile souligne par trois fois l'incrédulité des compagnons
de Jésus :
ils refusent de croire Marie-Madeleine,
ils refusent de croire les deux
disciples qui revenaient de la campagne (=Emmaüs),
Jésus lui-même reproche aux Onze leur
entêtement à ne pas croire ceux qui l'avaient vu ressuscité.
- mais l'accent principal de l'Évangile
porte aujourd'hui sur la mission universelle.
Il ne s'agit plus seulement de porter la nouvelle à
Pierre et aux autres disciples rassemblés à Jérusalem, mais de partir dans le
monde entier et de proclamer la victoire de Jésus à toute la création.
² Si nous laissons l'Esprit
Saint nous interroger à partir de ces paroles de l'Évangile d'aujourd'hui, nous
nous rendons très vite compte que ces quelques versets, d'apparence anodine,
reflètent exactement notre situation actuelle de témoins du Christ et les
principales tensions que nous connaissons dans notre itinéraire spirituel.
Tensions dans notre vie face aux
initiatives de Jésus. Nous l'avons découvert, reconnu, accueilli, au moment du
premier don, mais, les années passant, il nous arrive de constater que, par
moments, nous avons transféré notre trésor ailleurs et que notre cœur est
ailleurs aussi, là où se trouve l'autre trésor.
Dès lors Jésus vivant, Jésus ressuscité,
quand de nouveau il prend l'initiative de nous rencontrer, de croiser notre
route, nous apparaît comme un étranger, difficilement reconnaissable.
Tensions au cœur même de notre foi et de
notre espérance, lorsqu'il s'agit justement de rejoindre le Vivant, le
Ressuscité, non pas dans l'euphorie d'une présence sentie, claire pour les yeux
et chaude pour le cœur, mais humblement, quotidiennement, à partir du
témoignage des Écritures et sous les traits de sa communauté souffrante. C'est
la difficulté de croire sans avoir vu, de tout miser sur la parole du Maître.
Tensions, enfin, au niveau de la
mission.
À qui, en effet, Jésus confie-t-il le message
universel ? – à ceux et à celles qu'il vient de trouver incrédules, entêtés,
lents à croire. Pourtant "il nous est impossible de ne pas dire ce que
nous avons vu et entendu". Porteurs d'une nouvelle bouleversante pour le
monde, nous portons en même temps le poids de nos lenteurs, de nos velléités,
de nos réticences et de nos reprises. Jésus nous confie la flamme qui peut
allumer dans le monde l'incendie de la charité, mais nous la portons "dans
des vases d'argile".
L'amour du Christ, toutefois, est si
fort, si personnel, si rédempteur, qu'il nous interdit de nous laisser
paralyser par notre misère. La mission est là, belle, urgente, décisive, et
"il est fidèle, le Dieu qui nous a appelés à la communion de son
Fils".
C'est encore lui qui fera cela.