"Les temps sont accomplis"
Mc 1,14-20
La première chose que Jésus a proclamée
au début de son ministère est une parole d'espérance : " Les temps sont
accomplis, le Règne de Dieu est tout proche",
Les temps sont accomplis, ceux dont Dieu gardait le secret.
Et parce que Dieu a jugé que le monde avait suffisamment mûri, son Règne est
là, parmi les hommes, en son Fils, Jésus de Nazareth.
En réponse à cette avance inouïe que
Dieu nous fait en son Fils, que nous demande-t-il ?
- Deux choses indissociables : la conversion et la foi
:
"convertissez-vous" … "croyez à la bonne nouvelle",
croyez à l'espérance.
La conversion et la foi : impossible de vivre l'une sans l'autre. Si
nous nous convertissons, si nous tournons le dos à nos idoles, c'est pour
donner notre foi à Jésus-Christ ; et inversement, venir à Jésus-Christ, c'est accueillir
un amour qui nous transforme, et c'est cela, la conversion.
La liturgie de ce dimanche nous propose
successivement trois manières de vivre cette foi de converti et cette conversion
du croyant.
² La première nous est suggérée
dans l'Ancien Testament par le livre de Jonas.
À la parole de Jonas, les milliers d'habitants de
Ninive, la grande ville, tous des païens jusque là, "se détournent de leur
conduite mauvaise". De même, c'est un réflexe immédiat chez celui ou celle
qui rencontre le Christ, son visage, sa parole ; il lui faut faire la vérité et
replacer sa vie dans la lumière, courageusement, librement.
² Un deuxième type de
conversion est présenté par saint Paul aux nouveaux chrétiens du port de Corinthe.
Il commence par une image de marin :"Le temps se fait court ; le temps a
cargué ses voiles", comme on amène les voiles d'un bateau quand le port
est en vue. L'humanité déjà touche au port, puisque le Christ est déjà ressuscité.
Même s'il nous faut attendre sa venue en gloire, nous vivons déjà de lui, et la
vie de témoins qui nous est offerte nous fait atteindre, en Jésus Christ, notre
vraie stature d'adultes chrétiens, en transformant notre relation aux autres,
notre relation aux choses, notre relation à nous-mêmes.
Puisque le temps se fait court, puisque
nous sommes entrés dans le temps de la mission, avec la hâte de "voyageurs
en ce monde" ; notre relation change avec ceux que nous aimons, et saint
Paul écrit cette phrase étonnante :
"Que ceux qui ont une femme soient comme s'ils
n'en avaient pas".
Comment comprendre cela ? Il ne s'agit pas, bien sûr,
d'aimer seulement en apparence, mais de dire adieu à toute volonté de possession,
de renoncer une fois pour toutes à l'illusion d'un amour qui échapperait au
temps ; il s'agit d'aimer le conjoint comme en marche lui aussi, vers un bonheur
et une plénitude que Dieu seul pourra lui donner; il s'agit, pour les deux
époux, de s'aimer en Dieu, tendus vers un même héritage.
Puisque le temps se fait court, puisque
déjà, dans le Christ, nous touchons au port, notre rapport aux choses se
présente autrement :
"Que ceux qui achètent soient comme s'ils ne
possédaient pas ;
que ceux qui
tirent profit de ce monde, comme s'ils n'en profitaient pas vraiment".
Là encore, il n'est pas question de déprécier le
travail d'un homme ni de dévaloriser sa compétence, mais simplement – et c'est
tout un programme – de ne pas s'aliéner dans les choses, les choses possédées
comme les choses à faire.
Le but est que le travail et l'usage de
ce monde redeviennent un service de Dieu et de l'homme, et une attente active
de la venue du Maître.
Puisque le temps se fait court et que
chaque jour la vie éternelle est à portée de notre foi, notre propre cœur peut
jeter l'ancre dans le monde de Dieu où Jésus est entré :
"Que ceux qui pleurent soient comme s'ils ne
pleuraient pas,
ceux qui se
réjouissent comme s'ils ne se réjouissaient pas".
Certes, il faut
rire et chanter, demeurer jeune avec les jeunes ; certes, il faut compatir et
ne pas se cuirasser contre le chagrin. Le but réel n'est pas de se déshumaniser
par une sorte d'indifférence à la douleur et à la joie, mais de replacer toute
joie et toute souffrance sur l'axe de l'espérance chrétienne, car "elle
passe, elle est en train de passer, la figure de ce monde".
²
Liberté
du cœur, dépossession, référence à la vraie vie, ces réflexes que Paul
inculquait aux Corinthiens se retrouvent dans la troisième réponse de foi que
nous présente la liturgie, et qui consiste à suivre Jésus et à entrer dans sa
mission.
Pierre et André, sans un mot, ont laissé
leurs filets, leur gagne-pain, leur tâche d'hommes ; et cela sur un simple
appel de Jésus :"Ils le suivirent …ils partirent derrière lui", dit
l'Évangile. C'est à cette décision que conduisent toute vraie conversion et
tout accueil authentique de la vie nouvelle.
On peut suivre Jésus de bien des
manières. On peut le suivre seul, on peut le suivre avec femme et enfants, avec
mari et famille. On peut le suivre dès sa jeunesse, ou dans la longue patience
de la vie monastique. C'est toujours le service du même Seigneur,
l'épanouissement de la même foi, de l'unique baptême.
Jésus passe à toute heure de la vie au bord du lac de
notre histoire personnelle, familiale, communautaire. Dans un instant, présent
en nous par son Eucharistie, il nous fera réentendre l'appel du premier jour,
et en silence, dans notre cœur, nous nous lèverons
pour le suivre.