"Vous, les scribes"
Lc 11,47-54
Deux attitudes paralysantes pour la vie spirituelle sont stigmatisées aujourd'hui dans l'Évangile : Jésus s'en prend à ceux qui tuent les prophètes et à ceux qui enlèvent la clef de la science.
² Tuer les prophètes, c'est la tentation de toutes les époques.
Les prophètes sont toujours gênants:
- parce qu'ils laissent faire l'Esprit;
- parce qu'ils ont reçu de Dieu une mission de diagnostic spirituel et qu'ils voient toujours au-delà de l'événement brut: pour eux le moment présent (le kaïros) n'a de sens qu'en fonction du bonheur définitif que Dieu prépare à ceux qui l'aiment;
- parce qu'ils nous réfèrent à Dieu seul, avenir absolu, et réveillent en nous une insécurité salutaire.
De tout temps on a tué les prophètes, on a éliminé les porteurs de charismes.
Mais de tout temps aussi se sont levés de faux prophètes qui n'avaient pas été envoyés; et à toute époque il s'est trouvé des chrétiens pour imposer agressivement des charismes qu'ils avaient ou revendiquer des charismes qu'ils n'avaient pas. C'est pourquoi l'Église, suivant l'exemple de saint Paul, a dû rappeler bien des fois les trois critères qui authentifient les charismes:
- les vrais charismes construisent toujours la communauté vivante;
- les porteurs de vrais charismes acceptent la régulation fraternelle,
- et ils reconnaissent comme nécessaire et structurante l'autorité apostolique.
² Le deuxième reproche du Seigneur s'adresse à ceux qui ont enlevé la clef de la science.
Pour eux, la vraie connaissance de Dieu est avant tout un domaine réservé. Ils savent où trouver cette richesse, et cela leur suffit. Ils n'entrent pas eux-mêmes pour l'explorer, et ils en condamnent la porte, oubliant ou négligeant tous ceux qui ont besoin de croire et d'espérer pour vivre.
Ne croyons pas que ce réflexe soit réservé dans l'Église à ceux qui enseignent, car la même tentation de possessivité guette tous ceux et toutes celles qui considèrent la foi comme un jardin fermé dont ils gardent jalousement l'accès. Même s'ils mesurent bien la grâce immense que représente l'amitié du Christ, il leur suffit de l'avoir reçue, et ils ne se soucient aucunement de partager avec d'autres leur joie et leur certitude.
Il est clair cependant qu'en s'adressant aux scribes Jésus vise particulièrement ceux qui ont un pouvoir sur l'opinion ou une responsabilité dans la formation des consciences. Ils peuvent ôter aux autres la clef de la connaissance par l'usage d'un jargon hermétique, par l'intransigeance de leurs thèses ou par des pressions idéologiques. Parfois même ils ferment la porte en s'en allant parce qu'ils ont perdu eux-mêmes l'envie d'entrer de nouveau, humblement, dans le jardin de la foi. Loin de se laisser mesurer par la parole de Dieu, ils deviennent eux-mêmes peu à peu la mesure de ce qu'ils acceptent de croire. Aucune vérité nouvelle ne pénètre désormais dans le coffre toujours scellé. Ils serrent les mains sur leur premier trésor, mais comme sur une chose inerte et morte; ils ont mis la lumière sous le boisseau.
² Dieu refuse cette stérilité, Dieu ne veut pas de ce gâchis, lui qui a envoyé son Unique dans le monde pour éclairer tout homme, lui qui veut briller dans le cœur de tout homme pour y faire resplendir la connaissance de sa gloire qui est sur la face du Christ. Il veut que tous parviennent à la vérité tout entière, et ce que les sages et les savants parfois ne savent plus estimer ni accueillir, Lui, le Père des lumières sait par quels chemins du cœur le révéler aux petits.
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