Vieux habits et vin nouveau

                                                                                                                                      Lc 5,33-39

 

   

Les choses vieillissent plus ou moins bien, et la sagesse, souvent, consiste à s'en accommoder. C'est cette sagesse que Jésus ressaisit et transpose, dans ses deux paraboles, pour ouvrir le cœur des disciples à la nouveauté de son Evangile.

 

² Les vêtements vieillissent mal.

Même si l'on en prend soin, vient le moment où ils se lustrent, se trouent, puis s'effilochent. On ne peut que les repriser plusieurs fois, puis, quand on les a usés raisonnablement, on en change, veste pour veste, pull pour pull, sans faire de détail. Il serait désastreux de tailler des pièces dans un vêtement neuf pour les recoudre sur un vieux: à la première lessive, les déchirures seraient irrémédiables.

C'est pourquoi ni Jésus ni sa communauté n'ont tenté de découper des morceaux d'évangile pour rajeunir et sauver des interprétations de la Loi totalement incompatibles avec l'alliance nouvelle.

De même il ne peut être question, dans les communautés chrétiennes, de sacrifier des forces de renouveau pour prolonger artificiellement des expériences qui ont fait leur temps ou des formules d'action que la vie a désertées; sinon les communautés iront de tensions en déchirures, et l'on aura hypothéqué gravement l'avenir de la mission.

La même sagesse spirituelle doit prévaloir dans la vie spirituelle de chacun. Il faut savoir jeter, éliminer, remplacer des réflexes qui nous sclérosent, des options qui nous fixent sur la médiocrité, des structures mentales qui nous détournent de l'Évangile, car dans ces domaines les compromis arrachent toujours le tissu de la fidélité.

 

² Le vin lui, vieillit bien, s'il est de qualité.

Plus il est vieux, meilleur il est. On sait toujours quoi faire du vin vieux, et le conserver n'est pas un problème. Les problèmes apparaissent, au contraire, tous les ans, avec le vin nouveau. Les vieilles outres ne résisteraient pas à la pression: si l'on veut garder du vin nouveau, il faut investir dans des outres nouvelles.

Et quand on a à la fois vin nouveau et outres neuves, on n'a encore qu'une espérance de bon vin, car c'est le vin vieux qui est bon, et il y faut du temps, de la patience et de l'amour.

Une double sagesse est donc requise du vigneron: ne pas minimiser la force du vin nouveau; savoir attendre qu'il tienne ses promesses.

 

Quant à nous, qui recueillons directement de Jésus le vin nouveau de l'Evangile, un discernement plus délicat encore nous est demandé. Quelles outres allons-nous présenter au Seigneur? Si les outres de nos vendanges passées ont pris de l'âge, n'est-ce pas lui seul qui pourra nous fournir des outres nouvelles, dignes de son vin? Et maintenant que le Christ nous donne à la fois son Evangile et un cœur nouveau, rajeuni par sa miséricorde, saurons-nous, comme Dieu, travailler avec le temps?

 

Certes l'Évangile, depuis le premier jour, est "force de salut pour tout croyant" (Rm 1,16); mais le bon vin, au goût de Dieu, c'est l'Évangile qui a vieilli dans un cœur.

 

 

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