"Je suis avec vous depuis si longtemps!"

Jn 14,6-14

 

 

pour une sœur centenaire

 

 

² "Je suis avec vous depuis si longtemps!"

Cette confidence de Jésus à ses disciples, quelques heures avant sa passion, résonne sans doute encore, ma Sœur, à une profondeur nouvelle, aujourd'hui où vous fêtez votre centième année, entourée de l'affection de toutes vos sœurs. Depuis si longtemps le Christ est avec vous; depuis si longtemps il vous a choisie et vous l'avez préféré!

Remercier Dieu pour cent ans de vie baptismale, c'est une grande joie sur la terre, déjà en prise sur la joie du ciel; c'est une fête du fond de l'être, mais partagée par tant de cœurs; c'est l'accueil, dans la petitesse, d'une "gran­de chose" que Dieu a faite. Le jour des cent ans est une grâce si rare que l'Église en fait toujours un mémorial de la fidélité du Seigneur; mais c'est un jour qui passe, lui aussi, et qui vous fait passer de ce monde au Père qui aime le monde et qui vous a si longtemps aimée dans ce monde.

C'est un jour que l'on salue d'abord de très loin, puis, à mesure qu'il approche, tour à tour on l'espère et on le craint. Quand il arrive, c'est un beau jour ordinaire, comme Dieu les aime, un jour comme tous les autres, à remplir de louange et d'amour; et demain, vous direz, en songeant à lui: "Il y eut un matin; il y eut un soir. Ce fut le 36500ème jour de ma création". Et vous ajouterez peut-être, à l'unisson de votre Créateur: "J'ai pu voir que tout cela était bon. Je sais, aujourd'hui plus que jamais, que la vie est un cadeau merveilleux, et que le temps est toujours fécond dès lors que l'on vit pour aimer"

 

² Les longues années que vous avez traversées et l'espérance qui a grandi en vous vous font aussi reprendre avec plus d'intensité et de véhémence la prière de l'apôtre Philippe à Jésus: "Seigneur, montre-nous le Père; montre-moi le Père!"

Ce Philippe qui attend ainsi de Jésus une évidence est l'un des premiers disciples qui lui ont fait confiance (Jn 1,43-47), l'un des plus prompts aussi à conduire au Maître d'autres hommes de bonne volonté (12,21s). Lors de la multiplication des pains, c'est lui qui disait: "Acheter des pains ne suffira jamais!" De fait, même les pains de Jésus n'ont pas suffi à lui révéler le mystère du Fils, puisqu'il demande encore: "Montre-nous le Père; cela (seul) nous suffira!" C'est une théophanie que Philippe réclame, comme Moïse, qui demandait à Dieu: "Montre-moi donc ta gloire!" (Ex 33,18).

Ce que Philippe n'a pas saisi, pas plus que les autres disciples, c'est que Jésus est en lui-même théophanie, "manifestation de Dieu", puisqu'il est dans le Père et que le Père est en lui. Tout ce qui est visible de Dieu est visible en Jésus. Celui qui voit Jésus des yeux de la foi, voit déjà le Père: aucune autre vision de Dieu ne sera donnée aux hommes sur la terre, aucune expérience de Dieu ne leur sera accordée qui ne passe par Jésus, sa parole et ses œuvres; aucune immédiateté ne viendra jamais disqualifier la médiation du Fils.

Parfois, dans notre désir de rejoindre et de saisir Dieu, nous sommes gagnés par l'impatience de Philippe. Or "nul n'a jamais vu Dieu" (1,18); "nul n'a vu le Père, si ce n'est celui qui vient de Dieu; lui a vu le Père" (6,46). Même dans la gloire, nous ne verrons pas le Père sans le Fils, parce que la gloire est précisément l'union indicible du Père et de son Fils, scellée et rendue éclatante par l'Esprit Saint.

 

² Ainsi, ma Sœur, au moment où, réunis pour l'Eucharistie, nous fêtons votre longue marche sur le chemin de Dieu, la voix même de Jésus nous rappelle qu'on ne rejoint le Père qu'en adhérant de plein cœur au mystère de ses choix, à son œuvre dans le temps des hommes, à la parole qu'il a confiée à son Fils.

Vous avez aimé passionnément cette parole; vous en avez cherché l'écho direct dans la langue des Apôtres: qu'elle soit longtemps encore le psaume de votre cœur et "la lanterne pour vos pas". Qu'elle vous redise chaque  jour combien vous êtes aimée de Jésus et du Père, au-delà de toute prise, de tout repos et de toute évidence. Qu'elle vous rende très douce l'approche du mystère. Qu'elle dessine déjà à l'intime de vous-même l'icône de Celui qui vous attend.

Qu'elle garde allumée la lampe de votre cœur pour la minuit où le cri jaillira: "Voici l'Époux qui vient. Allez à sa rencontre!"

 

 

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