"Il ne verra jamais la
mort"
Jn 8,51-59
"Abraham est mort, et les prophètes aussi ! "
² Tout le monde meurt ... Voilà l'argument des sceptiques quand Jésus parle de vie. C'est encore l'objection qui surgit de nos jours quand l'Église parle d'espérance. Tout meurt: les civilisations, les nations, les idéologies, et souvent l'on entend des chrétiens ajouter: tout meurt dans l'Église, les dogmes, les institutions, les styles de prière et les expressions liturgiques; tout meurt, même les formes diverses de la vie consacrée.
Malgré l'élan de renouveau suscité par le Concile, il arrive que les disciples de Jésus se laissent entamer par l'antimessage, le message de la mort.
Le monde est là, pourtant, ce monde que Dieu aime et qu'il veut à tout prix sauver, ce monde en quête d'une espérance et d'une vie; mais les porteurs de cette espérance et les témoins de cette vie se laissent paralyser par la peur de mourir, par la crainte de perdre toute sécurité et toute assurance d'avenir pour leur existence collective. Alors, sournoise, vient la tentation de perdre cœur à l'ouvrage et de baisser les bras. Et cependant la moisson est là, et les ouvriers peu nombreux.
² Nos communautés de consacrés, en plein monde ou au cloître, n'échappent pas aux interrogations douloureuses de notre époque, et nous sentons de plus en plus la difficulté de trouver, pour le monde contemporain, un langage qui parle et un visage qui attire. Ne sachant plus comment paraître, nous renonçons trop vite à être ce que nous sommes, et parfois nous abordons l'avenir, notre avenir, comme des gens déjà résignés, "nous, les pauvres, qui pourrions faire tant de riches!" (2 Co 6,10).
"Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté?"; tel est le reproche que Jésus pourrait nous adresser, tout en renouvelant sa promesse: "Si quelqu'un garde ma parole, il ne verra jamais la mort!"
Viennent la fin d'une tranquillité ou d'un style, la fin de quelques murs ou de quelques usages, ce ne sera jamais la seconde mort, la seule qui sépare de l'amour. Les projets peuvent se perdre dans les sables, l'espoir d'une relève cesser brutalement dans un secteur d'Église et le renom d'une communauté passer à une autre, cela n'empêche pas le Ressuscité d'être le chef de la vie et sanctifier le monde, avec nous sans nous; cela n'empêche pas sa parole de retentir dans le monde pour y apporter l'espérance.
² Il devrait suffire à notre joie de nous savoir les serviteurs et les servantes d'un tel Maître, et de nous rappeler que le mystère de nos vies rejoint le mystère de la sienne.
"Si quelqu'un garde ma parole, il ne goûtera jamais la mort"; il ne fera jamais l'expérience de la mort. Oui, quand nous habitons vraiment la parole de Jésus, certaines de nos tristesses deviennent impensables, comme autant de trahison de l'amour, et nous chassons certaines lassitudes comme autant de vertiges dangereux. Nous accueillons totalement, là où nous sommes, les forces du renouveau, et nulle part, ni dans l'Église ni en nous, nous ne laissons ramper "l'ombre de la mort".
Car Jésus, le Frère des hommes, "se trouve, à cause de la mort qu'il a soufferte, couronné de gloire et d'honneur. Par la grâce de Dieu, c'est pour tout homme qu'il a goûté la mort, afin de délivrer ceux qui, par crainte de la mort, passaient leur vie dans une situation d'esclaves" (Hb 2,9.15).