Jésus lumière du monde

Jn 8,12-14

 

 

 

 

"Moi, dit Jésus, je suis la lumière du monde".

 

 

 

Déjà le Prologue de l'Évangile de Jean déclarait, au sujet du Logos, dès avant l'incarnation du Fils: "En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes". Le Logos, source de la vie physique et de la vie plénière avec Dieu, est depuis toujours, pour les hommes, la lumière qui fait connaître Dieu et montre le chemin qui mène à lui.

Ici Jésus, le Logos devenu chair, reprend la même révélation en inversant les termes de vie et de lumière: "Je suis la lumière du monde: celui qui me suit aura la lumière de la vie." Cette parole de Jésus prend tout son relief si on la replace:

-              dans le contexte des controverses passionnées du chapitre huitième de saint Jean,

-              sur la toile de fond des Écritures,

-              et dans le cadre de notre vie quotidienne de disciples du Christ.

 

²   Jésus enseignait dans le Temple près de la salle du Trésor, donc non loin du parvis des femmes, au cours de la fête des Huttes, les Sukkôt, dont les festivités s'étalaient sur huit jours. Deux rites principaux solenni­saient les Sukkôt.

D'abord celui qu'on appelait "le puisage de l'eau". Les hommes remontaient, en chantant, de la source de Gihôn, pour verser de l'eau fraîche sur les bases de l'autel. Jésus, quelques jours auparavant, avait saisi cette occasion, au beau milieu de la fête, pour s'écrier: "Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi !" (7,37).

L'autre rite traditionnel concernait la lumière. La première nuit de la fête des Huttes, et peut-être aussi les autres nuits, on allumait quatre immenses candélabres d'or devant le parvis des femmes, le plus proche de la ville. Chacun des candélabres portait à son sommet quatre vasques d'or remplies d'huile, que l'on atteignait avec des échelles. Flottant dans ces vasques, des mèches, faites avec les ceintures des prêtres, brûlaient la nuit en permanence et éclairaient tout un quartier de Jérusalem.

 

Jésus profite de l'événement pour déclarer avec solennité: "Moi, je suis la lumière" - non seulement la lumière pour la ville sainte, mais la lumière du monde entier. "Qui me suit", d'où qu'il vienne et où qu'il soit, "ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie". Déjà, dans les chapitres précédents de l'Évangile de Jean, Jésus s'est présenté comme le pain de la vie, parce que sa parole nourrit la foi pour la vie éternelle, et comme celui qui, par sa parole, donne l'eau vive à tout croyant. Ici Jésus se proclame lumière de la vie, parce que sa parole peut transformer l'homme qui la reçoit librement."Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde", dira Jésus peu de temps après, au moment d'ouvrir à la foi les yeux d'un aveugle (Jn 9,5).

Jésus est lumière de la vie de plusieurs manières.

D'abord parce qu'il illumine l'intelligence de l'homme et l'attire vers la vérité. Jésus est la lampe placée bien en vue sur le lampadaire pour offrir sa lumière à tous ceux qui veulent entrer (Lc 11,33); et c'est pourquoi il enseigne en paraboles, pour rester constamment accessible (Lc 8,16). Mais Jésus-lumière ne se contente pas d'inviter l'homme à une connaissance nouvelle; il l'appelle à marcher à sa suite, il le guide pour sortir de la nuit et rejoindre la vie qui est dans le Père: "Moi, lumière, je suis venu dans le monde pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres" (Jn 12,42).

 

²   En éclairant ainsi chaque homme et en le guidant sur la route, Jésus-lumière vient combler l'attente des hommes de l'ancienne Alliance.

Déjà le livre de l'Exode associait à l'eau jaillie du rocher la colonne de feu qui guidait Israël dans la nuit du désert ; et le midrash de Sagesse 18,3-4 identifie cette colonne lumineuse avec la lumière impérissable de la Loi. La tradition des sages, en effet, aimait à parler de la Torah et de la parole de Dieu comme d'une lumière : "Le précepte est une lampe, les exhortations de la discipline sont un chemin de vie" (Pr 6,23); "une lampe sur mes pas, ta parole, une lumière sur ma route" (Ps 119,105). La Sagesse elle-même, "plus radieuse que le soleil"(Sg 7,29), était décrite comme "un reflet de la lumière éternelle" (Sg 7,26).

Mais surtout le Messie espéré devait être porteur d'une lumière de la part de Dieu. On lisait dans la prophétie de l'Emmanuel: "Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient le pays de l'ombre, une lumière a resplendi" (Is 9,1). Et dans les Chants du Serviteur, au livre d'Isaïe, Dieu déclarait à son élu: "Je t'ai mis en réserve et je t'ai destiné à être la lumière des nations" (Is 42,6; cf.42,9).

Ces pressentiments et ces promesses de l'ancienne Alliance sont maintenant accomplis dans la personne de Jésus. Dieu, qui est lumière, "sans mélange de ténèbres" (1 Jn 1,4), est présent dans son Fils ; "la lumière est venue dans le monde" (Jn 3,19); et "en venant dans le monde, elle illumine tout homme" (Jn 1,9). Elle rayonne en Jésus, le Révélateur, qui s'identifie à elle dans une parole de majesté: "Moi, je suis la lumière du monde". Et depuis Jésus, qui la concentre tout entière, cette lumière de Dieu irradie jusqu'aux confins de la terre.

 

 

²   Mais cette lumière, destinée au monde entier que Dieu aime, veut également investir notre univers per­sonnel, notre cœur que Dieu revendique. Ceux qui suivent Jésus-lumière ne marchent pas dans les ténèbres, sans savoir où ils vont, sans rien voir du chemin, car lui sait d'où il vient et où il va, et avec lui nous savons d'où nous venons et où il nous faut aller: vers Dieu source et but, alpha et oméga, vers Dieu qui a donné la vie et donnera la gloire.

 

Quand on marche dans les ténèbres, on se trompe de chemin, même si l'on sait où l'on veut aller; on tâtonne ou l'on se blesse, on s'angoisse de se sentir perdu, on se désole de perdre du temps. Telles sont bien nos ténèbres quand nous marchons sans le Christ: nous avons l'impression de faire fausse route, de tourner en rond, d'avoir perdu nos repères, personnels ou communautaires; nous accumulons, personnellement ou en Communauté, des souffrances et des blessures qui seraient évitables; nous nous croyons perdus, individuellement ou collectivement, perdus, c'est-à-dire sans route pour le présent et parfois anxieux pour l'avenir. Les mois, les années passent, sans solution, sans ouverture, sans lumière.

 

Nous parvenons à redire, dans un sursaut de foi: Dieu est lumière, donc les ténèbres qui sont en moi ne viennent pas de lui. Le Fils est lumière, né de cette lumière. Jésus-lumière me rejoint sur la route. Jésus-lumière me dit : "là est la vie ". Jésus le vivant me dit : "ici est la lumière"; car en lui est la vie, et la vie est la lumière des hommes (Jn 1,4). Et pourtant les ténèbres sont là, dans l'histoire du monde, dans le destin des communautés, dans le quotidien des personnes. La nuit demeure, qu'il faut traverser; tout comme l'ivraie demeure, qu'il faut laisser croître. Le disciple du Christ n'est donc pas dispensé de rencontrer les ténèbres, de les rencontrer hors de lui-même, recouvrant le chemin qui voudrait prendre, de les trouver en lui lorsqu'il ne voit même pas le chemin à choisir, ou lorsque le chemin, pourtant authentique, lui semble étrange, nouveau, redoutable. Mais une grande certitude habite celui qui suit le Christ: la lumière du Christ luit dans nos ténèbres, dans mes ténèbres, et les té­nèbres ne peuvent pas l'arrêter ni la contraindre. Il est la lumière de la vie, la lumière vivante qui fait vivre.

 

Quand nous marchons vers Dieu, ce n'est pas le chemin qui est lumière, mais le Christ qui chemine avec nous, le Christ en qui nous avançons. "Même la ténèbre, pour lui, n'est pas ténèbre. Pour lui la nuit, comme le jour, illumine" (Ps 139,12). Notre assurance est en lui seul, et non pas dans une route que nous pourrions prévoir et baliser. En ce début du troisième millénaire, c'est le défi d'espérance qui est jeté à l'Église, aux communautés et à chacun de nous: pour aller où nous savons, il nous faut aller par où nous ne savons pas, en redisant chaque jour au Christ, notre seul Maître:

"En toi est la source de la vie,

 en ta lumière nous voyons la lumière" (Ps 36,10).

 

 

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