"Ma vie, c'est moi qui la donne"

Jn 10,17-18

 

  

 

 

 

 

Arrêtons-nous sur ces deux versets, qui donnent la clef des paroles de Jésus sur le troupeau et le pasteur.

 

² Après avoir parlé de l'unique bercail, Jésus ajoute: "Le Père m'aime, parce que moi, je dépose ma vie pour la reprendre ensuite". Quelques instants auparavant, Jésus mentionnait déjà le Père, à propos de la connaissance réciproque: "Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît et que je connais le Père". La réciprocité entre Jésus et les siens, entre le Pasteur et ses brebis, réciprocité de connaissance, d'amitié, d'amour, se modèle sur la réciprocité du Père et du Fils.

Comme souvent dans l'Évangile de Jean, la relation du Père et du Fils est au point de départ et au point d'arrivée; elle est la source et l'achèvement, et entre les deux, elle est le modèle contemplé. Or cet amour de Jésus pour le Père est l'amour du Fils incarné, et tant que Jésus vit sur la terre, son amour pour le Père est un amour qui s'incarne. Dans quoi? - dans l'obéissance filiale: "Le Père m'aime parce que je dépose ma vie: tel est le com­mandement que j'ai reçu de mon Père".

En donnant sa vie, Jésus pose l'acte suprême de l'obéissance, et pourtant c'est le moment le plus intense de sa liberté: "Ma vie, personne ne me la prend, mais je la dépose de moi-même". Son obéissance est libre, parce que c'est l'obéissance du Fils; sa liberté se traduit en obéissance, parce que c'est la liberté du Fils.

 

² Quelle lumière pour nous tous, en ce temps où chacune de nos existences peut se trouver traversée, crucifiée, par le mystère de l'obéissance, du service, de l'amour gratuit! Quelle force nous pouvons puiser dans ce courage et cette lucidité de Jésus! Tous, en effet, nous connaissons des moments où nous nous sentons lourds ou rétifs devant la volonté de Dieu, des heures où il nous est difficile de rester libres dans l'obéissance et de res­ter obéissants en vivant notre liberté. C'est alors qu'à la suite de Jésus, il nous faut revenir à une attitude vraiment filiale.

Tous nous sentons à certains jours que notre vie nous échappe, que notre temps s'émiette, apparemment sans résultat, que l'incertitude grandit et que l'installation ici ou là devient impossible. Les tâches journalières s'a­lour­­dissent, il faut faire face sur tous les fronts, et l'impression peut grandir en nous que notre vie nous est arrachée comme par lambeaux, et que nous sommes frustrés de la joie que nous attendions, du repos auquel nous avions droit, de l'estime ou de l'affection méritées par notre dévouement. Et la tentation peut se glisser en nous de porter le deuil de tout cela: "On me prend ma vie. On m'a pris ma vie! Je n'ai plus le droit d'exister, et je ne vis que pour les autres. Je ne reconnais plus l'homme ou la femme que j'étais!"

En songeant à ce que déjà nous avons donné, pour la vie du couple, pour l'avenir des enfants, pour le succès d'une entreprise ou d'une mission, sans regretter ces moments de fidélité, nous laissons parfois l'amertume s'infiltrer dans notre cœur, et nous dirions volontiers: "Qui pense à moi? Qui se soucie de mon bonheur? Qui a mesuré ma solitude?"

 

² C'est là que nous rejoint la parole de Jésus, parole courageuse, tonique, merveilleuse de liberté intérieure: "Ma vie, personne ne me la prend: je la dépose de moi-même!"

Jésus passait tout entier dans le don de lui-même, sans retour négatif sur son propre bonheur, puisque son bonheur était justement de se donner: "Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir" (Ac 20,35). Lui qui a senti si fort sa solitude humaine (Jn 6,66; Mt 26,40; Mc 14,50) gardait sans cesse comme points d'appui sa certitude d'être envoyé et son désir d'entrer dans le vouloir du Père:

          

 "Celui qui m'a envoyé est avec moi:

                          il ne m'a pas laissé seul,

                          parce que je fais toujours ce qui lui plaît" (Jn 8,16.29).

 

 

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