L’Esprit Paraclet et la
vie trinitaire
Jn 16,13-15
Rm 5,1-5
² Bien avant qu’il y eût des printemps sur la terre, avant même qu’il y eût une terre, des astres et des espaces cosmiques, avant qu’il y eût des hommes capables de comprendre et d’aimer, Dieu déjà, Dieu depuis toujours vivait son mystère, dans une sorte d’aujourd’hui éternel, mais toujours neuf, toujours jeune, comme une invention éternelle de joie, comme un émerveillement sans lassitude, comme un amour toujours naissant et toujours comblé.
Ce mystère du Dieu unique, qui est en lui-même échange et communion, nous aimons le chanter dans la grande doxologie: "Au bienheureux et unique souverain, au Dieu immortel et tout-puissant qui habite une lumière inaccessible, que nul homme n’a vu ni ne peut voir, à lui honneur et puissance pour les siècles sans fin!"
² C’est bien cette grandeur, cette beauté, cette lumière éternelle que nous célébrons à chaque fête de la Trinité; mais en chantant ainsi Dieu un en trois personnes, il nous est impossible de le prier comme un Dieu lointain, comme un Dieu étranger ou indifférent, comme le Dieu de l’ailleurs; car en se révélant comme Trinité de personnes, Dieu manifeste qu’il se tourne vers nous. C’est même à travers ce qu’il fait pour nous que Dieu révèle ce qu’il est en lui-même. Son mystère est impénétrable, mais il nous donne d’y pénétrer; son mystère "a été enveloppé de silence aux siècles éternels; mais aujourd’hui il est manifesté et porté à la connaissance de toutes les nations" (Rm 16, 25s).
Cette merveilleuse condescendance de Dieu, cette initiative qu’il prend de se faire connaître pour se donner à aimer, saint Paul la rappelait aux Romains avec enthousiasme (Rm 5,1-5), et il la décrivait comme une triple ouverture que Dieu nous fait. D’une part nous avons accès au monde de la grâce. Ce monde de la faveur de Dieu dans lequel "nous sommes établis", nous y avons accès par la foi, par notre adhésion à Jésus sauveur qui nous réconcilie avec Dieu notre Père. Ensuite nous avons accès au monde de la gloire. C’est même notre fierté que d’espérer en la gloire de Dieu, celle-là même que Jésus ressuscité partage dans l’Esprit Saint avec le Père et qu’il nous donnera en héritage lorsqu’il nous accueillera au-delà de la mort. Enfin - et c’est une troisième avance que Dieu nous fait - nous avons dès maintenant accès à l’amour de Dieu, à l’amour dont Dieu nous aime, là où nous sommes, là où nous en sommes. Cet amour, nous pouvons le rejoindre avec bonheur, avec certitude, parce que Dieu lui-même l’a mis en nous: "L’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné".
² Ainsi nous avons reçu l’Esprit Saint pour connaître et reconnaître les dons que le Père nous a faits, pour découvrir, émerveillés, ce que Dieu fait en nous aujourd’hui et ce qu’il est en nous depuis notre baptême. Car nous avons besoin d’être illuminés et menés par la main, dans ce monde à la fois si vrai et si étrange de la grâce, de la gloire et de l’amour. C’est bien pourquoi Jésus, quelques heures avant sa passion, nous a promis l’aide du Paraclet: "Quand il viendra, lui, l’Esprit de la vérité, il vous guidera vers la vérité tout entière". Et comment s’y prendra-t-il? - Il partira des paroles de Jésus: "Il recevra de ce qui est à moi et il vous l’annoncera". Il recevra de ce qui nous est commun, à moi et à mon Père, et il vous l’annoncera (Jn 16,14-15).
Voilà donc comment nous entrons, jour après jour, de prière en prière, dans le mystère de la Trinité sainte: les secrets du Père confiés à Jésus, ces secrets que Jésus nous a livrés dans ses paroles, l’Esprit Paraclet les rend vivants en nous; il nous les fait connaître peu à peu, pour nous y faire entrer, de joie en joie. Ce sont bien les secrets de Dieu pour nous, pour notre salut et notre gloire, mais c’est à travers ces gestes de Dieu que nous découvrons ce que Dieu a dans le cœur, et ce qu’il en est de son bonheur et de sa gloire.
² D’ailleurs, en nous guidant ainsi, nous les humains, vers la vérité tout entière, l’Esprit Paraclet travaille finalement à la gloire du Fils de Dieu, comme Jésus le déclare solennellement: "Il me glorifiera, car il recevra de ce qui est à moi, et il vous l’annoncera".
Partout, dans l’Église de Jésus, où sa parole est reprise et annoncée, l’Esprit Paraclet est à l’œuvre, glorifiant le Fils, glorifiant Dieu dans son Fils. À tout instant où, dans notre cœur de baptisés, la parole de Jésus s’éveille et devient vivante, c’est l’œuvre du Paraclet, c’est l’entrée, ici-bas, par l’Esprit Saint, dans la vie du Fils et du Père, cette vie qui est déjà la gloire et qui sera gloire pour les siècles sans fin.
Le Paraclet glorifie le Fils en nous lorsqu’il nous dévoile progressivement qui est Jésus, son être de Fils, son unité avec le Père, lorsqu’il nous fait comprendre par le cœur que tous les biens du Père sont aussi à Jésus.
L’activité remémorante du Paraclet, cette anamnèse par laquelle il nous annonce et nous dévoile la parole qu’il a reçue de Jésus, glorifie le Fils! Au creux de notre acte de foi, le Paraclet nous rend manifeste la gloire de Jésus, c’est-à-dire la densité et l’éclat de la sainteté qu’il a en commun avec le Père, le mystère de sa communion de Fils avec celui qui l’a engendré.
² Et nous entrons, pour notre part, pauvrement, joyeusement, dans cette glorification du Fils par le Paraclet: cela se passe en nous, cela passe par nous. Chaque fois que nous recevons de ce qui est à Jésus pour le communiquer, chaque fois que nous accueillons sa parole pour la faire fructifier dans l’Église ou en nous-mêmes, chaque fois que nous ouvrons l'Évangile pour éclairer notre vie personnelle ou communautaire, nous glorifions Jésus, ou mieux: nous laissons l’Esprit le glorifier en nous.
C’est le mystère qui s’accomplit dans le silence de l’oraison et qui sous-tend toute notre activité missionnaire. C’est le sens de toute liturgie de la parole, de toute catéchèse, de tout partage d’Évangile. C’était le but de ces quelques instants d’écoute du message johannique que nous venons de vivre ensemble devant Dieu, à la louange de sa gloire.