"Plein de grâce et de vérité"

Jn 1,14

 

  ² La gloire du Logos incarné, que nous avons contemplée à partir d'éléments visibles et tangibles, est la gloire du Fils, la gloire filiale dont il est revêtu dans son humanité et qu'il va manifester par son humanité ; c'est "la gloire qu'il possède en tant que Fils unique venu du Père" en notre chair d'homme. Dans son humanité, et parce qu'elle est celle du Fils, Jésus reçoit en plénitude la vie et la présence du Père, sa beauté et sa sainteté rayonnantes, la puissance avec laquelle il agit dans le monde et en l'homme ; et c'est en tout cela que réside sa gloire.

      Investi de la sorte, mystérieusement, par la gloire divine, Jésus, le Logos fait chair, s'est montré "plein de grâce [kharis] et de vérité [alèthéia]". Comment faut-il entendre cela? Comment orienter ici notre prière?


    ² Le mot "grâce" ne reparaîtra pas dans l'Évangile hors de ce Prologue, et il se trouve couplé, dans ce verset, avec "vérité". Selon toute vraisemblance, l'évangéliste emprunte ici à l'Ancien Testament, et de propos délibéré, le couple hesed et ’emet , si riche de portée théologique. Le hesed, c'est l'amour du Dieu de vie, sa grâce et sa miséricorde; la ’emet, c'est sa fidélité à son dessein de salut. Dieu lui-même se présente ainsi lors de la conclusion de l'Alliance : "Yahweh, Yahweh, le Dieu de tendresse et de pitié, riche en amour et en fidélité" (Ex 34,6) ; et ces deux termes reviennent souvent, jumelés, dans la langue des Psaumes. "Tous les sentiers de Yahweh sont amour et fidélité" (Ps 25,10), "amour et fidélité marchent devant sa face (89,15), et ils "se rencontrent" là où Yahweh instaure son règne (85,11). Dieu assigne amour et fidélité pour garder le roi (61,8) et chacun de ses fidèles (40,12; cf. Pr 3,3; 14,22), et le psalmiste rapporte la gloire à son Nom "pour son amour et sa fidélité" (115,1; cf.138,2).

   

    ² Sur cette toile de fond du langage de l'Alliance, la phrase du Prologue prend toute sa force concrète : l'Unique s'est fait chair, et le Père l'a rempli de sa "grâce" (kharis, hesed), c'est-à-dire qu'il a fait converger sur lui toute sa bonté gratuite et prévenante, toute sa capacité d'amour et de miséricorde; et il l'a comblé de sa "fidélité" (alèthéia,’emet), car, en l'offrant au monde, il a dit pour toujours son oui à l'Alliance, il a déposé d'avance en lui tout ce qu'il a promis de donner aux hommes.

 

² Cette fin du Prologue apparaît donc fortement marquée par des thèmes typiques de l'Alliance : la demeure, la joie, la grâce-amour et la vérité-fidélité. À vrai dire, s'agissant de la vérité, Jean, dans le corps de l'évangile, va enrichir hardiment la palette des significations. Il envisagera, non plus seulement la fidélité de Dieu à ses promesses de salut, mais la permanence de Dieu dans son être - elle aussi suggérée par la ’emet hébraïque - et la manifestation de son mystère. La vérité sera alors la réalité divine, toujours sainte et dynamique ; mais ce sera aussi la parole révélante authentifiée par Dieu, et même Jésus en personne, médiateur et sommet de cette révélation. L'évangéliste ne cessera de passer d'une nuance à l'autre pour mettre en lumière l'épiphanie de Dieu dans l'humanité de son Fils. Nous entendrons Jésus dire à ses ennemis : "Vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j'ai entendue de Dieu" (Jn 8,40) ; mais il répondra aussi, sans ambages, à Thomas, lors de la Cène: "Moi, je suis le chemin, la vérité et la vie" (Jn 14,6). La vérité est donc, en définitive, dans le quatrième évangile, la réalité de Dieu qui se donne, dans son Fils, a aimer et à connaître.

 

² Avec la venue sur terre du Fils unique, la révélation du Logos-Dieu est entrée dans sa phase ultime. Il faut maintenant que les hommes, en ce monde que Dieu aime, se situent librement devant l'Envoyé, devant ses œuvres de grâce et ses paroles de vérité ; il faut qu'ils reconnaissent sa gloire à partir de ses signes et qu'ils viennent à lui pour avoir la vie (Jn 5,40). C'est l'enjeu du récit qui va commencer, quelques versets plus loin, par le témoignage du Baptiste et l'appel des premiers disciples. C'est le choix que nous-mêmes refaisons tous les jours d'accueillir en Jésus l'avance que Dieu nous fait. Il y va de sa gloire, mais aussi de notre bonheur, car si peu que nous accueillions la lumière du Fils, nous demeurons dans son amour (Jn 14,9) et sa vérité nous rend libres (8,32).

 

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