"Il a fait sa demeure parmi nous"

Jn 1,14

 

   ² Pour entrer en profondeur dans ce verset, il nous faut faire un détour par le vocabulaire biblique.

On serait en droit de traduire, d'une manière encore plus concrète : "Il a planté sa tente parmi nous", car le verbe grec employé (skènoûn) renvoie souvent à la vie des nomades. Dans ce cas le Prologue ferait allusion à notre condition de voyageurs (1 P 2,11), que le Logos est venu partager, et peut être également à la brièveté de la vie de Jésus, abattu, lors de sa passion, comme un arbre en pleine sève (Lc 23,31). Mais le même verbe peut signifier, dans un sens plus large : "habiter, résider, séjourner ". On rejoint alors le thème, familier à l'Ancien Testament, de l'habitation de Dieu au milieu de son peuple [curieusement, on retrouve dans l'hébreu à peu près les mêmes consonnes s,k,n, que dans le verbe grec; hb. šâkan, habiter; miškân, la demeure].

Durant l'exode au désert le Dieu d'Israël faisait sa demeure dans une tente, la tente du Rendez-vous, qui se trouvait hors du camp (Ex 33,7-11; 29,45; 40,30s) et où Dieu parlait à Moïse (Nb 1,1; 17,19). La nuée reposait sur cette demeure, signalant la présence de la gloire de Dieu (Nb 9,18). De ce campement divin près du campement des hommes, le Seigneur disait : "Je donnerai rendez-vous aux fils d'Israël en ce lieu, et il sera sanctifié par ma gloire" (Ex 29,43; cf. Lv 26,11) ; "ils me feront un sanctuaire, que je puisse résider parmi eux" (Ex 25,8). Quand les douze tribus se seront sédentarisées en Canaan, Dieu habitera de manière stable au milieu des siens ; il investira de sa gloire le temple bâti par Salomon (1 R 8,10-11). C'est dans ce temple de Jérusalem qu'il révélera au prophète Isaïe sa gloire qui emplit la terre (Is 6,14).

Peu à peu c'est la ville elle même qui sera considérée comme la demeure du Dieu d'Israël, et les prophètes annonceront pour l'ère messianique une Sion restaurée, digne de son Seigneur : "Vous saurez alors que je suis Yahweh votre Dieu, qui habite à Sion, ma montagne sainte" (Jl 4,17-21); "Chante, réjouis toi, fille de Sion, car voici que je viens pour demeurer au milieu de toi, oracle de Yahweh " (Za 2,14).

 

² Le Logos, en prenant chair, est donc venu habiter parmi nous. C'est bien là une action proprement divine, et c'est une présence divine qui est ainsi réalisée; mais le lieu de cette présence n'est plus une tente, ni un temple, ni une ville, mais l'humanité bien visible de Jésus de Nazareth. Par son incarnation, le Logos-Dieu est présent parmi nous comme l'un de nous. Cette proximité et cette immersion dans l'humain dépassent tout ce que l'Ancien Testament avait pu attribuer à la Sagesse de Dieu. De celle-ci on pouvait dire, deux siècles avant le Christ : "Elle est apparue sur la terre, et elle a vécu parmi les hommes" (Ba 3,38) ; mais concrètement on voyait en elle la Loi, "laissée en partage, en héritage, aux assemblées de Jacob" (Si 24,23). Maintenant Dieu donne beaucoup plus. La Loi, certes, habitait chez les hommes ; et les hommes pouvaient rejoindre en elle la pensée et les desseins de Dieu, livrés en paroles saintes ; mais désormais le Logos demeure auprès de nous comme homme véritable. Ses paroles ont le son de sa voix ; ses désirs se lisent dans son regard, et sa douceur dans les gestes de ses mains.

 

 ² La venue du Logos dans la chair en un lieu de Judée et sous le règne d'Hérode se répercute dans toutes les dimensions de l'espace et du temps. Il a fait sa demeure "parmi nous", c'est-à-dire au cœur de l'humanité tout entière. Lui qui déjà "illuminait tout homme" (v. 9) s'est fait chair "pour nous les hommes et pour notre salut". En devenant l'homme Jésus, il assume l'humanité tout entière, sans distinction d'ethnie ni de culture. Et le Logos est devenu homme pour toujours, sans regret, sans reprise, sans retour, jusqu'au delà de la mort, jusque dans la gloire. Son incarnation n'est pas un essai parmi d'autres pour venir en aide aux hommes : il y a engagé toute sa puissance divine de salut. Dieu, par ailleurs, n'a pas de Logos de rechange qui ne se serait pas incarné, et son unique Logos  n'a pas d'humanité de rechange où il pourrait s'incarner encore. Le Logos de Dieu est né homme une fois pour toutes, et cet événement irréversible est devenu le pivot de l'histoire du monde.

  

Il a demeuré parmi nous, et il s'est plu chez nous car il était chez lui.

Par sa naissance parmi nous il a dit pour toujours le oui de Dieu au bonheur de l'homme, et il a inscrit dans le cœur de chacun la certitude qu'il a du prix aux yeux de celui qui l'appelle.

 

                                  [ Page d'accueil ] - [ Table de Jean ]