Le Logos et la création.
Jn 1,3
"Tout par lui a existé,
et sans lui rien n'a existé de ce qui existe".
² Le Logos, éternellement tourné vers Dieu, va être dit par Dieu hors de lui-même. La Parole, ainsi émise et proférée par Dieu, devient événement. En tant que dabar de Dieu, le Logos est à la fois parole dite, ordre donné, et événement. C'est lui qui fait surgir la création, en vis-à-vis de Dieu, et qui lance à la fois les êtres, le temps et l'espace.
² Tout a existé, tout est venu à l'existence, par lui. Déjà la tradition des sages voyait dans la Sagesse, "qui opère tout", "l'ouvrière de toutes choses" (Sg 8,6;7,21). Si tout a été créé par le Logos, c'est que le Logos est l'égal de Dieu, dont Paul dit: "Tout est de lui et par lui et pour lui "(Rm 11,36). Le Logos n'est pas, comme chez Philon, intermédiaire et subalterne. Il est inséparable du Père dans l'œuvre créatrice, comme l'écrit encore saint Paul en parlant du Christ, chef de l'univers: "Tout a été créé par lui et pour lui; il est avant tout, et en lui tout se tient" (Col 1,16; cf. 1 Co 8,6).
² À la manière sémitique, immédiatement après cette assertion sur le rôle du Logos, Jean exprime, com-me en écho, la même idée, mais dans une tournure négative: "Sans lui rien n'a existé de ce qui existe". Le pouvoir du Logos s'en trouve encore renforcé: rien de ce qui existe n'existe hors de lui, hors de sa puissance créatrice, hors de son emprise qui assure la cohérence de l'univers. Saint Paul le dit équivalemment, à propos du Christ: "Tout a été créé en lui, [..] le visible et l'invisible" (Col 1,16). C'est un thème que le judaïsme, aux alentours du premier siècle, aimait à développer au sujet du Dieu unique. On lit, en effet, dans la règle de la communauté de Qumran: "Par sa connaissance tout a existé; il affermit tout être par sa pensée, et en dehors de lui rien ne se fait" (1 QS 11,11)
² L'univers a donc été créé par le Logos, qui est pensée et parole, et il en reste marqué de plusieurs manières.
Tout d'abord le Logos, qui est l'auteur de la création, en demeure à jamais le modèle. Tous les êtres trouvent leur sens en lui, parce que chacun d'eux est un reflet de sa puissance et le fruit de son intuition.
De plus, par la création, le Logos-Parole se dit dans le monde qu'il crée, et dès lors l'univers entier porte l'empreinte du Verbe. Créé par la Parole, le monde devient langage en même temps qu'il vient à l'existence, et il se mettra à parler dès qu'un être pourra l'entendre et "reconnaître l'Artisan à partir de son œuvre" (Sg 13,1). En effet, comme le souligne saint Paul: "Depuis la création du monde, les œuvres de Dieu rendent visible à l'intelligence ce qu'il a d'invisible, son éternelle puissance et sa divinité" (Rm 1,20).
Enfin l'optimisme du Prologue tourne le dos aux thèses de la gnose. Les gnostiques opposaient un Dieu bon, le Père, et un Dieu mauvais, responsable de la création, qui leur paraissait manquée, et mauvaise, elle aussi. Selon Jean, au contraire, c'est bien le Père qui crée par son Logos; le monde a donc été voulu par l'unique Dieu, qui est bon, et l'univers lui-même recèle cette bonté.
² Jusqu'à présent le Prologue n'a encore parlé que de l'œuvre créatrice de Dieu au commencement. Elle est, bien sûr, inséparable de ce qui va suivre: l'histoire des hommes et de leurs relations avec Dieu. Comme dans l'Ancien Testament et comme dans la pensée de Paul, la création sert ici de préambule et de fondement à l'histoire du salut. Elle s'offre déjà comme une révélation de la sagesse, de la puissance et de la bonté de Dieu; elle dit déjà l'unité de Dieu et de son Logos dans l'œuvre du commencement; mais en même temps elle plante le décor du dialogue de Dieu avec l'humanité. L'émergence du monde est bien le commencement du temps et de l'espace; mais elle est surtout le début du chemin que Dieu va parcourir avec les hommes et chez les hommes.
[ Page d'accueil ] - [ Table de Jean ]