"Au dernier jour"
Jn 6,37-40
² Quand nous sommes jeunes, tournés entièrement vers l'avenir, nous avons le soleil en face de nous, et l'ombre est derrière, pas gênante du tout. Au midi de la vie, le soleil est au zénith, et l'ombre passe devant nos pieds. Puis, à mesure que nous avançons en âge, le soleil descend derrière nous, de plus en plus bas, et devant nous notre ombre s'allonge.
Nous prenons peur, parfois, de la voir ainsi s'allonger, et pourtant, elle devrait nous être familière et douce. Qu'y a-t-il, en effet, pour nous, croyants, au bout de cette ombre? - la grande rencontre, qui donne sens à la vie présente et qui sera pour nous la porte de l'éternité.
² Le souvenir de nos morts et de tous les trépassés (les "trans-passés", les "passés au-delà") est pour nous comme un besoin de fidélité et comme une exigence de mémoire que la liturgie prend en compte, non seulement chaque année, mais à chaque Eucharistie. C'est également un moment béni de foi et d'espérance où nous essayons humblement d'intégrer dans notre vision de l'existence leur mort et la nôtre.
Nous avons vu l'ombre de la mort s'allonger dans leur vie, parfois très rapidement, et nous prenons conscience, sans nous affoler, qu'elle est là devant nous, obstinée, insistante. Si nous acceptons de vivre avec elle, non par fatalisme, mais sur la lancée de notre baptême, les paroles de Paul prennent pour nous tout leur poids:
"Aucun de nous ne vit pour lui-même et aucun ne meurt pour lui-même", clos sur lui-même, enfermé dans son destin. "Si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur; si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur" (Rm 14,8).
L'essentiel est donc d'appartenir au Seigneur, dans notre vie comme dans notre mort. Le temps qui passe sera long ou court: l'essentiel est la qualité de la vie, et "une vie sans tâche vaut une longue vieillesse" (Sg 4,7-15).
² Certes, l'approche de la mort apporte toujours son lot d'incertitudes et d'angoisses, et Jésus lui-même a frémi devant elle. Mais nous pouvons nous en remettre paisiblement à Dieu du moment et des circonstances, car les arrêts de Dieu sont toujours des choix de vie et de bonheur: "La volonté du Père qui m'a envoyé, disait Jésus, c'est que je ne perde aucun de ceux qu'il m'a donnés, mais que je les ressuscite tous au dernier jour" (Jn 6,39).
Jésus lui-même se veut le Seigneur et des morts et des vivants. S'il a connu la mort, en totale solidarité avec nous, c'est pour englober la mort dans sa seigneurie et pour intégrer notre mort dans son projet de vie.
² Le meilleur est à venir, et ce que nous vivrons auprès de Jésus ressuscité sera plus vrai encore, plus réel et plus fort, que tout ce que nous connaissons durant le test de cette vie. En toutes nos épreuves, Il nous prépare à la gloire.
Le face à face avec la mort certaine nous aide à bien vivre, en écartant à la fois les demi-mesures, les fausses excuses et les mauvaises humeurs contre Dieu et les frères, mais surtout en laissant à la bonté tout son espace dans notre cœur. Au terme d'une vie toute donnée, Dieu saura bien éterniser notre amour.
Frères et sœurs, à chaque Eucharistie, l'Église offre pour les vivants et pour les morts, pour nous, vivants, et pour nos morts, le Corps et le Sang de Jésus ressuscité. Entrons aujourd'hui plus consciemment dans cette offrande en y joignant nos dons de pauvres: toute notre espérance pour nos morts, et notre soif de vivre.