"Et le buisson
n’était pas mangé"
Jn 19,25-27
Ex 3,1-8
Rm 8,31-39
Pour le jubilé d’une soeur
² Cinquante ans déjà!
Cinquante ans de prière, de silence et de service au coeur de l’Église, mais surtout un demi-siècle de fidélité du Seigneur: voilà ce que nous fêtons aujourd’hui, ma sœur, avec vous et avec tous ceux que vous aimez sur terre et qui vous aiment, ceux qui vous entourent et ceux qui sont retenus au loin. Avec vous nous rendons grâces, avec vous aussi, à l’écoute de la Parole, nous méditons sur l’amour du Seigneur à travers le mystère de son appel.
² Quand il nous veut tout à
lui, comment Dieu s’y prend-il? Il commence par nous étonner.
Il nous intrigue, il nous impressionne, il se rend proche, réel et désirable, et nous laisse pressentir quel mystère l’habite et à quel point son mystère est une invitation.
C’est bien ainsi qu’Il est entré dans la vie de Moïse. Ce jour-là Moïse faisait simplement ce qu’il avait à faire, son travail de berger, et il le faisait intelligemment: comme l’été commençait à roussir les pâturages de la plaine, il avait décidé de chercher pour ses bêtes un peu de fraîcheur dans la montagne, la Montagne de Dieu. Et c’est Dieu qui prend l’initiative de se faire connaître. Ce n’est pas Moïse qui a cherché Dieu consciemment, mais Dieu qui s’est laissé découvrir; et quand bien même on chercherait Dieu, on ne le découvre pas à volonté, mais on le rencontre quand il veut bien se montrer.
En fait Dieu se montre à Moïse comme en se cachant, et se laisse deviner à partir d’un signe, ce buisson brûlant, qui bouscule ses évidences et ses certitudes. Dans notre monde humain, toute flamme consume, tout ce qui brûle laisse des cendres. Or les flammes avaient pris au buisson, et le buisson n’était pas "mangé" . Comme si Dieu voulait dire à Moïse: "Ne t’étonne pas, ne sois pas incrédule: mon amour te brûlera, mais toujours je te respecterai; je t’enflammerai sans te détruire".
² Moïse accepte d’être surpris, décontenancé par Dieu; il consent à un détour inattendu pour voir de près le signe que Dieu lui donne. Et c’est alors que Dieu l’appelle par son nom. Son existence de berger est finie: après la rencontre, ce sont des hommes qu’il aura à conduire.
² Dès que Moïse s’est arrêté pour écouter la voix, Dieu entreprend de dire qui Il est, et il révèle successivement:
- sa sainteté: "N’approche pas d’ici! Retire tes sandales, car le lieu que foulent tes pieds est une terre sainte!"; - sa fidélité passée, celle qu’il a gardée aux Patriarches,
- et sa fidélité présente envers son peuple: "J’ai vu, j’ai vu l’oppression des fils d’Israël!".
Puis, en même temps qu’Il lui dévoile son plan de salut, Il lui confie une mission: "Va! tu feras sortir d’Égypte mon peuple, les fils d’Israël!".
C’est encore ainsi que Dieu procède avec nous: quand Il parle, Il révèle à la fois ce qu’Il est en lui-même, ce qu’Il veut être dès maintenant pour l’homme, et l’héritage qu’Il lui promet. Il rencontre chacun des croyants dans une situation historique particulière, l’appelle à une réponse d’obéissance, et l’invite à entrer dans son œuvre ici et maintenant.
² Après la mission, la promesse.
À Moïse qui se récuse: "Qui suis-je pour aller trouver Pharaon?", Dieu répond en lui donnant une assurance définitive: "Je serai avec toi". C’est dire qu’Il n’appelle pas Moïse parce qu’Il l’a déjà vu à l’œuvre et trouvé apte, mais parce qu’Il a décidé de faire de lui son porte-parole, son témoin et son prophète.
² Enfin Dieu donne un signe, pour authentifier la mission de son élu: "Voici à quel signe on reconnaîtra que c’est moi qui t’ai envoyé: quand tu auras fait sortir d’Égypte mon peuple, vous rendrez un culte à votre Dieu sur cette montagne". Étrange signe, qui ne se dévoilera qu’après l’achèvement de la mission, qui sera une action du peuple tout entier, et qui ne sera lisible qu’en communauté: " Vous rendrez un culte à votre Dieu".
² Dans ce récit vous aurez reconnu, ma Sœur, l’histoire de votre propre appel, et la geste du Dieu fidèle, à votre égard. Dieu vous a fait la grâce de l’étonnement devant sa parole et ses œuvres: Il vous étonne, depuis cinquante ans de Carmel, par les inventions de son amour. Dieu n’a cessé de vous appeler par votre nom de gloire, celui qu’Il est seul à connaître. Il vous a fait marcher pieds nus sur une terre sainte; Il vous a révélé, à longueur d’oraisons, son nom et son dessein sur le monde; Il vous a mise au service de son peuple, et, de peur que vous ne perdiez cœur devant sa majesté et que vous ne voiliez votre visage sans oser Le servir avec ses propres dons, Il vous a donné, voici déjà cinquante ans, cette assurance: "Maintenant, va! Je serai avec toi!"
Et sa promesse ne s’est pas démentie. Sa flamme n’a pas laissé de cendres dans votre coeur, et son amour, qui vous brûle encore plus fort qu’au premier jour, vous garde aujourd’hui en état de l’aimer.
Comment pourriez-vous douter de Lui, alors qu’avec son Fils il vous a donné tout? Comment laisseriez-vous monter dans votre cœur des craintes de condamnation, alors que Jésus ressuscité intercède pour vous à la droite de Dieu? Quelle place laisser en vous pour la détresse et l’angoisse, devant les épreuves personnelles ou communautaires, devant le dénuement du soir de la vie ou devant le mystère de la mort, puisque déjà vous êtes victorieuse en Celui qui vous a aimée (Rm 8)?
Aujourd’hui encore, aujourd’hui surtout, la Vierge Marie vous attire tout près d’elle au pied de la croix, pour qu’avec elle vous adoriez l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ, et pour qu’avec elle vous entriez, heureuse, dans le mystère de la Passion glorifiante.
Ne craignez pas; avancez hardiment les pieds nus; laissez la lumière de la "“illuminer les yeux de votre cœur" ( Ep 1,18); laissez le feu de l’Esprit Saint enflammer le buisson de votre vie sur la Montagne de Dieu. Au pied de la croix, tout près de celle que Jésus vous a donnée pour Mère,
"le visage dévoilé, reflétez la gloire du Seigneur,
et laissez-vous transfigurer en son Icône,
de gloire en gloire" (2 Co 3,18).