Fidélité créatrice

 

 

Au début de la partie exhortative de l'épître aux Romains, saint Paul écrit: "Ne vous modelez pas sur le monde présent, mais métamorphosez-vous par le renouvellement de votre mentalité (noûs), pour discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait" (Rm 12,2).

Dans ce passage, l'expression "le monde" (aiôn) reçoit une connotation franchement négative, bien mise en lumière dans une note de la TOB: "Les premiers chrétiens empruntent au judaïsme sa conception de deux grandes ères dans l'histoire du monde: le siècle présent, où le mal règne ouvertement, et le siècle à venir où Dieu manifestera son règne. Mais pour Paul, comme pour la plupart des premiers auteurs chrétiens, le monde à venir a commencé depuis la venue du Christ. Le monde présent qui est sous le signe du péché ne demeure qu'en tant que sursitaire, sa fin est décidée, les arrhes du nouveau monde sont déjà là. il importe donc que le chrétien ne se laisse pas dicter sa règle de vie par une réalité mauvaise promise à une prompte disparition" (p.480).

Dans le langage chrétien de notre époque, "le monde" renvoie plus volontiers à certains textes johanniques où kosmos prend un sens positif: "Le Père a tant aimé le monde (kosmos) qu'il a donné son Fils unique" (Jn 3,16). Ainsi Jean complète Paul et nuance notre approche des réalités contemporaines: en tant qu'il est sous le signe du péché, le monde présent (aiôn) ne va pas nous dicter notre conduite, mais dans la mesure où il est l'objet de l'amour du Père, nous avons à écouter ce monde (kosmos) pour mieux connaître ses besoins de guérison, pour mieux mesurer sa soif de vie authentique, pour mieux discerner par quels chemins lui apporter le message de Jésus.

Et c'est en vue de cette annonce évangélique qu'il nous faut subir et même vouloir une "métamorphose": le renouvellement de notre "mentalité" (noûs), de notre manière de réagir intellectuellement aux idées, aux problèmes, aux situations. Une partie de cette métamorphose est dictée par le message lui-même: qui dois-je devenir pour vivre l'Évangile? Une autre partie de la conversion de notre mentalité nous est suggérée par notre souci missionnaire: qui dois-je devenir pour annoncer l'Évangile

Transposons directement ces exigences de l'Écriture dans l'aujourd'hui de notre vie monastique, et demandons-nous: en ce tournant du troisième millénaire, qu'est-ce qui doit changer dans notre mentalité

²  Pour être fidèles à ce que l'Esprit dit à l'Église, il nous faut d'abord quitter l'illusion de l'immuable.

Il fut un temps où, adossés au charisme de notre Ordre, nous pouvions presque nous dire: "Moyennant quelques concessions raisonnables à la modernité, nous parviendrons à vivre au cœur du monde sans être contraints à des évolutions majeures, en surplombant, en quelque sorte, tout ce qui s'agite dans la vallée". Mais les mutations sociales et culturelles que nous constatons et qui marquent en profondeur notre société européenne ont en fait une dimension universelle: nous sommes en train de changer de monde, sans avoir de modèle pour construire le nouveau; nous sommes en train de changer de société sans connaître la "grammaire" de la nouvelle culture.

La perte des points de repère éthiques entraîne une certaine asthénie de la société et beaucoup de fragilités personnelles, et nous relevons dans la vie de l'Église les indices d'une évolution irréversible: difficulté de la relève des cadres, baisse de la pratique religieuse, perte partielle ou totale de la mémoire chrétienne, crise de la transmission de la foi, extension du pluralisme au sein de l'Église elle-même.

Ces mutations sont des signes de Dieu à notre temps: elles traduisent une volonté de Dieu pour le monde et pour l'Église. C'est ce monde que Dieu aime, au point de lui donner son Fils. C'est à ce monde en crise que l'Église de Jésus doit annoncer l'Évangile. Nous avons à accueillir le don de Dieu dans des conditions nouvelles. Son dessein n'est pas que nous restaurions, d'une manière volontariste, les conditions de pensée et d'action du passé, mais que nous gardions le courage de l'initiative et que nous maintenions le cap sur l'espérance dans une société en partie cassée, parfois malade et imprévisible. Les points d'appui et les repères qui nous manquent, il nous faut les trouver dans l'Évangile, dans la personne de Jésus sauveur, en communion avec l'Église, pour les inscrire dans notre propre existence et dans notre société désécurisée et incertaine.

Cette nécessité du changement porte le sceau de l'Esprit Saint. Notre histoire contemporaine, par certains côtés si chaotique, demeure une histoire de salut: les mutations qui nous sont imposées peuvent devenir les moments d'un renouveau de l'Église tout entière orante et missionnaire.

La crise que traversent à leur tour nos monastères nous incite à revenir aux sources de notre foi et de notre espérance, à devenir disciples de Jésus Christ et témoins de Dieu avec une nouvelle énergie et une nouvelle radicalité, à consentir un effort d'appropriation personnelle de la foi que nous avons reçue et qui nous fait vivre.

L'Église tout entière, en ce tournant du millénaire, se met en état d'initiation; elle veut percevoir et accueillir plus résolument la nouveauté de l'Évangile pour l'annoncer avec plus d'audace. Chaque fille de l'Église est appelée à un travail permanent de formation et d'intériorisation de sa foi; et, dans la même ligne d'effort, chaque consacrée est invitée à une appropriation personnelle du charisme de son Ordre. Le charisme est bien transmis et offert par l'ensemble de chaque Ordre; mais hériter ne suffit pas: l'héritage doit devenir pour chacune, personnellement, chemin de conversion et expérience spirituelle: "Qui dois-je être, que dois-je devenir pour que ma vie soit vraiment réponse au don de Dieu en Jésus Christ?"

L'Évangile dont nous sommes les témoins est l'annonce d'une nouveauté venue du cœur de Dieu: "Et Celui qui siège sur le trône dit: Voici, je fais toutes choses nouvelles" (Ap 21,5). Je fais, dit Dieu, et ce que nous avons à faire, c'est d'entrer dans son œuvre, dans ses vues, dans son dessein d'amour, et donc d'entrer en communion avec l'Unique qu'il nous a donné.

Car toute nouveauté nous vient par Jésus Christ, et c'est dans l'Homme nouveau que nous sommes renouvelés: "Si quelqu'un est dans le Christ, c'est une création nouvelle: les choses anciennes ont disparu; voici, des choses nouvelles sont là!" (2 Co 5,17). Elles sont là, nous dit Paul: Dieu n'annonce pas la nouveauté pour demain, il la proclame pour aujourd'hui, et il nous demande d'ouvrir les yeux pour la discerner: "Voici que je fais une chose nouvelle, maintenant elle croît, ne la reconnaissez-vous pas?" (Is 43,19s).

Pour voir la nouveauté de Dieu, il nous faut donc regarder ce qui perce, ce qui bourgeonne, ce qui pousse, ce qui déjà vit et veut vivre. Pour accueillir la nouveauté de Dieu, il faut nous mettre au service de toute croissance, mais aussi repartir ensemble pour l'Exode, car la nouveauté concerne au premier chef la marche du peuple de Dieu, libre face à l'inconnu: "Oui, je vais mettre dans le désert un chemin et dans la steppe des fleuves, pour abreuver mon peuple, mon élu" (Is 43,20).

 

²  Tournant le dos à l'illusion de l'immuable, il nous faut également renoncer à l'illusion de l'autarcie.

L'autarcie, c'est la qualité ou l'état de ce qui se suffit à soi-même, de celui qui se suffit à lui-même ou fait les choses par lui-même. Pour les communautés, l'autarcie est devenue un leurre, car désormais, et quelles que soient les apparences et les assurances, aucune communauté ne s'en sortira toute seule,

- parce que les sécurités que la communauté peut avoir: aisance matérielle, renommée, rayonnement spirituel, demeurent toujours fragiles et peuvent basculer en quelques années;

- parce que les signes des temps ne peuvent se lire qu'en Église, et donc en solidarité avec tout le peuple de Dieu qui cherche sa marche, concrètement: en solidarité avec l'Ordre tout entier, dépositaire du charisme;

- parce que, pour assumer la nouveauté du monde et les fractures de notre société, le passé déjà vécu par une communauté ne peut plus fournir des procédures suffisantes.

 

²  Un troisième changement de mentalité, encore plus onéreux peut-être, s'impose à nous en ce début du troisième millénaire: notre manière de vivre le charisme de notre Ordre doit devenir résolument contemporaine.

Être contemporain de quelqu'un ou de quelque chose, cela comporte un aspect chronologique et un aspect culturel. L'aspect chronologique est indépendant de notre volonté: que nous le voulions ou non, nous sommes en telle ou telle année du millénaire; mais l'aspect culturel met en œuvre notre liberté: une personne peut toujours décider de vivre "comme autrefois", de s'habiller comme en 1930, de manger "comme avant la guerre", ou encore d'ignorer le téléphone, Internet et le surgelé.

Si nous décidons communautairement de vivre l'Évangile de Jésus dans notre temps, dans ce temps providentiel, cela n'implique pas forcément que nous soyons à l'affût de toutes les nouveautés techniques et de toutes les modes intellectuelles. Contre cela en effet saint Paul nous met en garde dans la partie morale de l'épître aux Éphésiens: "Nous ne serons plus des petits enfants, ballottés par les flots et emportés à tout vent de doctrine" (4,14). Nous n'allons pas non plus cesser de nous nourrir à la sève du charisme que nous avons reçu en héritage, ni rendre notre vie commune méconnaissable par des changements perpétuels d'horaire, de costume ou de produits alimentaires. Être contemporains, c'est, positivement, être à l'écoute de notre monde et percevoir ses mutations pour renouveler notre fidélité et notre témoignage.

Au risque de schématiser un peu, je retiendrai successivement dix traits du monde contemporain, pour suggérer à chaque fois quelques conversions évangéliques qui nous attendent si nous voulons rester, au cœur de ce monde, des témoins de Jésus Christ. Notre monde contemporain est:

    un monde où l'avenir reste indéfiniment ouvert.

Il nous faut donc renoncer à refermer les mains sur le passé, personnel ou communautaire; il nous faut lâcher avec douceur "ce qui ne peut que vieillir", accueillir avec bonne grâce les nouveaux exodes qui se présentent pour le corps ou le cœur, et accepter que notre Ordre se trouve un nouveau visage, que nous n'avions ni soupçonné ni désiré ni attendu. Nous devons accepter, personnellement et communautairement, la loi d'un dynamisme incessant, qui est un autre nom de l'Exode, nous accoutumer à un univers mouvant, "planter nos racines dans la mer" (Lc 17,6), et nous faire à l'idée que "nous n'avons pas ici-bas de cité permanente"(Hb 13,14).

    un monde où chaque personne est responsabilisée dans sa recherche du bonheur.

Dans l'axe de l'humilité et de l'obéissance propres à la vie consacrée, il va donc s'agir de promouvoir chaque sœur dans sa liberté de fille de Dieu. Certes, en optant pour la vie monastique, la femme chrétienne choisit librement de s'identifier au Christ Serviteur, à Marie servante; et souvent elle sera amenée à prendre, par amour, la dernière place; mais, dans l'Église contemporaine, il serait impensable de laisser des sœurs sacrifier, par générosité, l'équilibre de leur vie, de leur prière, de leur vie fraternelle. La réussite ou le confort d'une communauté ne peuvent être achetés au prix du projet spirituel qui a conduit les sœurs au monastère. De cette visée spirituelle, de cette alliance passée avec le Christ, chacune demeure responsable, au cœur même d'une vie obéissante.

    un monde où l'homme ne se contente pas de recevoir passivement un héritage, mais aspire à une appropriation personnelle de toutes les valeurs.

Nous avons donc à "rendre raison de l'espérance qui est en nous" (1 P 3,15), et cela, d'une manière vivante, sans cesse adaptée à celles qui viendront boire à la source du charisme; ce qui suppose que nous soyons en osmose avec leur culture, "pour leur annoncer dans leur langue les grandes œuvres de Dieu" (Ac 2,11).

Cela implique la mise en place d'une pédagogie active au noviciat et l'acquisition de repères moraux et spirituels par les sœurs dès les premières années de leur formation. En particulier il faut pouvoir nommer, dans certains cas, les conduites déviantes de certaines aînées, surtout si l'on demande aux jeunes à leur endroit un grand effort de miséricorde.

La communauté doit également pouvoir réfléchir sur ses propres motivations: au nom de quoi demande-t-on aux plus jeunes tel comportement ou telle manière de faire? Au nom de l'Évangile ou du charisme de l'Ordre, ou simplement au nom des habitudes communautaires, voire des oukases d'une responsable d'atelier? L'enjeu est souvent important pour les nouvelles arrivantes, car s'approprier un charisme, c'est bien entrer dans une tradition, mais pas endosser une sclérose.

    un monde où les besoins fondamentaux de la personne veulent être reconnus.

Besoin, pour chaque sœur, d'être reconnue dans son identité, de sentir que dans le groupe où elle vit elle a le droit d'être elle-même, d'avoir un passé et un avenir, et qu'elle n'est pas dévalorisée a priori pour des questions d'âge, de culture, d'origine sociale ou ethnique. S'agissant de la culture, le droit à l'identité peut d'ailleurs jouer dans les deux sens; cela peut signifier pour une sœur: ne pas être exclue du groupe à cause des lacunes de sa culture, mais aussi: ne pas être contestée automatiquement par le groupe à cause d'une supériorité culturelle évidente.

Besoin de créativité. Chacune doit sentir qu'elle a le devoir et le pouvoir d'entrer "comme pierre vivante" dans l'édifice communautaire (1 P 2,5). Parfois, en effet, la créativité de quelques-unes étouffe la créativité des autres, moins douées, ou simplement plus effacées et plus évangéliques.

Besoin de sécurité. La sécurité matérielle des sœurs est généralement bien assurée, et les supérieures y veillent. De même la sécurité des santés est prise en compte, avec souvent des dévouements admirables. On s'interroge peut-être moins, et sans doute pas assez, sur la sécurité affective. Pensons ici surtout aux sœurs en formation: sont-elles suffisamment protégées des agressions de sœurs caractérielles, de l'emprise de sœurs envoûtantes que l'on n'ose pas rappeler à leur devoir? Comment gère-t-on avec les jeunes sœurs les petits scandales inévitables dans une communauté?

    un monde ouvert à des pluralismes de toutes sortes, et donc un monde où la différence est valorisée.

La société contemporaine doit faire face de plus en plus au pluralisme des systèmes et des options politiques, au pluralisme des schémas économiques, au pluralisme à l'intérieur même des courants d'opinion, et même à une renaissance des particularismes linguistiques et ethniques. L'Église elle aussi doit intégrer toujours davantage un pluralisme des sensibilités artistiques, théologiques et missionnaires. Quant à nos communautés, elles ont toujours connu un pluralisme inévitable en raison de la formation première reçue dans les familles; mais il faut s'attendre à voir fleurir dans les années à venir un certain pluralisme dans l'interprétation du charisme et dans l'actualisation de ce même charisme. Les jeunes professes auront de plus en plus leur mot à dire, et voudront de plus en plus le dire simplement et librement.

    un monde où l'espace et le temps sont remodelés de plus en plus fréquemment et profondément.

Dans notre monde contemporain les distances et les délais se raccourcissent; quelques heures suffisent pour se retrouver sur un autre continent, et les nouvelles parviennent à l'autre bout de la terre dans la minute même où elles sont envoyées. Les conséquences de ce rétrécissement de notre univers se font déjà sentir au monastère; déjà elles affectent la solitude monastique et le retrait du monde. Nos communautés sont encore bien protégées de certaines nuisances de bruit et des intrusions dans l'espace communautaire; mais une nouvelle fidélité est demandée déjà à certaines moniales pour ne pas s'isoler dans le monde virtuel de l'ordinateur et ne pas s'immerger dans l'univers cybernétique d'Internet, où l'effacement des distances crée une dangereuse illusion de toute-puissance. Il importe aussi que le temps économisé grâce aux nouveaux équipements soit vraiment gagné pour la prière, et non pas réinvesti aussitôt dans des relations non essentielles au témoignage évangélique.

    un monde où les solidarités deviennent planétaires.

Ce renforcement des solidarités découle directement de la nouvelle rapidité des échanges. Le retentissement des joies et des épreuves est quasi immédiat dans le grand corps d'un Ordre aux dimensions mondiales. Désormais nos abbayes d'Europe souffrent vraiment "en proximité" les drames qui déstabilisent ou ensanglantent les communautés-sœurs d'Afrique ou d'Amérique latine. Désormais aussi le service de l'unité réclame une plus grande mobiblité des responsables, et la réflexion sur la stratégie missionnaire, sur l'équilibrage des communautés, sur la première initiation et la formation permanente, fait appel, au sein de chaque Ordre, à un dialogue pluriculturel.

    un monde où la paix prend un nouveau visage.

Tant que la vie des communautés et des Ordres était bâtie sur un modèle de stabilité, la paix pouvait se définir: "tranquillitas ordinis", comme le proposait Augustin; mais puisque, depuis le Concile, le fonctionnement des communautés veut répondre à un modèle dynamique, la paix doit être cherchée davantage comme"l'équilibre dans le mouvement", selon la belle définition de Paul VI. Chaque communauté doit se réconcilier avec la loi de l'Exode, et de plus en plus garder la sérénité dans des situations évolutives, répondant ainsi à la consigne du Seigneur: "Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre" (Jn 13,27).

9°     un monde qui a soif de guérison.

Dans la société actuelle, beaucoup de groupes, nombreux ou modestes, se sentent atteints à la fois dans leur mémoire, dans leur désir de s'investir aujourd'hui, et dans leur capacité de modeler l'avenir. Au niveau des personnes, bien des blessures affectives rendent difficiles l'assomption du passé, l'ouverture aux échanges et la recherche du bonheur.

Traditionnellement nos monastères sont des lieux d'accueil et de ressourcement. Peuvent-ils devenir de plus en plus des lieux de guérison spirituelle? Il ne s'agit pas ici, bien sûr, de promouvoir des rites ou des paraliturgies censés opérer des guérisons de manière ostentatoire et quasi magique, mais d'offrir aux chrétiens des espaces de paix, de silence et de dialogue personnel qui prédisposent à l'accueil de la grâce du Seigneur. Comment faire face de manière équilibrée aux dialogues de plus en plus souhaités par les retraitantes? Comment s'y former? Comment s'ouvrir soi-même à l'œuvre de guérison du Christ médecin? Comment aider les moniales, durant la première formation, à la refonte évangélique du cœur qui restera la base de toute leur existence religieuse? Autant de questions qui déjà préoccupent les responsables et les formatrices et qui seront déterminantes, dans les prochaines décennies, pour le rayonnement de la vie consacrée

10°     un monde où la femme est appelée à prendre toute sa place.                       

En dépit des résistances prévisibles dans plusieurs aires culturelles, le XXIème siècle sera probablement, au niveau planétaire, le siècle de la femme, et les consacrées, à leur manière et à leur niveau, sont appelées à promouvoir cette féminisation équilibrée de la société humaine. Féminisation équilibrée, ou équilibrage par la féminité: dans cette optique les monastères féminins ont à jouer, dans l'humilité et la simplicité, un rôle prophétique. La vie des moniales doit témoigner résolument du projet de Dieu sur la femme et de la place de la femme dans la création nouvelle inaugurée par le Christ.

Bien des moniales répondront, et sans doute avec raison: "Nous avons déjà trouvé un style de vie commune qui a fait ses preuves, un mode d'expression liturgique qui nous satisfait pleinement, et une organisation du travail qui nous permet de vivre et d'accueillir!" C'est tout à fait exact, et la fraternité monastique n'a fait que croître en qualité depuis les conversions du Concile. Mais les consacrées, face à l'avenir, doivent aussi se poser des questions réalistes: "Comment notre vie est-elle perçue par les chrétiennes, jeunes filles ou jeunes femmes, au début de ce siècle qui sera le leur? Notre vie leur parle-t-elle, et leur dit-elle l'essentiel de notre charisme? peuvent-elles y lire non seulement un fidélité courageuse, mais un bonheur de servir ensemble le Maître et sa mission?" Il est de plus en plus important, pour l'Église et le rayonnement de l'Évangile, que les moniales, personnellement et en communauté, offrent le témoignage de femmes qui ont trouvé dans la vie consacrée leur lieu de fécondité.

De plus en plus, dans leur désir de répondre au Seigneur par une fidélité vraiment créatrice, les moniales s'interrogent: "La chrétienne du XXIème siècle va-t-elle se retrouver suffisamment, avec sa foi et son espérance, avec sa manière de vivre la charité, dans les modes de vie, d'expression et de partage que nous lui transmettons? Tout ce que nous lui proposons est-il lié aussi intimement au charisme de notre Ordre? Est-ce que parfois nous ne demandons pas à la femme contemporaine d'endosser tel quel le vieux manteau de nos habitudes, et d'assumer avec nous des choix qui ne sont aucunement appelés par la vraie tradition spirituelle?"

Si la femme est, dans le Christ, une créature nouvelle selon sa féminité, quelle créativité réelle va lui être offerte? Le temps n'est-il pas venu, avec le troisième millénaire, de s'interroger lucidement, loyalement, courageusement, dans l'axe de l'Évangile, sur ce qui est demandé, en fait, aux femmes chrétiennes qui se sentent appelées à vivre en communauté la "sequela Christi"? Que devient, au long des années, leur vie de femme, quand elles vivent à vingt ou cinquante? Quelle est la grandeur de ce cœnobium? Quelles en sont les dérives? Quelles sont les mutations à accélérer et quelles sont les patiences nécessaires pour que toute la pâte puisse lever?

Ce sont des questions parfois urgentes, et que seules les femmes peuvent poser pour elles-mêmes avec pertinence. Il leur faut pour cela des lieux, un climat, des convictions. Elles ont pour cela l'aide puissante de l'Esprit Paraclet, et la confiance de la Mère Eglise.                                                                  

                                                                                                                 fr. Jean Lévêque, ocd

[page d'accueil]     [la dynamique communautaire]