"Réjouis-toi, Marie, favorisée de Dieu"
Lc 1,26-38
Pour la profession d'une sœur
Elle est pour vous, ce matin, la parole de l'Envoyé de Dieu:
"Réjouis-toi, favorisée de Dieu, le Seigneur est avec toi!"
Oui, réjouissez-vous, à cette heure voulue et préparée par le Père où vous allez d'une manière toute spéciale revêtir le Christ, ressaisir la grâce de votre baptême et vous plonger dans la mort et la vie de Celui qui vous sauve.
Réjouissez-vous, en ce jour où l'Esprit, pour mieux vous identifier à Jésus, va marquer de son sceau votre offrande et votre destin.
Réjouissez-vous avec Marie, qui vient aujourd'hui pour entendre votre promesse, pour vous introduire elle-même dans l'amour de son Fils et modeler en vous, patiemment, ses propres traits spirituels, ceux-là même qui définissent l'existence carmélitaine:
- le sens de la louange gratuite dans une familiarité toute filiale avec le mystère de Dieu,
- l'humilité de la servante,
- l'insertion héroïque dans l'œuvre du salut.
² Celui qui mène toutes choses au gré de sa volonté vous a désignée d'avance et mise à part pour vivre à la louange de sa gloire.
Au nom de l'Église, votre unique tâche sera d'aimer Dieu, de demeurer dans son amour, de lui offrir jour et nuit un cœur libre, toujours prêt à admirer, à remercier, à chanter. Faire à Dieu l'offrande de votre joie, ne rien souhaiter d'autre que de faire aimer Celui qui est la source de tout amour, tel sera votre rôle de contemplative, selon la parole du Psalmiste: "La chose que je cherche, c'est d'habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie".
Dieu vous a fait entrer dans la terre du Carmel "pour vous rassasier de ses fruits". Vous y mangerez le pain du sourire, le pain de l'amitié, le pain des larmes, le pain de la fidélité, cuit lentement sous la cendre des illusions; mais si vous restez fidèle à l'Esprit de vérité, de chaque événement jaillira un cantique. Tout, en vous, vibrera à l'unisson de l'espérance de l'Église.
Avec l'Épouse du Christ sainte et immaculée vous redirez à longueur de vie: "Marana, tha! Viens, Seigneur !"; et de fait, chacune de vos journées verra un avènement nouveau du Seigneur en vous, et par vous dans l'Église. Fortifiée par le Corps et le Sang du Christ, vous marcherez, calme et courageuse, durant les quarante jours de votre témoignage, jusqu'à la montagne de Dieu d'où chaque jour vous viendra le salut.
Cette fidélité au regard contemplatif et cette gratuité de la louange vous feront entrer jour après jour dans le mystère de Dieu, dans son dessein d'amour qui se dévoile en Jésus Christ tout en se voilant dans notre histoire.
À l'école de Marie, vous apprendrez non seulement à donner, mais à recevoir. Repassant dans votre cœur les mille choses, grandes ou petites, qui tisseront votre existence au Carmel, vous les recevrez toutes de Dieu comme autant de joyaux.
Aux heures les plus épanouissantes comme dans les services les plus obscurs, vous saurez rejoindre l'optimisme de Celui qui crée et recrée sans cesse: ..."Dieu vit que cela était bon". Oui, pour vous comme pour Marie tout sera bon, parce que tout vous rapprochera de Celui qui vous a aimée et s'est livré pour vous; tout sera sanctifiant, parce que, en communiant à ses souffrances et en lui devenant semblable dans sa mort, vous le connaîtrez, lui, l'Unique, avec la puissance de sa résurrection.
Dieu veut pour vous la sainteté, et il vous la donnera lui-même, si vous le laissez faire en vous les grandes choses qu'il ambitionne pour chacun de ses enfants, si vous savez "vous humilier sous sa puissante main" afin qu'il vous élève au temps de sa visite, comme il élève tous les humbles.
² Humilité, oui, car c'est une destinée de servante que Dieu vous offre dans l'Ordre de Notre Dame, et c'est à ce prix seulement que le rien du Carmel vous acheminera vers la paix.
Pour devenir humble, humble de cœur comme le veut Jésus, vous le savez, il n'y a pas de recettes, il n'y a pas de secret; il n'est pas besoin d'itinéraires ni de gradations savantes. Il ne servirait à rien de s'imaginer plus vile, plus rétive ou plus indigne que l'on n'est; et parfois un trop grand effacement peut cacher une subtile recherche de soi-même.
Au Carmel l'humilité reste simple, vivante, joyeuse, parce que c'est ainsi que Marie la concevait. L'humilité, au Carmel, c'est une sorte de transparence à Dieu et à soi-même, qui permet de redire à Dieu, sans angoisse et sans tristesse: "Oui, je suis cela, je ne suis que cela et je n'en suis que là; mais telle que je suis, je suis ton enfant, et cela suffit à mon bonheur. Ma misère ne m'empêchera pas de t'aimer aujourd'hui, de te servir "rien que pour aujourd'hui", puisque demain n'appartient qu'à Toi seul.
Transparence aux autres, également, car, une fois vraiment engagée dans la "Montée", la fille de sainte Thérèse n'a plus de rôle à jouer, qu'il soit flatteur ou non, pas de personnage à défendre, pas de masque à garder qui protégerait l'image d'elle-même. L'humilité du Carmel, c'est la patience toute filiale de celles qui se plient au rythme de l'Esprit, qui ne s'effraient pas d'être prises sous l'ombre du Très-Haut, et qui savent attendre, comme Marie à Nazareth, l'heure où Dieu parlera.
Heureuse celle qui croit, malgré les détours imprévisibles des chemins de Dieu, qu'il y aura "un accomplissement pour tout ce qui lui a été dit de la part du Seigneur". Le Père, qui voit dans le secret, connaît tous ses efforts; l'Esprit qui remplit l'univers perçoit toute parole, il entend tous les appels qui montent d'un cœur de pauvre; dès lors l'amour doit bannir toute crainte: la lassitude peut venir, les certitudes s'éloigner, l'espérance s'affoler aux moments de désarroi, mais Dieu jettera toujours les yeux sur l'humilité de sa servante.
² D'ailleurs une moniale du Carmel n'aura jamais le loisir de se prendre en pitié. Sa mission est là, urgente, impérieuse, magnifique: entrer par tout elle-même, sans retour, sans hésitation et sans petitesses, dans l'œuvre de réconciliation et d'unité accomplie par Jésus Christ dans l'Esprit Saint.
Nous ne saurions nous approcher du Christ crucifié, nous ne saurions l'épouser sur la Croix, sans que le poids du monde commence à peser sur nos bras comme sur les siens; et nous ne pourrons faire l'expérience profonde de son amour sans que cet amour nous "presse", nous "tienne à l'étroit" (2 Co 5,14), sans que nous prenions feu à ce feu que le Christ est venu allumer sur la terre.
Marie là encore nous montre l'exemple. À peine a-t-elle conçu le Verbe de Dieu que déjà elle part, messagère de joie pour le monde entier. Messagère, vous le serez, vous aussi, ma Sœur, dans votre cloître, par votre silence rempli de Dieu à l'heure de l'oraison, par le rayonnement de votre charité et de votre douceur, par votre fidélité aux humbles tâches de Nazareth. C'est la parole de Dieu qui, prenant corps en vous, parlera d'elle-même; et chacune de vos rencontres communautaires, chacun de vos efforts de dialogue sera pour l'autre sœur une visitation où le Christ, glorieux et puissant, viendra à elle à travers votre pauvreté.
Aujourd'hui où vous mettez toute votre vie contemplative sous le signe de l'annonce faite à Marie, donc sous le signe de l'accueil et de l'espérance, aujourd'hui où vous êtes visitée par Notre Dame, alignez résolument votre mission sur la sienne, et prenez chez vous la Mère que le Christ vous donne, afin d'entendre chaque jour au seuil de votre âme la salutation joyeuse qui vous fera "tressaillir de joie dans l'Esprit Saint".
*
Ainsi, en ce samedi de mai tout imprégné encore de la joie pascale, sous le regard et sous le voile de Marie, va commencer pour vous l'aventure théologale de la montée du Carmel, une vie de louange et d'intimité avec Dieu, une vie d'humilité et de courage au service du Royaume.
"Que si donc au jardin du monde
Désormais nul ne vous voit, nul ne vous trouve,
Dites que vous êtes perdue
Et que, suivant le chemin de l'amour,
Vous avez voulu tout perdre,
Et vous avez gagné". (Cantico XXI)
Ce qui sauve le monde, ce ne sont pas les cris et les fureurs, mais l'amour; et si vous persévérez au Carmel pour vivre à plein de cet amour que l'Esprit répand dans les cœurs, soyez sûre que vous êtes missionnaire. Vous savez en qui vous avez mis votre foi; et ce que vous lui avez confié ce matin, il est assez puissant pour le garder jusqu'au jour de la Rencontre.
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