Le propos de saint Luc

Lc 1,1-4

 

 

Pour les lecteurs du monde grec qu'il veut atteindre, saint Luc a soigné son prologue. Dans une longue phrase, noble et presque solennelle, qui ne nomme encore ni Dieu ni Jésus, il annonce un récit et précise son dessein, en s'adressant à Théophile, un personnage en vue, dédicataire de son œuvre. Et il commence par se situer dans une tradition: "Beaucoup, dit-il, ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous." Une génération entière sépare déjà Luc de l'époque de Jésus. Durant plusieurs décennies, les "témoins oculaires" de la vie de Jésus sont devenus "serviteurs de la parole"; ce sont eux qui ont transmis leurs souvenirs concernant les paroles et les actes de Jésus, puis les premiers pas de l'évangélisation; et sur cette base d'une tradition orale mouvante et diversifiée, plusieurs écrivains déjà ont travaillé.

 

Luc ambitionne un récit plus large, appuyé sur une enquête encore plus exigeante: "J'ai décidé, moi aussi, après m'être informé exactement de tout depuis le début, d'en écrire pour toi l'exposé suivi, illustre Théophile." De fait Luc, dans son œuvre articulée en deux parties, accordera une place de choix au début de la vie de Jésus, puis aux débuts de l'expansion de l'Église. L'Évangile sera suivi des Actes d'apôtres, ce qui permettra à Luc de manifester plus amplement la portée des faits racontés: non seulement les événements "se sont accomplis" parmi les témoins, mais ils ont été l'accomplissement tant de l'ancienne Alliance que des paroles mêmes de Jésus.

Luc veut donc apporter à la prédication chrétienne la contribution d'un historien, telle qu'on la comprenait de son temps. Dans la littérature hellénistique, en effet, l'histoire était censée à la fois renseigner et convaincre. À l'époque de Luc les contemporains de Jésus commençaient à disparaître, et les prédicateurs chrétiens se heurtaient déjà, dans l'opinion publique, à des rumeurs ou à des insinuations contradictoires au sujet de Jésus et de son œuvre. Un ancrage conscient dans les faits s'imposait donc à la jeune Église.

 

 Mais les convictions que Luc s'efforce d'inculquer dépassent le simple souci de l'histoire, et son propos est finalement catéchétique et théologique, comme il le déclare clairement à Théophile: "J'ai décidé d'écrire pour toi un exposé suivi, pour que tu te rendes compte de la sûreté des enseignements que tu as reçus."

Disciple passionné d'un Jésus qu'il n'a pas connu, Luc veut aider les croyants dans leur acte de foi. Pour lui, le message que l'Église transmet s'enracine directement dans l'œuvre et la pensée de Jésus; le socle de la foi, c'est la vie "parmi nous" de l'Envoyé de Dieu, telle que l'ont racontée les témoins oculaires.

 

C'est encore cette force irremplaçable du témoignage que Luc mettra en relief dans le second prologue qui, selon la coutume grecque, introduira l'autre volet de son récit, les Actes d'apôtres:

"J'ai donc fait mon premier livre, ô Théophile, sur tout ce que Jésus a fait et enseigné, depuis le début jusqu'au jour où, après avoir, par l'Esprit Saint, donné des ordres aux Apôtres qu'il avait choisis, il fut emporté. Et c'est encore à eux qu'après sa passion il se présenta vivant avec bien des preuves, leur apparaissant pendant quarante jours et leur disant ce qui concerne le Royaume de Dieu" (Ac 1,1-3).

 

Certes, ce témoignage des disciples s'inscrit dans le témoignage fondamental de l'Esprit Saint qui, le premier, a authentifié l'œuvre de Jésus et qui accompagne le labeur de ses Apôtres (Ac 5,32; 10,44; 15,8); mais l'Esprit lui-même, depuis la Pentecôte, suscite la parole des serviteurs et des servantes de Dieu (Ac 2,4.18; 4,38). Habité et poussé par ce même Esprit du témoignage, Luc, à sa manière personnelle, offre à chacun de refaire pour son compte le parcours initiatique qui l'a conduit, lui, "le cher médecin" (Col 4,14), de l'écoute à la foi, puis de l'adhésion à Jésus au service de la parole.

 

Ainsi, dans l'œuvre de Luc, la foi tend la main à l'intelligence, non pour effacer le mystère du Fils de Dieu fait homme, mais pour inciter tout croyant à investir dans la découverte du Christ le meilleur de lui-même, de son cœur et de sa liberté.

 

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