Les souffrances du temps de maintenant.

Romains 8,20 à la lumière de saint Jean de la Croix.

 

     

"Les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit se révéler pour nous".

Quand nous songeons à l'au-delà, au grand départ, à la grande rencontre qui se profile à l'horizon de notre vie, nous sommes tentés de dire: "La mort à venir jette son ombre sur ma vie, sur mes projets, sur mon bonheur."

Saint Paul, à l'inverse, avec l'optimisme puissant qui soulève sa foi, vient nous affirmer: "La gloire à venir jette déjà sa lumière sur les souffrances du temps de maintenant ".

À partir de cette intuition de saint Paul, demandons à Jean de la Croix quelques-uns de ses secrets de sagesse; écoutons-le nous dire comment valoriser les souffrances de notre cœur chrétien

face aux événements,

face aux hommes,

et face à Dieu.

 

² Quand les événements nous désarçonnent ou nous agressent, notre premier réflexe doit être de tout référer à Dieu. Ainsi Jean de la Croix écrit: "Du moment que je vais partout avec toi, mon Dieu, tout m'arrivera heureusement partout, comme je le veux pour toi." (Maximes 71) Et le même Jean de la Croix conseille: "Tâche de conserver ton cœur en paix; qu'aucun événement de ce monde ne le trouble: songe que tout doit finir". "Réjouis-toi toujours en Dieu qui est ton salut, et considère qu'il est bon d'endurer tout ce qui t'arrive[…] pour l'amour de Celui qui est bon" (130).

Aucun dolorisme dans tout cela, aucun fatalisme de mauvais aloi, mais la certitude que Dieu agit en tout pour le bien de ceux qui cherchent à l'aimer: "Que sert-il de donner une chose à Dieu, s'il en demande une autre de toi? Considère ce que Dieu veut de toi, et fais-le: par ce moyen tu satisferas plus pleinement ton cœur que par les choses auxquelles tu te portes de toi-même" (93). Par ailleurs, ce désir de soumission à Dieu rejoint la volonté, si profondément chrétienne, de tout partager avec le Christ sauveur: "Que sait celui qui ne sait pas pâtir pour le Christ?"

 

² Le cœur chrétien, malmené ainsi par les événements, souffre aussi, souvent, de la confrontation avec les autres, avec leur égoïsme, leur dureté, leur volonté de puissance. À ce niveau également la sagesse de Jean de la Croix est porteuse de paix:

"Celui-là est doux qui sait souffrir le prochain et se souffrir soi même"(104).

"Ne soupçonne pas ton frère, parce que tu perdras la pureté de cœur"(114).

"C'est une grande sagesse que de savoir se taire et souffrir sans considérer les propos, ni les actions , ni la vie des autres"(159).

Jean de la Croix nous veut libres face au jugement et à l'estime des autres, parce que c'est Dieu que nous voulons servir: "Ne t'arrête ni beaucoup ni peu à considérer qui est pour toi ou contre toi,  et cherche toujours à plaire à ton Dieu; demande-lui qu'en toi se fasse sa volonté; aime-le beaucoup, car tu le lui dois"(206).

Ainsi, pour Jean de la Croix, il est vain de quêter dans le regard des autres ce qui va nous valoriser. Il suffit que Dieu voie, il suffit que Dieu sache, même si Dieu ne nous manifeste que de loin en loin son accord.

 

² Car Dieu souvent fait silence et paraît lointain. C'est là, pour le cœur chrétien, un troisième niveau de souffrance: l'homme, même dans sa prière, ne dispose pas de Dieu.

Une chose est certaine, qui doit nous garder dans la paix, c'est que Dieu ne nous quitte pas, même quand nous ne sentons pas sa présence:

"Seigneur mon Dieu, tu n'es pas distant, toi, de celui qui ne se rend pas distant de toi. Comment peut-on dire que tu t'absentes?" (68).

Puisque la présence et l'amour de notre Dieu ne se sentent pas toujours et ne se mesurent jamais, notre bonheur, devant Dieu, sera de vivre en totale gratuité:

"C'est un grand mal d'avoir l'œil aux biens de Dieu plus qu'à Dieu même"(189).

"L'âme qui veut que Dieu se livre tout à elle doit se livrer toute à lui sans rien garder pour soi"(179).

 

Dans notre marche vers Dieu, avec Dieu, nous aimerions garder l'initiative, baliser nous-mêmes la route, voir d'avance et maîtriser les choses; mais Jean de la Croix nous arrête, avec l'un de ces paradoxes qu'il affectionne:

"La lumière qui sert au dehors pour ne pas tomber agit à l'inverse dans les choses de Dieu, en sorte qu'il vaut mieux ne pas voir"(184).

Car "pour aller où nous ne savons pas, il nous faut aller par où nous ne savons pas".

Autrement dit: puisque  Dieu nous réserve un bonheur, laissons-le inventer le chemin.

Les critères de Dieu ne sont pas les nôtres:  "Dieu, pour aimer une âme, ne regarde pas sa grandeur, mais la grandeur de son humilité"(150.)

Ce que nous sommes vraiment, nous le sommes dans le regard de Dieu; et pas plus que nous ne pouvons guetter notre image dans le regard des autres, nous ne pouvons nous fier à notre propre regard:

"La perfection ne consiste pas dans les vertus que l'âme connaît en soi, mais en celle que notre Seigneur voit en elle, qui est comme une lettre cachetée"(164).

                                                                                       

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Quel réalisme dans la réponse à Dieu!

Quel vigueur dans l'espérance, quel appel à la liberté!

Avec Jean de la Croix, c'est bien la gloire à venir qui illumine les souffrances du "temps de maintenant", c'est bien la gloire du Ressuscité, déjà présente en nous, qui donne son prix au quotidien.

Qu'importent, dès lors, nos limites et nos misères, puisque, dès aujourd'hui, nous pouvons aimer avec le meilleur de nous-mêmes:

"À la fin du jour, c'est sur l'amour qu'on t'examinera.

Apprends donc à aimer Dieu comme il désire l'être, et laisse là ce que tu es."

 

 

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