Saint Paul : la vie et la pensée

 

 

 

            La pensée de l'Apôtre Paul constitue à elle seule un monde très long à explorer, et assez souvent, même en y apportant la meilleure volonté et au prix d'une écoute très fidèle de la Parole de Dieu, on n'a pu se familiariser vraiment qu'avec l'une ou l'autre des grandes épîtres (Gal, Cor, Rm), au détriment des lettres plus tardives. D'immenses richesses restent dès lors à découvrir, que nous apercevons de loin en loin lors de la proclamation liturgique des textes pauliniens, sans avoir le temps d'y puiser aussi largement que nous le voudrions.

            C'est pourquoi je vous proposerai aujourd'hui une sorte de grande fresque doctrinale de la pensée de saint Paul, dans le dessein de compléter l'initiation aux textes pauliniens que vous avez reçue, soit dans des cercles bibliques, soit dans vos noviciats, ou encore par vos lectures personnelles.

 

 

A.                Commençons par situer chronologiquement les diverses épîtres dans la vie de saint Paul.

 

            Appelé par le Seigneur vers les années 33-35, donc très peu de temps après la mort et le résurrection de Jésus, Paul a d'abord connu une période d'acclimatation assez difficile, sur laquelle nous sommes mal renseignés.

            Son autobiographie, assez laconique, de Gal 1,15-24 nous parle d'un séjour à Damas et en Arabie, puis, seulement au bout de trois ans, d'un bref voyage à Jérusalem où il rencontre Pierre et Jacques, le cousin du Seigneur. Après quoi on retrouve Paul tantôt en Syrie (probablement à Antioche), tantôt dans sa province natale de Cilicie.

            De toute évidence, Paul tâtonne, cherchant sa place dans la jeune Église déjà très diversifiée, essayant de préciser son champ et son style d'apostolat.

            C'est l'amitié qui va lui permettre de donner toute sa mesure.

En 43 Barnabé, un des hommes de confiance des Apôtres, vient le chercher à Tarse et le ramène à Antioche pour l'associer à son propre travail de prédication. La communauté d'Antioche constituait alors l'aile marchante de l'Église. Fondée depuis une dizaine d'années déjà par des Juifs de langue grecque chassés de Jérusalem, elle gardait, avec le souvenir d'Etienne, le premier martyr, quelque chose de son audace et de son franc parler.

            Moins soumise que les croyants de Jérusalem à l'influence des Pharisiens ralliés au Christ, la communauté syrienne avait résolu très tôt le problème majeur qui se posait à l'Église naissante : l'arrivée et le baptême des païens. Déjà, à Antioche, on ne faisait plus de différence entre les croyants circoncis et ceux qui venaient du paganisme.

            Un seul nom, "chrétiens", "ceux du Christ", les désignait tous, sans distinction de race ou de culture.

 

            Pendant un an, Paul et Barnabé travaillent côte à côte, en liaison d'ailleurs avec l'Église-Mère de Jérusalem, puisqu'on les voit tous deux délégués par leur communauté, lors d'une disette, pour porter des secours d'urgence aux chrétiens de la Ville Sainte.

            C'est à partir de cette communauté d'Antioche, extrêmement vivante et ouverte, que l'Esprit Saint va imprimer un nouvel élan missionnaire à l'Église. Laissons la parole à Luc, dans son récit des Actes :

            "Il y avait, dans l'Église établie à Antioche, des prophètes et des docteurs :

            Barnabé, Syméon appelé "le noir", Lucius de Cyrène (un autre Africain !),

            Manaën, ami d'enfance d'Hérode le tétrarque, et Saul.

            Comme ils célébraient le culte du Seigneur, et jeûnaient,

            l'Esprit, l'Esprit Saint, dit :

            "Mettez-moi donc à part Barnabé et Saul

            pour l'œuvre à laquelle je les ai appelés."

            Alors, après avoir jeûné et prié, ils leur imposèrent le mains et les laissèrent partir.

            Eux donc, envoyés par le Saint Esprit, descendirent à Séleucie, et de là firent voile vers Chypre".

 

            Le premier voyage de mission est commencé. Il durera en gros trois ans, de 46 à 49. Il ne s'agit encore que d'une prospection prudente dans l'arrière-pays, au SE de l'Asie Mineure, et cette fois-là, ils ne dépasseront pas la Phrygie, province du centre.

            À leur retour, la communauté d'Antioche les reçoit avec enthousiasme – trois ans, c'est long quand on est plus ou moins sans nouvelles – mais les deux missionnaires sont obligés de se rendre à Jérusalem pour défendre la liberté de leurs païens convertis à l'égard de la Loi juive. Finalement la thèse d'Antioche triomphe : les païens sont sanctifiés par le baptême, et la  Loi n'a pas à intervenir. Les Apôtres reconnaissent le sceau de l'Esprit sur la mission de Paul et de Barnabé : l'Esprit Saint travaille avec eux chez les païens comme avec Pierre dans les milieux juifs de la Métropole.

 

            Quelques mois après Paul reprend la route, avec Silas comme compagnon (Act 15,10) : ce sera la deuxième mission, de 49 à 52, beaucoup plus audacieuse que la première.     

            Traversant l'Asie Mineure en diagonale par la Galatie, Paul passe en Grèce continentale, et par Philippes et Thessalonique, descend jusqu'à Athènes, en évangélisant la côte.

            Puis il fonde l'Église dans le grand port cosmopolite de Corinthe. Enfin il rentre par mer à Antioche, en s'arrêtant à Éphèse juste le temps de l'escale : "Ils arrivèrent à Éphèse, écrit Saint Luc. Paul entra dans la synagogue et discuta avec les Juifs. Ceux-ci lui demandèrent de prolonger son séjour. Il n'y consentit pas, mais il prit congé d'eux en disant :"Je reviendrai chez vous une autre fois, si Dieu le veut". Et d'Éphèse il gagna le large.

            C'est au cours de cette deuxième mission, probablement en 51 et 52, que Paul écrivit, de Corinthe, semble-t-il, les deux premières lettres qui nous soient restées de lui : les deux épîtres aux Thessaloniciens.

 

            Dès le printemps de 53, Paul repart pour un troisième voyage missionnaire.

Il visite au passage ses chrétientés d'Asie Mineure en Galatie et en Phrygie, puis – chose promise, chose due – il gagne le port d'Éphèse où il va séjourner trois années entières (à peine interrompues par la voyage de la grande collecte).

            Une émeute des orfèvres de la ville met fin brusquement à son travail apostolique : évidemment la prédication de Paul n'était guère faite pour faciliter le commerce des statuettes d'Artémis ! Paul, à la hâte, fait ses adieux aux disciples , et rejoint les communautés de Grèce.

            Mais il ne va pas s'y attarder : trois mois plus tard il décide de regagner par mer Jérusalem.

            Reprenons ici le fil du récit de Saint Luc dans les Actes :

 

            "Paul avait décidé de passer au large d'Éphèse, pour éviter de perdre du temps en Asie. Car il se hâtait pour se trouver, si cela lui était possible, le jour de la Pentecôte à Jérusalem . De Milet, il envoya des messagers à Éphèse mander les Anciens de l'Église. Quand ils furent arrivés près de lui, il leur dit : "Vous savez bien, vous, comment, depuis le premier jour où j'ai mis le pied en Asie, je me suis tout le temps conduit avec vous, servant le Seigneur en toute humilité, dans les larmes et parmi les épreuves que m'ont values les complots des Juifs, comment je n'ai rien négligé de ce qui était utile pour vous prêcher et vous enseigner en public et dans les maisons, adjurant Juifs et Grecs de se repentir envers Dieu et de croire en notre Seigneur Jésus.

            Et maintenant, voici que, lié par l'Esprit, moi je vais à Jérusalem, sans savoir ce qui m'y arrivera, sauf que l'Esprit, l'Esprit Saint, de ville en ville, m'avertit que chaînes et tribulations m'attendent. Mais d'aucune façon je ne tiens ma vie pour précieuse, pourvu que j'accomplisse ma course et le ministère que j'ai reçu du Seigneur Jésus de rendre témoignage à l'Évangile de la grâce de Dieu.

            Et maintenant, voici que moi, je sais que vous ne verrez plus mon visage, vous tous parmi lesquels j'ai passé, proclamant le Royaume. C'est pourquoi je vous atteste aujourd'hui que je suis pur du sang de tous ; car je n'ai rien négligé pour vous annoncer tout le dessein de Dieu .

            Prenez garde à vous-mêmes et à tout le troupeau sur lequel l'Esprit Saint, vous a établis épiscopes pour paître l'Église de Dieu, qu'il s'est acquise par son propre sang. Moi je sais qu'après mon départ il s'introduira chez vous des loups cruels qui n'épargneront pas le troupeau, et que, du milieu même de vous, se lèveront des hommes qui tiendront des discours pervers pour entraîner les disciples à leur suite. C'est pourquoi veillez, vous rappelant que, trois années durant, nuit et jour, je n'ai cessé d'avertir avec larmes chacun de vous.

            Et maintenant, je vous confie au Seigneur et à la parole de sa grâce, qui a la puissance de bâtir l'édifice et de vous donner l'héritage parmi tous les sanctifiés. Argent, or ou vêtements, je n'en ai désiré e personne. Vous savez vous-mêmes qu'à mes besoins et à ceux de mes compagnons ont pourvu les mains que voilà. En tout je vous ai montré que c'est en peinant ainsi qu'il faut venir en aide aux faibles et se rappeler les paroles du Seigneur Jésus, qui a dit lui-même : Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir.

            À ces mots, fléchissant les genoux, avec eux tous il pria. Tous éclatèrent en pleurs et, se jetant au cou de Paul, ils l'embrassaient tendrement, tourmentés surtout de la parole qu'il avait dite, qu'ils ne devaient plus voir son visage. Puis ils l'accompagnèrent au bateau"( Actes 20,16-37).

 

            De là, en quelques jours, Paul parvint sans encombre à Jérusalem.

 

 

            Printemps 53, Pentecôte 58 : sa troisième mission avait duré cinq années, les plus fécondes, sans doute, pour son œuvre de théologien, si l'on en juge par les quatre épîtres majeures, qui s'échelonnent vers la fin de cette période, de 56 à 58 : Galates, 1 et 2 Corinthiens, et Romains.

            Paul avait eu bien raison de faire ses adieux aux anciens d'Éphèse, car les malheurs v ont commencer pour lui,quelques jours après son arrivée à Jérusalem.

            Il suffit que des Juifs d'Asie Mineure l'accusent - à tort - d'avoir introduit des Grecs dans le Temple, et "voilà toute la ville en effervescence". Pour empêcher les Juifs déchaînés de le mettre à mort, le tribun romain doit intervenir avec sa cohorte. Paul s'en tire de justesse, mais sa vie de prisonnier commence.

            Transféré par sécurité [et avec quelle escorte ! cent soldats, soixante-dix cavaliers et deux cents lanciers ! (Act 23,23)] à la prison de Césarée, il attend pendant dix-huit mois son départ pour Rome, où il en a appelé au tribunal de l'empereur.

            Enfin, à l'automne 60, l'embarquement pour Rome est décidé. Après un voyage mouvementé, agrémenté d'un naufrage au large de Malte, Paul arrive à Rome au printemps de 61 pour y être gardé en résidence sur veillée      

            Saint Luc termine ses Actes d'Apôtres par quelques lignes qui nous décrivent la première captivité romaine de l'Apôtre     

            "Paul demeura deux années entières dans un logement qu'il avait loué.

            Il recevait tous ceux qui venaient à lui,

            proclamant le Royaume et enseignant ce qui concerne le Seigneur Jésus Christ

            avec une entière assurance, sans entrave" (Act 28,30-31).

 

            De cette période datent, comme vous le savez, les épîtres dites "de la captivité" : Colossiens, le billet à Philémon, Éphésiens et Philippiens (certains pensent que Philippiens daterait de la captivité d'Éphèse).

 

            Rejoignons Paul dans sa chambre de prisonnier.

            Il a vieilli. Proche maintenant de la soixantaine, il sent que ses voyages et sa captivité l'ont usé physiquement ; et il écrit lui-même, dans sa courte lette à Philémon : "Celui qui va parler, c'est Paul, le vieux Paul, et, qui plus est, maintenant le prisonnier du Christ Jésus ".

            Il garde l'espoir d'être libéré, et cependant la perspective du martyre demeure constamment à l'horizon de sa vie spirituelle.

 

            Paul, "le" vieux Paul", prie pour ses églises lointaines, et réfléchit intensément.

            Sa retraite forcée lui permet de prendre du recul par rapport à son activité de fondateur d'églises et de faire le point d'un travail intellectuel débordant et parfois tumultueux.

            Sa pensée se fait plus large, plus apaisée, plus sereine. Les épreuves et la grâce ont buriné son âme pendant plus de vingt ans et plus que jamais son regard se porte vers le Seigneur glorieux et vers le Père des lumières, pour trouver en Dieu même la raison et l'origine du dessein de salut, dont il se dit le serviteur, jusque dans ses chaînes, avec fierté et avec une poignante conscience de sa faiblesse.

 

            Peu à peu, au long des jours et des mois, mûrit dans l'esprit de Paul une nouvelle approche théologique du mystère chrétien, et c'est ce dernier niveau de la pensée de Paul que nous retrouvons, d'abord à l'état d'ébauche dans Col, puis, dans Eph, sous la forme d'une synthèse plus vaste et presque solennelle, écrite (pour une fois !) à tête reposée.

            Il n'y a pas à s'étonner de voir l'Apôtre, à la fin de sa vie, exposer sa foi dans un cadre en partie nouveau. Paul est un homme qui a toujours cherché, et qui a toujours chercher; Certes une vision globale du mystère du Christ lui fut donnée directement sur le Chemin de Damas "lorsqu'il plut à Dieu de révéler son Fils en lui" – et Dieu sait que Paul revendiquait bien haut sa qualité d'apôtre !- mais tout au long de son existence, Paul a voulu de mieux en mieux cerner et traduire ces intuitions fulgurantes qui avaient décidé de son destin.

            Il les a traduites successivement en fonction des peuples et des cultures qu'il avait à évangéliser, en fonction aussi de ses découvertes personnelles, de ses progrès, de ses réussites, de ses épreuves et de ses échecs.

            Son expérience intérieure et son message s'enrichissaient réciproquement par une osmose constante.Toujours en devenir, toujours en travail de recréation, Paul pouvait s'identifier à sa mission, parce que sa mission jaillissait de sa vie la plus profonde.

 

            Il est possible de reconstituer, pour l'essentiel, le cheminement de la pensée théologique de saint Paul. Pour l'essentiel, car il nous faut tenir compte du caractère fragmentaire des thèmes abordés dans ses épîtres, et mainte allusion nous échappe ; mais on peut, sans trop de difficultés, suivre l'apparition de certaines lignes de force dans la conception paulinienne du salut.

            Quand on se trouve devant un génie religieux aussi créateur et aussi original que Paul, il ne saurait être question d'isoler un ou deux écrits de l'ensemble de sa contribution théologique, et l'on ne peut vraiment saisir la nouveauté d'une épître, Eph. par exemple, que sur la toile de fond des synthèses précédentes.

 

            Aussi vais-je vous proposer, comme deuxième partie de cette causerie, une sorte d'esquisse à grands traits de la théologie de saint Paul depuis ses toutes premières lettres jusqu'au niveau des épîtres de la captivité.

           

            Et les épîtres pastorales ? direz-vous.

            Ici, il faut laisser place aux conjectures et préciser une histoire plausible de la dernière période de la vie de Paul, sur laquelle nous sommes mal renseignés.

            Au sortir de sa captivité romaine, Paul, après un court séjour en Espagne, gagne la Crète, qu'il évangélise en compagnie de Tite. De là il se rend à Ephèse. Quelque temps après, il part pour la Macédoine, et c'est là qu'il écrit I Tim et Tite (vers 64-65).

            A-t-il comme il se le proposait (Tite 3,12) passé l'hiver en Épire ?

            Il semble, en tout cas, qu'il ait une dernière fois visité Corinthe (2 Tim 4,20), Milet (ib), Troas (2 Tim 4,13).    Bientôt nous le retrouvons prisonnier à Rome (2 Tim 1,16-17), et dans des conditions autrement plus dures que lors de la première captivité. Il ne jouit plus de la custodia libera ; il souffre de l'isolement (2 Tim 1,15), sent que ses jours sont comptés (2 Tim 4,6) et n'attend plus que "la couronne de justice"(2 Tim 4,8).

Rédigée quelque temps avant sa mort (66-67), 2 Tim peut être considérée comme le testament spirituel de Paul.

 

Les lettres à Timothée et à Tite sont adressées à deux des plus fidèles disciples de Paul. Elles auraient été écrites par Paul entre la fin de sa première captivité (63) et sa mort (67).On les appelle "pastorales", parce qu'elles donnent des directives pour l'organisation et la conduite des églises. On y repère une double préoccupation : a) combattre les fauteurs d'hérésie, b) organiser les églises. La façon d'aborder les problèmes a changé. Paul se contente de condamner les faux enseignements sans essayer d'argumenter.

L'authenticité paulinienne en est controversée. Voici les principales thèses en présence :

-        Paul vieilli laisse plus de latitude à ses secrétaires.

-        Un disciple de Paul, fin 1er s, cherche à résoudre les problèmes d'une Église déjà différente. Cela suppose que la pseudépigraphie existait.

-        Un disciple de Paul hérite des trois lettres authentiques, mais  les complète en fonction des problèmes nouveaux.

-        Ne pas traiter les trois comme un ensemble. Si l'on admet l'authenticité de 2 Tim, le caractère hétérogène de 1 Tim et Tite dans le corpus paulinien devient plus évident.

 

            Sans être le moins du monde négligeables, ces épîtres à Timothée et à Tite n'apportent plus rien d'essentiel à la construction théologique de Paul ; aussi pourrons- nous les laisser de côté pour la présentation rapide que nous vous proposons.

 

B.       Pour comprendre la genèse de la pensée de Paul.

 

            Pour retracer cette histoire, comme aussi pour bien situer chacun des extraits pauliniens que la liturgie nous fait méditer de dimanche en dimanche, il faut garder en mémoire la répartition en trois groupes des épîtres de Paul :

-        d'abord les lettres du début de sa carrière : 1 et 2 Thessaloniciens  (51-52);

-        puis le groupe de ce qu'on appelle "les grandes épîtres": Galates, 1 et 2 Corinthiens, Romains (56-58) ;

-        enfin, quelques années plus tard, celles de la captivité (61-63).

 

Essayons de caractériser ces trois stades de la réflexion paulinienne.

 

            Le premier niveau de synthèse correspond aux épîtres aux Thessaloniciens ( et affleurera de nouveau un peu plus tard en 1 Cor.15). On pourrait le résumer en quelques mots : le salut définitif par le Christ.

           

            L'attention de Paul se porte principalement sur l'eschatologie (étymologiquement : "les choses dernières"), sur ce qui arrivera à la fin des temps. Saint Paul partage l'enthousiasme des chrétiens qui attendent pour bientôt la parousie du Seigneur, sa venue glorieuse. C'est pourquoi sa toute première théologie est écrite sous le signe de l'espérance chrétienne.

            Le premier couple de notions théologiques autour desquelles se cristallise la pensée de Paul est le couple : résurrection – parousie.

            La résurrection du Seigneur est mise en relation avec son grand retour.

            La résurrection du chrétien  est mise en relation avec ce même retour du Seigneur.

 

            Nous nous rappelons que la communauté primitive, dans sa présentation du message chrétien, insistait beaucoup également sur le rôle du Fils de l'Homme, venu réunir et sauver les siens en vue du jugement et de la résurrection des morts.

            Dans cette même ligne, Paul rappelle aux chrétiens de Thessalonique que l'attente passionnée de la parousie du Seigneur et la présence active du Saint Esprit  dans l'Église, leur Église, entraîne pour eux l'obligation de se sanctifier, de vivre en "fils de lumière" :"Le Christ est ressuscité ; nous allons ressusciter, préparons-nous !"

 

                        Le deuxième niveau, celui des grandes épîtres, est en rapport avec la prédication de Paul dans le monde grec, et en tout premier lieu avec son séjour à Corinthe.

            Là encore, quelques mots peuvent résumer le contenu de la nouvelle synthèse : ce que Dieu nous donne, dès aujourd'hui, en nous donnant le Christ.

 

            Des expériences nouvelles obligent Paul à renouveler ses formules théologiques :

-        d'une part il constate les réactions de l'esprit grec devant l'Évangile. L'eschatologie, en particulier, ne paraît pas facilement assimilable au tempérament grec, avec ses tendances intellectuelles, platoniciennes et mystiques ;

-        d'autre part les projets apostoliques de Paul se heurtent, un peu partout, à l'antagonisme des judéo-chrétiens .

 

Paule se voit donc amené à préciser notre statut de chrétiens :

-        en face de la philosophie grecque  (a),

-        en face du judaïsme  (b).

 

a) Aux prétentions et à la suffisance des Grecs, il oppose son "discours de la Croix".

           

            La philosophie, dit-il en substance, s'est montrée incapable de conduire à la connaissance de Dieu, et elle laisse proliférer l'idolâtrie et le péché. C'est pourquoi Dieu a décidé de sauver les hommes par le message. de la Croix du Christ Aux yeux des hommes, il n'y a là que folie, paradoxe, faiblesse incompréhensible de Dieu (sojia / mwria) ; du  point de vue de Dieu, au contraire, c'est l'œuvre suprême de sa puissance et de sa sagesse ; et la sagesse nouvelle du chrétien consiste à entrer dans les vues de la sagesse de Dieu, qui a pour objet le Christ, sa vie, sa sainteté, auxquelles nous participons (dès aujourd'hui) et les biens que nous recevons de lui.

           

            Par ailleurs, comme l'intellectualisme des Grecs aurait volontiers vidé de son contenu le message de la résurrection, Paul réaffirme avec force la résurrection des corps, en insistant cependant sur la nouveauté totale de l'existence des ressuscités, transformés à l'image du Christ glorieux.

 

b)         Sur le deuxième front, pour contenir l'offensive des chrétiens judaïsants, en Galatie et à Rome en particulier, et pour émanciper sans équivoque les jeunes communautés du joug de l'ancienne Loi, Paul souligne  avec insistance l'efficacité de la mort du Christ et de sa résurrection, (de ce que nous appelons maintenant le mystère pascal).

            Le Christ seul est notre justice, c'est-à-dire notre possibilité d'amitié et de dialogue avec le Père (dès aujourd'hui) et nous sommes justifiés, non par nos œuvres, mais par un don de Dieu, toujours gratuit et toujours premier ; don qui appelle naturellement, en retour, la fidélité de nos œuvres.

            Et Paul décrit à maintes reprises les deux expériences essentielles du chrétien, dans l'aujourd'hui de l'Église : le don du Saint Esprit, - la communion avec le Christ Jésus.Dans cette nouvelle symphonie des thèmes nouveaux apparaissent, que Paul orchestre avec sa fougue et son enthousiasme habituels :

                        - nous sommes "agis" par l'Esprit,

                        - nous sommes fils,

                        - nous sommes héritiers de Dieu, appelés à la vraie liberté des fils.

 

            De la première synthèse quelque chose est resté : l'insistance sur le résurrection. Mais celle-ci n'est plus envisagée directement sous le signe de la parousie future ; maintenant saint Paul s'intéresse plus explicitement au présent. Dans la résurrection du Christ il voit surtout  la source d'une vie spirituelle réalisée dès aujourd'hui dans les chrétiens. L'effet de la résurrection du Christ, qui était d'abord de nous promettre et de nous garantir notre résurrection future, à la parousie, est désormais de rendre notre vie participante jour après jour de la vie même du Christ : nous sommes des ressuscités ! (avec simplement une sourdine opportune pour les Corinthiens qui risqueraient d'exagérer et de tout se permettre, sous prétexte qu'ils sont ressuscités).

 

            Résumons donc ; la résurrection est l'idée-force qui a servi de charnière entre les deux premières "théologies" de Paul. D'abord considérée comme prélude à la parousie, elle est présentée ensuite comme l'irruption, dès maintenant, dans le monde présent, des exigences et des forces sanctificatrices du monde futur.

 

            Une dernière mutation de la pensée paulinienne va nous fournir, avec les épîtres de la captivité, surtout Ephésiens,  la synthèse christologique la plus complète, qui remploie sur un plan nouveau les matériaux des constructions précédentes

 

            L'attention de l'Apôtre se porte désormais moins sur le retour du Christ (bien que Paul parle encore d'espérance !) et sur l'œuvre conjointe du Christ et de l'Esprit aujourd'hui dans la vie du croyant, que sur la personne du Christ lui-même.

            Tout s'articule désormais autour de l'idée de mystère. Nous aurons à revenir longuement su cette notion. Disons tout de suite que, dans le langage de Paul, le mot mystère ne désigne pas tant les profondeurs de Dieu inaccessibles à toute intelligence d'homme, que le plan divin du salut, longtemps voilé et maintenant dévoilé.

            Les réflexions de Paul rejoignent la création du monde visible et du monde invisible des Puissances célestes. Le Christ, Fils éternel, éternellement présent auprès de Dieu, a été agent de la création et il demeure le principe d'unité de tout le cosmos. Sa mort et sa résurrection ont refait l'unité du monde humain, momentanément troublée par l'intervention de Puissances hostiles et par la Loi juive. Désormais les hommes se trouvent réunis dans l'unité du Corps du Christ :"Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père". Les Gentils ont accès auprès du Père, et sont bénéficiaires de la même promesse.

            L'Église apparaît comme la plénitude du Christ, son Corps, son Épouse. Et sur cette Église-Corps qui se construit sur la terre, le Christ glorieux, Tête de l'univers régénéré, fait descendre les dons spirituels dont il est la source.

            C'est cette floraison nouvelle de thèmes théologiques que nous découvrons et méditons dans Colossiens et Éphésiens. Mais il y a beaucoup d'aspects passionnants à relever dans ces deux épîtres :

-        l'aspect universaliste et œcuménique, et les relations du Christ avec le monde matériel ;

-        l'aspect liturgique et les liens très étroits qui unissent Colossiens-Éphésiens avec quelques textes majeurs de la prière du Temple, voire avec les documents de Qumran ;

-        l'aspect trinitaire de ces deux épîtres, qui sont peut-être les plus adorantes de toutes les lettres de l'Apôtre.

Nous sommes aussi amenés à souligner l'intérêt de Paul :

pour la vie de famille et la vie conjugale du chrétien , comme premiers fruits de sa charité de baptisé ;

pour la connaissance personnelle et approfondie que chaque chrétien doit prendre du mystère qui le sauve.

 

            Enfin et surtout, étudier et intérioriser le message de Colossiens- Éphésiens, c'est aller, avec Paul, à la découverte de ce qu'il y a de plus indicible dans le destin et la personne du Christ, c'est prendre peu à peu conscience des véritables dimensions de l'Homme-Dieu.

            Et cela, c'est tonifiant pour notre foi et notre espérance, au moment où la théologie et la catéchèse cherchent un nouveau langage pour mieux présenter le message de Jésus, au moment où les critiques parfois corrosives des tenants de l'interprétation existentiale risquent d'estomper le Jésus de l'histoire et de réduire le Christ de la foi.

 

            Certes Colossiens-Éphésiens ne nous donnent pas d'outils pour cerner Dieu ni de mains pour le saisir. Elles font mieux :

elles dilatent l'espace de notre adoration ;

elles nous font vibrer à l'unisson du dessein de salut que Dieu avait formé dans son éternité vivante et             dynamique et qu'il poursuit dans le temps devant nous, pour nous, avec nous ;

elles nous ramènent sans cesse devant les exigences de l'unité dans l'unique Esprit qui vivifie l'Église ;

elles nous rappellent avec insistance qu'il est Dieu, pas moins que Dieu, ce  Jésus de l'Évangile dont             nous cherchons le visage.

 

            Et cela suffit pour que nous essayions humblement, honnêtement, d'entrer dans la pensée de l'Apôtre, pour rejoindre la pensée de Dieu.

 

 

 

 

 

 

Remarque catéchétique

 

 

 

 

            Faisons ici une remarque d'ordre catéchétique et spirituel, à propos de cette fresque, ou plutôt de ce triptyque, de la théologie paulinienne devant lequel nous venons de nous arrêter.

            Nous avons vu, dans un premier temps, la pensée de Paul tournée vers l'avenir, vers la venue du Seigneur de gloire. Quelques années plus tard, dans ses grandes épîtres, l'Apôtre réfléchit surtout sur le présent chrétien. Enfin, dans Colossiens-Éphésiens, il remonte en pensée jusqu'à la préexistence du Christ, jusqu'à ce moment intemporel de l'éternité où le Père d'avance nous a destinés à reproduire l'image de son Fils.

            Voilà donc une vision de l'histoire du salut de plus en plus large, et finalement exhaustive, qui donne finalement pleine consistance au présent de la mission : nous savons d'où nous venons et où nous allons.

            Étrange itinéraire spirituel, qui va d'un horizon à l'autre du temps, de la fin ultime à l'origine du salut, des promesses de Dieu pour l'avenir au Dieu qui promet de toute éternité.

 

            Profonde expérience du dialogue avec Dieu, où le moi du croyant, avec ses inquiétudes, ses désirs et ses espérances, s'efface de plus en plus devant le Toi de Dieu, source de toute vie, de tout salut, de toute gloire.

 

 

 

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