Romains 8

 

 

 

Ce commentaire est établi à partir du livre de Heinrich Schlier "Der Römerbrief" (Herders Kommentar zum Neuen Testament, VI, Herder, Freiburg- Basel-Wien, 1977).

            H.Schlier est un pasteur protestant converti au catholicisme, ancien élève de Heidegger. Son langage est parfois un peu philosophique, mais la manière qu'il a de redire les choses sous une forme différente nourrie du vocabulaire de Paul nous aide puissamment à entrer dans la pensée de l'apôtre, et cela prépare efficacement la prière.

Sauf indication contraire, la traduction retenue est celle d'E.Osty.

            Le commentaire est à lire plutôt verset par verset, pour favoriser la découverte, sans créer d'accumulation.

 

L'épître aux Romains dans la vie de Paul

 

Il faut se souvenir que Rm est une lettre dictée par Paul, selon l'usage du temps. D'où des reprises, des surcharges, des maladresses, des parenthèses plus ou moins développées ; d'où surtout la passion qui souvent se mêle à la démonstration théologique. Le scribe est un certain Tertius, qui se permet, vers la fin de la lettre (16,22), de saluer les destinataires, dont peut-être il était connu. Ce Tertius se trouve logé chez Gaïus, à Corinthe, qui est peut-être aussi l'hôte de Paul, à la fin de son troisième voyage missionnaire (53-58).

Paul vient de passer trois mois dans cette ville (Act 20,3). Il va partir (s'il n'est déjà parti) pour Jérusalem où il veut porter le produit d'une collecte d'entraide (15,25s). Il a des projets, non pas pour l'Est de la Méditerranée (15,13-20), car là il a mené à bien sa mission, mais en direction de l'Occident (15,24) : Rome, puis, beaucoup plus loin, l'Espagne.

Mais pour l'heure, c'est son voyage à Jérusalem qui l'occupe, et même l'inquiète (15,30s).

 

Rm 8 dans l'ensemble de l'épître

 

            Après avoir rappelé que les Juifs comme les païens ont besoin du pardon de Dieu (1,11 – 3,20), et que la "justice"(l'ajustement à Dieu) réclame un foi vivante (3,21-31), Paul a insisté sur l'exemple d'Abraham, notre père dans la foi (ch.4) ; puis, pour faire comprendre ce que signifie "être sauvé", Paul a montré (ch.5.6.7) comment tout baptisé profite, en Jésus Christ, d'une triple libération : par rapport au péché, à la mort spirituelle et la Loi. En 7,6 il écrit déjà :"Maintenant nous avons été libérés de la Loi, parce que nous sommes morts à ce qui faisait de nous des captifs, et nous avons à servir sous la motion nouvelle de l'Esprit et non sous l'autorité surannée de la lettre".

            Plus loin, en 7,25s, Paul rend grâces pour cette libération :"Grâces soient à Dieu par Jésus Christ notre Seigneur". Et c'est alors qu'il aborde, tout au long de Rm 8, le thème de la vie nouvelle du chrétien dans l'Esprit. Tout cela est littéralement imprégné du souvenir de l'Esprit Saint, mentionné pas moins de 19 fois.

           

Saint Paul y développe successivement quatre thèmes :

 

        Sous l'emprise de l'Esprit qui habite en nous, nous tendons à la vie et à la paix (v.1-11) ;

        L'Esprit Saint fait de nous des fils de Dieu, des héritiers de Dieu, cohéritiers du Christ (v.12-17) ;

        L'Esprit, qui anime notre prière, nous prépare à la gloire (v.18-30) ;

        La fin du chapitre est une hymne à l'amour victorieux, à l'amour que le Père nous a manifesté en Jésus Christ, à l'amour du Christ dont rien ne pourra nous séparer (v.31-39).

 

 

 

Sens du mot "chair" (sarx, bâśâr).

 

"Chair", dans la Bible, désigne rarement la chair et les os de l'homme, sa réalité physiologique, mais le mot renvoie à l'homme dans son intégralité, avec son corps, son intelligence, sa volonté, son affectivité. Bâśâr, c'est bien tout l'homme, mais l'homme affecté de son coefficient de caducité, de fragilité, de labilité morale, c'est l'homme laissé à ses limites, à ses misères, à son illusion d'autonomie.

La sarx, comme grandeur théologique quasi personnalisée, est pour saint Paul :

l'homme clos sur lui-même,
l'homme enfermé,
l'homme raidi sur son autonomie,
l'homme abandonné à la force de ses désirs,
l'homme soupçonneux devant les choses de Dieu.

La sarx, c'est l'autosuffisance, c'est l'ego fermé, c'est la fermeture spontanée à l'initiative de Dieu, l'autonomie revendicatrice, la courbure de l'homme sur lui-même ;la sarx, c'est l'humanité en autarcie.

Le mot offre une plasticité, une ambivalence, assez redoutables pour nous, occidentaux. Il peut, en effet, désigner :
- l'homme concret (l'individu) dans son autosuffisance,
- la manière de vivre autosuffisante (l'homme vit "dans la chair", il en porte les fruits), en quelque sorte un niveau d'existence,
- l'ensemble de l'humanité vivant cette fermeture, ce soupçon,
- l'Autosuffisance comme force quasi personnifiée, qui impose son pouvoir à l'homme et revendique son obéissance (Rm 8,12).

 

Le chapitre 8

 

Il est entièrement dominé par le thème de l'Esprit Saint : cité 19 fois dans le seul ch.8, contre 4 fois en ch.1-7 et 7 fois en ch.9-16. En Rm 8,18-30, le thème principal est la gloire à venir, mais le thème du pneuma (Esprit Saint) n'est pas oublié. Le § des v.31-39 voit disparaître le thème du pneuma ; ce qui renforce l'impression que les v.31-39 constituent la conclusion de toute la deuxième partie de l'épître (5,1 – 8,3).

Cette situation du ch.8 dans l'ensemble de l'épître et ce découpage – forcément schématique – laissent déjà deviner le poids et la force de son contenu, qui constitue à la fois un sommet, et un pendant au ch.7.

 

Lien avec le ch.7

 

            Le v.8,1 se comprend très naturellement comme la suite de 7,25a [7,25b semble une addition, peut-être de Paul lui-même (BJ), qui serait mieux en place après 7,23 ou 7,24. Cette conjecture n'est cependant attestée par aucun témoin du texte]. Inutile donc d'y voir une glose ou d'intervertir 8,1 et 8,2.] C'est un nouveau commencement, un peu abrupt, qui amène de nouveaux développements et un nouveau point de vue que l'auteur veut prendre.

            Il faut se souvenir également que 7,7-25a constitue une sorte d'excursus ("la Loi serait-elle péché ?) qui se termine au v.7,24 par une question rhétorique de l'homme adamique, et en v.25a par un appel-action de grâces du chrétien. Notre passage 8,1-17 se rattache thématiquement à 7,1-6, dont il est la continuation en un certain sens : 7,4 … vous êtes morts à la Loi par le corps du Christ (à la Croix, moyennant le baptême)

            8,8 … la loi de l'Esprit vous a libérés de la loi du péché et de la mort.

 


 

1re partie :      Sous l'emprise de l'Esprit

nous tendons à la vie et à la paix (v.1-11)

 

 

 

Verset 1 : "Il n'y a donc maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Christ Jésus".

 

"donc" (ara) En deuxième position, suivant l'usage classique, au sens de "en conséquence".

En conséquence de quoi ?

- de ce qui est dit dans l'action de grâces de 7,25a,

- du contenu de 7,6 (avant l'excursus):

…"maintenant, dégagés de la Loi, nous vivons dans la nouveauté de l'Esprit",

- également de ce qui est dit de la nouvelle situation de l'humanité et du nouvel être du chrétien (en christô Ièsoû) à partir de 3,21ss, et en tout cas à partir de 5,1ss ; nouveauté du chrétien qui est le déploiement de la "justice" de Dieu, apparue dans le Christ Jésus, devenue accessible par la foi, et fixée dans le baptême.

 

"maintenant" (nûn), dans ce contexte, peut s'entendre à deux niveaux :

1)      C'est le "maintenant" au sens de 3,21; 5,9; 5,21, c'est-à-dire le temps du monde, déterminé par la Croix et la résurrection de Jésus.

2)      Et c'est le "maintenant" au sens de 6,21; 7,6 (etc..), où l'individu humain, puisqu'il est "dans le Christ Jésus", est inséré dans le nouvel être, grâce à la foi et au baptême.

Maintenant, pour le chrétien entré dans le champ de la seigneurie et du salut du Christ, il n'y a plus de condamnation.

 

"condamnation" (katakrima) : ne se retrouve dans le NT qu'en Rm 5,16-18. C'est la condamnation lors d'un jugement, ici la sentence de mort  ; le thème revient en 3b et 34a.

 

"aucune" (ouden), en relief au début de la phrase : il n'en est absolument plus question pour le chrétien.

 

Spiritualité : Le verset 1 constitue ainsi une sorte de résumé de ce qui précédait : le "maintenant" chrétien. Il situe fort bien la crainte dans l'existence du chrétien. Dans la mesure même où il se veut chrétien, "dans le Christ Jésus", le chrétien n'est plus sous le coup d'une condamnation, d'une sentence, d'une menace. Paul nous dira (v.15) que nous n'avons pas reçu "un pneuma de servitude pour retomber dans la crainte, mais un pneuma d'adoption, qui nous fait crier :"Abba ! Père !" Il s'agit pour nous de vivre désormais en fils ou en filles de Dieu, et la crainte, dans notre vie, est toujours de trop, et elle nous coupe de la joie que Dieu veut pour nous. Rien n'est moins chrétien qu'un visage triste, celui d'un homme ou d'une femme qui n'est pas foncièrement d'accord avec Dieu, ou qui ne se contente pas de Lui.

 

 

Verset 2 : "En effet, la loi de l'Esprit de vie t'a libéré, en Christ Jésus, de la loi du péché et de la mort."

 

Ce verset se présente comme une explication du v.1 :"en effet"(gar), et cette explication va reprendre à son tour le contenu de Rm 5-7 :"Il n'y a pas de condamnation pour ceux qui vivent dans le Christ Jésus, car l'Esprit nous a libérés du péché et de la mort".

Mais regardons de près. Me (m'), en soi bien attesté, et gardé par la TOB, est probablement une harmonisation involontaire avec le me de 7,24a. Se (t'), préféré par Schlier, BJ, Osty, est une variante rhétorique du "nous" de v.4 et du "vous" du v.9. Il signifie que cette libération est urgente pour chacun de nous, pour chacun de vous. Cette 2e personne amorce déjà l'annonce qui n'apparaîtra clairement qu'au v.9 ("vous").

Puis Paul précise qui est le libérateur (β ) et en quoi consiste la libération (α).

 

α) libérés de quoi ? de la loi du péché et de la mort.

 

C'est à éclairer par 7,23 :"Je vois dans mes membres une autre loi qui lutte contre la loi de ma raison et me tient captif sous la loi du péché qui est dans mes membres". La loi du péché est identique à la loi de la mort. C'est l'impossibilité d'échapper au péché, une sorte de nécessité qui rend l'homme captif du péché.

La loi du péché, ici, n'est pas, comme en 7,7ss, la Loi qui par ses ordonnances provoque à la faute, mais, plus profondément, un statut d'existence établi par les deux puissances : le Péché et la Mort.

Nous sommes donc libérés de cette pente inexorable vers le péché et vers la ruine, de cette contrainte exercée par la puissance du Péché et la puissance de la Mort. Dans la ligne de 7,23, nous pouvons dire : nous sommes libérés d'un statut inexorable, qui nous conditionne dans "nos membres", et donc dans nos actions, qui nous oblige à nous défendre de nos limites de créatures au long de notre existence historique.

Loi = contrainte, sujétion imposée, emprise.

 

β) délivrés par qui ou par quoi ?

 

Paul aurait pu dire simplement : par le pneuma, mais il développe "la loi de l'Esprit de vie".

Certes le pneuma, le pneuma de Dieu (v.9a, 14) qui est aussi le pneuma du Christ (v.9b; 10a), nous a délivrés de la contrainte exercée par le péché et la mort, mais cette libération est aussi l'œuvre de la loi (nomos) du pneuma,

une loi qui est efficace dans l'Esprit,

une loi que s'est donnée l'Esprit,

une loi avec laquelle l'Esprit s'identifie.

Nous retrouvons le même concept de loi qu'en Rm 3,27, une loi-emprise, une loi dominatrice. Sa domination établit un ordre des choses nouveau, fondé sur une nouvelle exigence, réalisé et à réaliser d'une nouvelle manière, advenu en même temps qu'est "venue" la foi (Ga 3,23.25).

Ce nouvel ordre des choses, que réalise le pneuma, a remplacé et rejeté l'autre (la loi du péché et de la mort). Ce sont, pour ainsi dire, deux mondes opposés, avec chacun ses règles. Dès lors que la nouvelle règle de l'Esprit et devenue dominante et la seule valable, l'individu (toi, moi) a été libéré de l'ancienne contrainte. Le "toi", l'individu à qui Paul s'adresse, et qui doit l'entendre, est averti maintenant de cette nouvelle exigence, de cette nouvelle règle du monde.

 

Le pneuma, dont la "loi" agit maintenant pour libérer, est nommé ensuite "l'Esprit de la vie", à comprendre ainsi :"L'Esprit [qui donne] la vie", "l'Esprit vivifiant", et "l'Esprit [qui est] vie", "l'Esprit vivant".

Le couple Esprit / vie revient souvent chez Saint Paul :

ils peuvent être interchangeables : comparer 6,4 et 7,6 ;

d'après 8,11, la vie (en même temps que la paix), est "le désir" de l'Esprit (to phronèma toû pneumatos), c'est-à-dire ce à quoi il réfléchit, aspire, pense ;

en Rm 8,11, c'est l'Esprit qui rend vivant notre corps mortel ;

en I Co 15,45, le dernier Adam, le Christ, est devenu "esprit vivifiant" ;

en Ga 6,7s, la vie est le fruit du pneuma, et ce fruit mûrira pour celui qui s'en remet à l'Esprit.

            Axé sur la vie, le pneuma crée la vie et la donne. "L'Esprit de la vie" est l'Esprit qui veut la vie, qui la crée et l'épanouit.

 

À quoi rattacher le "dans le Christ Jésus" (en christô Ièsou)?

 

Si on le rattache à "l'Esprit de la vie", il s'agit de l'Esprit de la vie, laquelle est donnée dans, avec et par le Christ Jésus. Pour le rapprochement Jésus Christ / vie, on peut citer Rm 5,18-21 :"par un seul acte de justice, c'est pour tous les hommes la justification qui donne la vie …afin que la grâce régnât de même par la justice pour la vie éternelle par JCNS", et surtout 6,23 :"le don gratuit de Dieu, c'est la vie éternelle en XJNS".

On peut le rattacher seulement à "t'a libéré" (èleutherôsen se).

Troisième possibilité : le rattacher à l'ensemble : "la loi de l'Esprit de la vie" est donnée et efficace.

Cette loi, que l'Esprit de vie a apportée, est donnée et efficace avec et dans le Christ Jésus, dans le champ de seigneurie de la personne de Jésus Christ, champ que l'Esprit a établi.

            Cette troisième explication rendrait plus net encore le lien entre 8,1 et 8,2 : il n'y a plus, maintenant, de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus, car la loi, qui règne dans le champ de puissance du Christ, et qui est la loi de l'Esprit, avec laquelle la vie arrive, cette loi t'a libéré de l'emprise du péché et de la mort, qui dominait dans le monde et en nous.

 

            D'autres passages peuvent compléter et éclairer 8,1.2 :

Rm 6,18-22 :"libérés du péché, vous avez été asservis à la justice … maintenant, libérés du péché et asservis à Dieu, vous avez pour fruit la sainteté, et pour terme la  vie éternelle".

Ga 5,1.13 :"c'est pour la liberté que le Christ vous a libérés … c'est à la liberté que vous avez été appelés".

            Si on les rapproche de Rm 8,1.2, cela donne la perspective suivante :

 

Spiritualité :    1) Dans la loi de l'Esprit, qui règne maintenant, agit le libérateur Jésus Christ, et cela grâce à l'appel réalisé par l'Évangile et grâce au baptême ; les deux, appel et baptême, étant vécus dans la force de l'Esprit.

2)      Cette liberté, qui est produite dans la force de l'Esprit par Jésus Christ au moyen de l'Évangile et du baptême, est une liberté qui libère de l'emprise du péché et de la mort, emprise qui est établie par la puissance du péché, qui est maintenue par le légalisme et qui est sans cesse réactivée. C'est en même temps une liberté qui se réalise dans l'obéissance à Dieu et à sa justice.

3)      Ce qui nous appartient, c'est de nous situer, humblement, dans le Christ Jésus et dans l'Esprit; d'attendre la libération que, par nous-mêmes, nous sommes incapables de nous donner.

 

 

Verset 3 : "Car ce que ne pouvait la loi, que la chair rendait impuissante, Dieu l'a fait en envoyant en vue du péché son propre Fils dans une chair semblable à celle du péché : il a condamné le péché dans la chair".

 

 Dans notre contexte de Rm 8, Paul revient sur quelques points qu'il a traités ailleurs.

Avec le v.3, d'abord, il revient sur l'avènement du salut "dans le Fils", le Christ. C'est en effet cet événement qui est à la base de la libération par l'Esprit, par la loi de l'Esprit.

 

"Car" (gar) unit v.3 au v.2, ce qui donne la chaîne logique suivante :

-          maintenant il n'y a plus de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus,

-          car l'Esprit nous a libérés de la contrainte du péché et de la mort,

-          et ceci parce que Dieu a envoyé son Fils pour condamner le péché dans la chair (l'humanité pécheresse)

Parce que Paul veut dire le maximum et le plus exactement possible, le v.3 devient quasi inintelligible.

 

Problème de traduction :

Käsemann :"(There has be done) that which was impossible for the law, in which it showed to be weak because of the flesh : God send his own Son in the likeness of sinful flesh and as an expiatory sacrifice, condemning sin in th flesh".             (donc anacoluthe)

Schlier : simple apposition à la principale, placée devant la principale (Bl.Debr.§ 480,6). "Dieu", en vedette, marque l'opposition Dieu/loi ou Esprit/loi, et introduit l'affirmation principale, celle qui reçoit tous les compléments :"Dieu a condamné le péché", complété d'abord par une participiale "en envoyant son Fils", puis par 2 précisions : dans une chair semblable à celle du péché  /  en vue du péché :

 

Contenu de la principale :

1)      Dieu a condamné le péché dans la chair ; la condamnation n'a pas eu lieu pour ceux qui sont dans le Christ Jésus, parce que Dieu a accompli ce katakrinein, cette condamnation.

2)      Le péché (hamartia), comme en 8,2 et 5,12, est le péché en tant qu'il a pénétré dans l'humanité avec le péché d'Adam. C'est la puissance du péché qui règne dans l'humanité, en ce sens qu'elle est accomplie, ratifiée, dans les péchés ou le "pécher" des hommes.

3)      La condamnation de cette puissance de péché par Dieu s'est réalisée "dans la chair", donc au lieu où elle règne. Elle a été atteinte là où elle a son siège : l'existence charnelle et déchue. C'est cette puissance pécheresse que Dieu a maintenant condamnée à mort (elle s'est annexé "la chair" comme lieu de séjour et champ d'activité).

C'est la première chose qui est à dire de cet événement de salut. Cette condamnation de la puissance du péché dans la sarx (chair) du monde s'est réalisée par l'envoi du Fils de Dieu dans le monde. Cette condamnation va épargner la condamnation à ceux qui sont dans le Christ Jésus.

 

Théologie biblique de la sarx (chair) [à ajouter aux indications de la p.1]

 

La "chair" est, elle aussi, comprise comme "puissance", et comme dimension de l'existence corporelle.

L'homme demeure dans la chair, cf.8,8.9; 7,5.

La chair revendique l'homme (8,12), et l'homme estime devoir la satisfaire (Ga 5,13).

La chair convoite (Ga 5,17) ; elle a des passions (pathèmata) et des désirs (épithumiai) : (Ga 5,16.24).

La chair désire accomplir sa convoitise (Ga 5,16; Ep 2,3).

Elle désire qu'on prenne soin d'elle (provoia, Rm 13,14) et qu'on lui fasse confiance (Ph 3,3-4), qu'on mette en elle sa confiance.

L'homme sème dans la chair et attend d'elle des fruits (Ga 6,8).

L'homme se règle sur elle, acquiesce à ce qu'elle veut.

L'homme est "selon" (kata) la chair dans son être, dans sa pensée, dans son agir (Rm 8,4.5), dans son savoir (ginôskein 2 Co 5,16), dans l'inspiration de ses projets (katabouleuesthai, 2 Co 1,17), dans ses combats (strateuesthai, 2 Co 10,3), dans sa démarche (péripatein, 2 Co 10,2; Ga 3,3), dans sa vie (zèn,Rm 8,13).

La chair a des œuvres (Ga 5,19).

Sa prétention et son désir, son intention, la visent elle-même, sont tournés vers son propre accomplissement. On se trouve donc devant un accomplissement de la recherche de soi :

soit au plan de la sensualité (Ga 5,13s.19-21; Rm 8,15; 7,3; 1 Co 3,3, etc.),

soit au plan spirituel, p.ex. et surtout concernant un accomplissement des préceptes destiné à nous donner devant Dieu de l'assurance ou à nous faire valoir devant lui par notre propre "justice" (dikaiosunè),

soit pour une auto-assurance tirée de l'appartenance au peuple de Dieu (Ph 3,3ss),

soit pour une gloriole que l'on tire de la sagesse (sophia) ou des charismes (1 Co 1,26; 2 Co 11,18; 12,1; 10,12.18).

Par là la chair (sarx) va à la mort (Rm 8,6), toutes ses pensées vont à la mort.

Elle est ennemie de Dieu (ekhtra eis théon) et rebelle à ses directives.

Le péché, en tout, se sert de cette chair (sarx) ; il séjourne, demeure en elle, en la dominant.

 

"ayant envoyé" (pempsas) : ici le part.aoriste n'implique pas l'antériorité, mais la manière dont s'accomplit l'action (Bl.Debr.§339,1)

 

"son Fils" ( ho huios autoû), cf. ho idios huios, 8,32. Peut-être Paul utilise-t-il une tournure traditionnelle, qui reparaît en Ga 4,4 mais qui est également johannique (Jo 3,16; 1 Jo 4,9). Il vise par là non seulement l'Incarnation, mais aussi le but de l'Incarnation, et son dévoilement à la croix et à la résurrection.

 

"à la ressemblance", (homoiôma) souligne ici, comme déjà en Rm 5,14; 6,5, qu'il y a identité dans la non-identité, concrètement : que Dieu a envoyé son Fils dans la chair de péché, laquelle, dans le Fils, n'était pas chair de péché, cf. Ph 2,7 : en omoiôtati anthrôpôn. À partir de 2 Co 5,21 le Fils n'a pas fait lui-même l'expérience du péché. Si Paul avait dit simplement :"l'ayant envoyé dans une chair de péché", il aurait pu être mal compris. En ajoutant :"et au sujet du péché" (kai péri hamartias) il montre très probablement qu'il a en vue le but et le dévoilement de cet envoi de son propre Fils dans la chair. L'envoi a été fait "concernant la puissance du péché", donc naturellement, selon Paul, pour l'écarter (cf. Ga 1,4). Mais cela s'est réalisé à la croix et dans la résurrection (cf. Rm 6,10; 1 Co 15,3; 2 Co 5,21). Käsemann comprend "au sujet du péché"(péri hamartias) au sens technique "offrande pour le péché"(Lv 16,  ; Hb 10,6.8; 13,11), ce qui est tout à fait possible.

 

Spiritualité : contenu du v.8 : 1) Dieu a condamné à mort la puissance de péché qui est active dans la "chair".

2)Cette condamnation s'est accomplie par l'envoi de son propre Fils dans la "chair",- dans cette chair de péché qui chez lui n'est pas chair de péché – envoi qui culmine dans la mort et la résurrection des morts.

 

Au début de notre v.8, l'impuissance de la loi est opposée à cette dé-puissantisation du péché, opérée par Dieu en son  Fils.

 

"impossible" (to adunaton) : souligné, et garanti contre toute fausse interprétation, par "que la chair rendait impuissante (en hô èsthénei dia tès sarkos).

 

"car" (en hô) : parce que, dans la mesure où.

 

"rendait impuissante" : asthénein et asthéneia apparaissent chez Paul avec des sens assez différents :

-          faiblesse corporelle en général :2 Co 11,29; le contraire est alors dunamis, dunameîn (avoir la force de) 1 Co15,43; 2 Co 13,3.9;

-          faiblesse de la connaissance : Rm 6,19;

-          faiblesse morale : Rm 5,6;

-          faiblesse de la foi : Rm 4,19; 14,1s; 1 Co 8,11;

-          faiblesse de la conscience : 1 Co 8,12.

Ici il est question de la faiblesse de la loi (nomos). Mais le nomos n'était pas faible en soi, il l'était par la chair (dia tès sarkos) , à comprendre peut-être, comme en Rm 7,10; 2 Co 9,13, au sens de "à cause de la chair", donc au sens causal (dia tèn sarka). Mais cela n'est pas absolument nécessaire. Si la chair, en tant que dominée par le péché, rend la loi si "faible", c'est qu'elle voit dans cette loi une incitation à la recherche de soi (cf.Rm 7,7ss; 3,20b; 4,15; 5,20;7,4, mais aussi Ga 2,16; 3,2.11.21ss). La chair paralyse la loi. La faiblesse, qui empêche la loi de produire le salut et qui lui fait apporter la malédiction, lui vient de la "chair", de l'être-chair de l'homme, dominé par le péché.

            La loi, de soi sainte, juste et bonne, provoque une illusion fondamentale : à cause de la chair elle engendre la recherche de soi, l'auto-croissance dans l'injustice (adikia), ou dans la propre "justice"(idia dikaiosunè).

 

Spiritualité      Résumé de la pensée de Paul, v.1- 3 :

Ceux qui se tiennent sous la seigneurie du Christ n'ont à craindre aucun jugement de mort.

La nouvelle "loi de l'Esprit", qui ouvre à la vie eschatologique, le nouvel ordre de l'Esprit, qui prévaut dans le Christ Jésus, les a libérés du pouvoir du péché et de la mort.

Dieu est intervenu : il a fait ce dont la loi mosaïque n'était pas capable, non de soi, mais à cause de la "charnellité" de l'homme égocentrique (la loi en tant que fixation et représentation de la volonté divine qui assure la vie).

Cette charnellité fausse toute exigence de Dieu, et révèle seulement qu'elle est dominée par la puissance du péché, par une constante injustice ou une constante autojustice.

Dieu a tué la puissance de péché qui demeure dans la chair en ce monde (éon) et régit ce monde (contrairement à ce qui se passe pour la loi, tellement impuissante dans la réalité historique de l'homme, dans la sphère de la "chair)".

Cela s'est accompli par l'envoi de son propre Fils Jésus Christ, comme homme de chair, dans le monde, jusqu'à la croix et la résurrection.

C'est cette action de Dieu en Jésus Christ qui est la base et le présupposé de cette libération accordée à chacun par l'Esprit qui donne la vie. Sa loi prévaut maintenant dans le champ de la seigneurie du Christ. L'homme est libéré du statut de péché et de mort qui est celui de la "chair".

Le comment n'est pas dit. Paul laisse seulement deviner, par l'articulation des v.2 et 3, que cette action de Dieu vient à l'expérience par l'activité de l'Esprit.

 

Verset 4 : "pour que la justice exigée par la loi s'accomplît en nous, dont la conduite s'inspire non de la chair, mais de l'esprit".

 

Cette proposition finale nous indique le but recherché par l'agir de Dieu en Jésus Christ : Dieu a, par son Fils, condamné la puissance du péché

pour que soit accompli par nous le dikaiôma, la juste conduite que demande la loi, [note BJ 1950 f :"Ce précepte de la loi, que seule l'union au Christ par la foi permet d'accomplir, se résume dans le commandement de l'amour, cf.Rm 13,10; 7, 3; Ga 5,42; Mt 22,40].

pour que par nous soit accomplie la juste volonté de Dieu, à laquelle notre vie est suspendue.

"La chair fait échouer la loi ; l'Esprit amène l'accomplissement de cette loi. L'Esprit n'est pas seulement l'opposé de la loi (7,6) et sa fin, mais précisément l'accomplissement de la loi"(Althaus).

 

Sens de dikaiôma :

1.       ce que demande le droit, le commandement

2.       l'action juridique

3.       en Rm 5,16 = dikaiôsis, mais Schlier choisit dikaiôma, à cause des autres substantifs en –ma, qui indiquent le résultat d'une action

4.       ici : la juste conduite, la juste volonté, l'exigence de la justice, ce que la "justice" (juste réponse à Dieu) réclame.

 

La puissance du péché est donc brisée par l'intervention de Dieu en Jésus Christ. Et la visée de Dieu, c'était que soit faite de nouveau sa volonté, l'exigence de la justice.

 

"par nous",(en hèmin) ; peut-être aussi "chez nous" ou "entre nous". En tout cas pas "en nous", si l'on n'inclut pas aussitôt "par nous".

Maintenant, par l'Esprit et dans la foi, libérés de la courbure sur nous-mêmes et référés uniquement à Dieu, nous accomplissons, nous voulons accomplir la loi.

"Nous" = ceux qui sont dans le Christ, du v.1, ici caractérisés par leur attitude fondamentale, leur péripateîn.

 

"se conduire". Péripateîn est un mot fréquent chez Paul pour la manière de vivre (Rm 6,4; 1,18).

Péripateîn kata sarka, c'est se conduire "d'après les critères de la chair". Nous sommes ceux qui dirigent leur vie non d'après les revendications de la chair, mais d'après les critères du pneuma (Esprit); Dieu, par son Fils a réduit à l'impuissance la puissance du péché pour que nous accomplissions ce que demande la loi, nous qui nous dirigeons d'après l' Esprit.

            Evidemment, le pneuma, d'après lequel nous cheminons, a manifesté et rendu présente cette action de Dieu. Dieu, par Jésus Christ, a enlevé au péché sa puissance. Il a fait cela pour que sa juste exigence fût accomplie dans le monde par nous. Cela suppose que nous comprenions et menions notre vie en fonction de cette action de Dieu, et donc que l'Esprit nous l'ouvre.

            Ainsi ce qui est décrit au v.2 comme libération par l'exigence de l'Esprit se réalise de la man. svte :

-          dé-puissantisation, en Jésus Christ, de la puissance du péché ;

-          présence de cet acte de l'Esprit ;

-          conduite de la vie d'après l'Esprit.

 

Verset 5 : "Ceux qui vivent selon la chair, en effet, désirent les choses de la chair ; ceux qui vivent selon l'esprit, les choses de l'esprit".

 

"en effet". Gar revient souvent dans ce contexte, comme de : cette accumulation laisse supposer que le gar n'est pas toujours causal, ni le de toujours adversatif.

            Ici gar est bien causal. Paul motive l' "impératif" contenu dans le v. 4, et le renforce :

-          en précisant quelles sont les tendances de la sarx (chair) et de ceux qui la suivent, et quelles sont les tendances du pneuma (Esprit) ;

-          en soulignant que l'opposition est absolue entre sarx et pneuma.

"Ceux qui sont selon la chair" remplace maintenant péripatountes. Le nous est ici remplacé par la manière d'agir. Ce sont probablement les non-baptisés. Ils recherchent les choses de la chair ; leur existence est caractérisée par la chair, toujours en quête des choses de la chair.

 

"désirer" (phroneîn)  1. penser, juger (Rm 12,13; 1 Co 13,11; Ph 1,7)

                                   2. diriger sa pensée vers (Rm 12,16b; 14,6; Ga 5,10; Ph 3,19; Col 3,2)

                                   3. prendre le parti de quelqu'un (Mt 16,23 = Mc 8,33; + Diod. 13,48,4,7;

                                                                                  Jos.Antichrist.14, 450, 1 Mac 10,20)

Ce troisième sens, que l'on ne peut pas toujours dissocier exactement des autres, est peut-être présent ici : la chair, sur laquelle l'homme s'aligne, lui fait prendre parti pour elle, pour ses affaires à elle, pour ses aspirations.

À compléter par Ga 5,19ss :"… les siens font les erga (œuvres) de la chair".

 

En face, "ceux qui sont selon le pneuma (Esprit) sont "ceux qui sont dans le Christ (v.1). Depuis le baptême ils ont leur être axé sur le pneuma. Eux prennent parti pour le pneuma et pour ses dons, et on le voit quand ils produisent les fruits de l'Esprit (Ga 5,22s).

 

Verset 6 :"Car les désirs de la chair, c'est la mort ; les désirs de l'Esprit, c'est la vie et la paix".

 

Entre les deux groupes il y a donc une différence absolue, de but et de résultat.

Phronèma (seulement ici dans le NT) = la "quête". La chair est en quête de la mort. Celui qui s'axe sur elle et prend son parti s'embarque dans ce phronèma (quête), dans cette tendance, et va à la mort.

À l'opposé, l'intention et la tendance du pneuma (Esprit), on pourrait presque dire "sa volonté", c'est la vie (v.2) et la paix (5,1;14,17). Ainsi la volonté du pneuma est la volonté de Dieu, qui est le Dieu de la paix (Rm 15,33; 1 Co 14,33; 2 Co 13,11; Ph 4,9; 1 Th 5,23).

 

"paix", (eirènè)          La paix représente le règne de Dieu (Rm 14,17). Dieu appelle à la paix (1 Co 7,15) ; Dieu la donne (2 Th 3,16). Et cette paix est "la paix du Christ"(Col 3,15), et même Christ Jésus lui-même (Ep 2,14-17) qui établit et annonce la paix; C'est la paix qui surpasse toute intelligence (Ph 4,17).

            Ceux qui consentent à l'Esprit voient s'ouvrir pour eux la vie et la paix du salut, vie et paix que l'Esprit recherche et qu'il leur assure.

 

Verset 7 : "Voilà pourquoi les désirs de la chair sont hostiles à Dieu, car ils ne se soumettent pas à la loi de Dieu ; ils ne le peuvent même pas".

 

Comment et dans quelle mesure la quête de la chair (sarx) est-elle mort (thanatos) ? Parce que (et dans la mesure où) la chair et sa quête sont ennemies de Dieu.

L'inimitié, la haine (hè ekhthra) au sens actif, cf.Ep 2,14.16; Ja 4,4 (il y a aussi l'adjectif ekhthros, a, on).

Elle se tourne, comme hostilité, contre Dieu ; elle n'est pas seulement opposée de sentiments, mais hostilité active contre Dieu. Son intention est mortifère : c'est celle d'un ennemi, d'une inimitié contre Dieu.

            Cela se voit en ce que la chair n'obéit pas, et même ne peut obéir (7b : gar explicatif "en ce sens que").

La chair ne se subordonne pas à Dieu,

             ne se soumet pas à Lui (hupotassesthai au sens moyen comme en Rm 13,1.5; 1 Co 14,33s; 16,16)

            ne se met pas sous sa loi, cette loi dans laquelle agit la volonté vivifiante (vie-donnante) de Dieu.

Bien plus, elle lui résiste : elle ne peut même pas (oude gar); elle n'est donc pas seulement désobéissante de fait, comme Paul l'a montré (Rm 1,18 – 3,20) au sujet des païens et des Juifs, mais désobéissante essentiellement, en tant que chair dominée par la puissance du péché, en tant que chair adamique vendue au péché (Rm 7,14).

 

Verset 8 :"Ceux qui sont dans la chair ne peuvent donc plaire à Dieu".

 

C'est-à-dire      ceux qui sont "selon"la chair, v.5

                         ceux qui recherchent les choses de la chair, v.4

                         ceux qui marchent selon la chair,

                         ceux qui sont "dans la chair", sous sa puissance et sa fascination.

 

"plaire à Dieu" (areskein tô théô) (cf. 1 Th 2,15; 4,1; 1 Co 7,32), c'est trouver ou éveiller le raşôn de Dieu, en Dieu. Celui qui est dans la chair ne peut provoquer, éveiller le raşôn en Dieu. C'est cela la mort.

 

Verset 9 :"Mais vous, vous n'êtes pas dans la chair, mais dans l'esprit, si toutefois l'Esprit de Dieu habite en vous. Si quelqu'un n'a pas l'esprit de Christ, il ne lui appartient pas".

 

Avec cet encouragement, Paul revient à ses lecteurs et renoue avec l'affirmation du v.2 (toi, se), tout en reprenant le contenu des v.5-8, quant à la substance et à la terminologie. Le "vous" (humeîs) remplace maintenant le "toi"(se) du v.2, car ce qu'il affirme vaut pour tous, bien que concernant chacun.

Paul rappelle aux chrétiens de la communauté de Rome ce qu'ils sont (par rapport à tout ce qui a été dit) et il le fait d'une manière dialectique :"Vous n'êtes pas dans la chair". Naturellement ils sont dans la chair sous un certain aspect, puisque, en tant qu'êtres terrestres, ils vivent dans la chair (cf. Ga 2,20 :"ce que je vis maintenant  dans la chair"; voir Ph 1,22), mais en même temps ne vaut plus ce qui valait dans le passé ("lorsque nous étions dans la chair", Rm 7,5). Cette manière d'être (lorsqu'ils étaient dans la chair et vivaient selon ses critères) est maintenant passée. Ils sont maintenant, dans leur existence terrestre, en pneumati (dans l'esprit), dans l'espace de l'esprit, "si toutefois l'Esprit de Dieu habite en vous", (eiper, si toutefois, quoique , Rm 3,30; 8,17; 2 Th 1,6, a ici une connotation secondaire causale "puisque"; cf. Rm 3,30 "puisqu'il n'y a qu'un Dieu" ; 8,17 "si toutefois nous souffrons avec lui" ; Bl.Debr.§454,2. C'est donc un "indicatif" (et non pas indirectement parénétique) : vous êtes dans l'Esprit, puisque l'Esprit habite en vous tous par le baptême.

 

Noter la double formulation : notre être-dans-l'Esprit est fondé sur l'être-en-nous de l'Esprit.

L'Esprit s'est emparé de nous et s'est annexé notre existence comme espace d'action, grâce à quoi nous vivons dans le champ de sa seigneurie. Nous sommes dans l'Esprit parce que l'Esprit s'est ouvert à nous comme l'endroit où il agit, comme ce qu'il détermine.

Notre être-en-lui est son être-en-nous, et vice versa.

Paul peut dire cela autrement :

Dieu a envoyé en nous son Esprit (Ga 4,6)

Dieu a donné (au baptême) l'Esprit aux chrétiens (dans leur cœur) (2 Co 1,22; 5,5)

les chrétiens l'ont reçu ( Rm 8,15; Ga 3,14; 1 Co 2,11)

ils ont été abreuvés par Lui (1 Co 12,13)

ils ont reçu son sceau (Ep 1,13; 4,30)

ils ont l'Esprit (Rm 8,9.23)

ils ont commencé avec lui leur nouvelle vie (Ga 3,3)

nous vivons par l'Esprit (pneumati) (Ga 5,25)

en sorte que nous devons marcher dans l'Esprit (Ga 5,16) et nous laisser conduire par lui (Rm 8,14; Ga 5,18)

 

Mais toutes ces affirmations n'atteignent pas la force de Rm 8,9. Seuls pourraient lui être comparés 1 Co 6,19 "votre corps est un temple du Saint Esprit qui est en vous et que vous tenez de Dieu" et 2 Co 6,16 : "nous sommes, nous, le temple du Dieu vivant".

Toutes ces affirmations indiquent que l'Esprit est un don que l'on reçoit, pour s'ouvrir à lui et le laisser faire.

 

Que signifie "vous êtes dans l'Esprit" ou "l'Esprit du Christ habite en vous" ?

Les v.9b-11 le disent autrement :

Le v.9b formule d'une manière négative, et c'est remarquable (peut-être parce que la phrase constitue une formule défensive, prise ici comme une phrase didactique, cf. 1 Co 16,22 :"Si quelqu'un n'aime pas le Seigneur, qu'il soit anathème").

Formulé positivement, cela donnerait :"Celui qui a l'Esprit du Christ, celui-là lui appartient".

 

Ici plusieurs remarques :

1)      Le pneuma théoû (Esprit de Dieu), appelé au v.4 pneuma tout court, est maintenant nommé pneuma christoû (Esprit du Christ). L'Esprit de Dieu est l'Esprit du Christ ; à partir de v.2 :"l'Esprit de vie en Christ Jésus".

2)      Être dans l'Esprit (puisque l'Esprit est en nous), c'est aussi avoir l'Esprit du Christ.

On a donc l'Esprit de Dieu, en ce sens que l'Esprit du Christ investit notre personne et notre vie, nous fait entrer dans le champ de sa seigneurie. "Avoir" l'Esprit, c'est donc être rempli par lui et être mené par lui.

3)      Surtout, être dans l'Esprit (parce qu'il est en nous ) et avoir l'Esprit, cela signifie "appartenir au Christ", "être du Christ" : cf. 1 Co 1,12; 3,23; 15,23; 2 Co 10,7; Ga 3,29; 5,24.

Nous appartenons au Christ dans son Esprit. Dans son Esprit, le Christ s'ouvre lui-même à nous, en sorte qu'il prend possession de nous et que nous devenons sa propriété. L'Esprit du Christ, qui est l'Esprit de Dieu, nous fait expérimenter le Christ comme notre Seigneur. L'Esprit se présente comme la force de l'autoouverture du Christ pour nous.

 

Les v.10-11 vont développer ce qui arrive lorsque nous appartenons au Christ par son Esprit.

 

 

Verset 10 :"Que si Christ est en vous, le corps est mort à cause du péché,

mais l'esprit est vie à cause de la justice"

 

De nouveau une formulation générale et didactique.

Ce qui apparaît tout d'abord, c'est que l'on peut rendre par l'expression "le Christ en nous" :

l'habitation du pneuma de Dieu (Esprit),

avoir l'Esprit du Christ,

appartenir au Christ.

L'Esprit de Dieu et du Christ fait être le Christ en nous et nous marque du Christ. Le Christ habite en nous, en s'ouvrant à nous et en s'emparant de nous par l'Esprit.

Du Christ habitant en nous, Paul parle ailleurs assez souvent et de diverses manières (2 Co 13,5; Ga 2,20; Ep 3,17; aussi 2 Co 11,10; Col 3,15) ; mais si le Christ habite en nous (par l'Esprit), il s'ensuit que :

 

1)le sôma (corps) est mort pour ce qui est du péché.

 

Le sôma est ici identique à la sarx (chair) (cf.8,13). C'est le sôma du péché (6,6), de la mort (7,24), de la sarx (Col 2,11). Si le Christ habite en nous par l'Esprit, ce corps est livré à la mort, il est nékron (mort)par le baptême qui l'a évincé.[BJ : En raison du péché (5,12) le corps est destiné à la mort physique et il est instrument de mort spirituelle ; mais l'Esprit est vie, puissance et résurrection.]

 

2)le pneuma (Esprit) est vie.

 

C'est le pneuma de la vie en Christ Jésus (8,2), et cela "à cause de la justice"(dia dikaiosunèn). Dia est à comprendre – soit au sens final :"pour établir la justice", - soit au sens de "par rapport à, eu égard à" la justice présente en lui.

La vie (zôè) est, comme déjà vu en 5,18.21, justice (dikaiôsis, dikaiosunè), on pourrait presque dire : le pneuma (Esprit) est vie et, par là ou en cela, justice.

 

La phrase n'envisage donc pas le pneuma dans un sens anthropologique, mais il est question de l'Esprit. Et il s'agit précisément, dans ce v.10, non pas de notre corps individuel, mais du corps en général, de la corporéité, de la charnellité. Celle-ci, certes, existe dans la corporéité individuelle, dans laquelle nous aussi, chrétiens, nous étions (Rm 6,6; 7,24) et qui nous conteste toujours de nouveau en tant qu'elle est notre passé (Rm 6,12s).

 

Il ne s'agit pas, dans ce v.10, de l'opposition corps/esprit au sens idéaliste. Cela contredirait la terminologie habituelle de Paul et la visée de l'ensemble de notre contexte, où sarx (chair) et (ici) corps sont compris comme puissances. Ces puissances, certes, viennent à l'existence en nous et sont données avec notre charnellité et notre corporéité, mais ne sont pas sans plus identiques à elles. Dans notre charnellité et notre corporéité nous avons seulement part à la chair et au sôma (corps) dont Paul parle ici, dominés que nous sommes par cette chair et ce sôma.

 

Le pneuma aussi est, en tant que puissance de Dieu, la force qui est en nous et par laquelle nous sommes dominés.

 

Verset 11 :"Et si l'Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité d'entre les morts Christ Jésus donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous".

Cette fois, en ce v.11 Paul en visage notre corps individuel. Il ne s'agit plus du "sôma du péché", mais du "sôma thnèton" (corps mortel). Si le pneuma (Esprit) est zôè (vie), v.10, nous allons en avoir la preuve en nous-mêmes, lorsque nous ressusciterons des morts.

Regardons de près la formulation.

 

1.      Le pneuma de Dieu, qui est le pneuma du Christ, est caractérisé comme "le pneuma de Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts".

C'est le pneuma qui, en Jésus Christ, éveille les morts et crée la vie. Ce pneuma s'est emparé de nous, nous sommes en lui, dans la dimension de sa puissance. Ce pneuma a déjà fait ses preuves comme pneuma de la vie, et c'est en lui que nous menons notre vie, c'est lui que nous prenons comme critère pour notre vie.

De plus, en tant qu'il est "celui qui a éveillé le Christ d'entre les morts", il est le pneuma du Christ, c'est-à-dire le pneuma en qui le Christ est présent et agissant. Il est la puissance du Seigneur auto-dévoilé, éveillé grâce à lui d'entre les morts.

 

2.       Ce pneuma a affaire à nos thnèta sômata (corps mortels).

Ce n'est plus le "sôma de cette mort" (Rm 7,24), le sôma de l'hamartia (péché) (Rm 6,6), le sôma livré au péché et à la mort, mais le corps arraché au péché et à la mort éternelle (par le baptême) grâce au pneuma qui habite en nous, un corps pourtant encore mortel, de la mort corporelle. Il n'est plus livré à la mort, mais il est toujours menacé par elle.

De ce corps le pneuma se met encore en peine, le pneuma divin de la résurrection, le  pneuma du Christ, qui

a déjà accordé la zôè (vie) sous la forme de la"justice" (dikaiosunè). À ce corps le pneuma donnera aussi la vie eschatologique, si le pneuma demeure en nous, et si nous nous laissons conduire par lui.

 

3.      Mais Paul précise : c'est Dieu qui agit ; Dieu qui a déjà montré sa puissance créatrice dans la résurrection du Christ, Dieu qui, dans la force de l'Esprit ("par son pneuma habitant en nous"), va vivifier aussi nos corps mortels, qu'il a déjà libérés, par son pneuma, de la puissance du péché et de la mort.

Par ce pneuma, le pneuma éveilleur des morts, qui a ressuscité Jésus, nous avons tous espérance.

Être dans l'Esprit, cela signifie aussi et finalement vivre dans la perspective ouverte par lui, vivre pour le futur du salut, ce futur qui, déjà présent dans la force de l'Esprit, se dévoilera comme résurrection des morts.

 

L'exhortation, jusqu'ici seulement implicite, se fait plus pressante : cet Esprit dans lequel nous sommes et qui est en nous, que nous avons depuis notre baptême comme qualification de notre être, laissons-le devenir le kata de notre vie, le "selon", l' "axe", le "critère fondamental" d'après lequel, à partir duquel et vers lequel nous vivrons notre vie.

Cette exhortation implicite (cf.v.4 !) va être explicitée aux vv.8,12ss.

 

Spiritualité : Bien voir que le plan de Dieu, c'était que l'homme puisse vivre le dikaiôma, la véritable "justice" qu'il réclame. Il l'a fait vivre par son Fils qu'il nous a donné, et désormais, branchés sur ce Fils, nous pouvons vivre cette "justice". Nous sommes branchés sur Lui par le baptême, grâce à l'Esprit. Tout ce qui précède notre baptême est sous le coup du péché, de la mort, de la condamnation. Tout ce qui est vécu dans le Christ (ou son Esprit) est vie, liberté, "justice" ; et tout débouchera sur la vie éternelle, y compris pour notre corps mortel.


 

 

2me partie : L'Esprit Saint fait de nous des fils de Dieu,

des héritiers de Dieu, cohéritiers du Christ (v.12-17)

 

 

 

Verset 12 :"Ainsi donc, frères, nous sommes débiteurs, mais non envers la chair pour vivre selon la chair".

 

Les v.12-17 envisagent l'Esprit des enfants de Dieu.

La libération de la puissance du péché (v.11) pour la "justice", l'échappement à la puissance de la mort pour la vie présente et future (par le pneuma de Dieu éveillant les morts, qui a montré sa puissance en Jésus Christ et la montre maintenant en nous, qui sommes en Jésus Christ) a naturellement des conséquences que notre manière de vivre.

Cette nouvelle situation de salut nous crée des obligations fondamentales et radicales. L'Esprit, qui nous fait don de la vie, pose en même temps une exigence. Cela était dit v.4 indirectement, et c'est redit v.12-13 directement. Ga 5,25 l'exprimait en quelques mots :"Si nous vivons par l'Esprit, marchons aussi sous l'impulsion de l'Esprit"(ei zômen pneumati, pneumati kai stoikhômen).

Ici les développements sont plus larges. En même temps va se trouver précisé le don de l'Esprit.

 

"Ainsi donc" (ara oûn) introduit la suite de 8,9-11 et, plus largement, de 8,1-11.

 

"frères" (adelphoi) : pris explicitement à partie comme en 7,1.4 ; ici pour donner plus de poids aux paroles de Paul, comme assez souvent quand il exhorte, et pour donner un enseignement qui concerne tout le monde Rm 12,1; 15,30; 16,17; 1 Co 1,10s; 7,24;11,33; 14,20.39 etc).

 

Que signifie "ne plus être dans la chair, mais dans le pneuma"?

 

D'abord nous ne sommes plus redevables à la sarx (chair).

Opeilétai : + datif de la personne à qui l'on doit (Rm 1,14) ; + génitif de la chose due (Ga 5,3) ; en Rm 15,1.27 et 1 Co 5,10 on a opheilomen :… "c'est un devoir pour nous"  …"elles le devaient".

N'ayant plus de dette envers la sarx, envers notre ego clos sur lui-même, nous n'avons pas à conduire notre vie en fonction de lui.

 

Comment comprendre, en langage contemporain, cette "dette" ?

Nous avons un devoir d'obéissance, une sujétion, une pente, une obligation, une force de gravité qui nous entraîne, une stimulation contraignante, par rapport à la "chair", à l'égocentrisme.

Nous avons l'impression de devoir quelque chose à nous-mêmes, de devoir payer notre existence à la sarx.

La vie humaine nous paraît une vie endettée. Nous avons l'impression de devoir entrer dans un système.

Quand on dit :"pour être heureux, que faut-il faire ? quels sont les ingrédients d'une vie réussie ?", nous sommes prêts à entrer dans un "système de valeurs", à nous inféoder à l'esprit du temps, à nous soumettre sans discussion à ce qui est "socialement correct".

 

Mais nous sommes maintenant en dette envers l'Esprit, donc en dette avec Dieu et en Dieu.

Nous sommes maintenant sous la loi de l'Esprit et de la vie (Rm 8,2). Cela, Paul ne le redit pas après les développements des v.1-11, mais il renforce l'"impératif" du v.12 en indiquant les conséquences de la dette à la sarx et de la dette à l'Esprit.

 

Verset 13 ;"Car, si vous vivez selon la chair, vous devez mourir ; mais si par l'Esprit vous faites mourir les œuvres du corps, vous vivrez".

 

Continuer à vivre selon l'homme fermé amène à la mort.

Laisser agir l'Esprit pour tuer la "chair" assure la vie.

Si la vie laisse l'homme clos sur lui-même être le critère, elle succombe à la mort. Mellete est proche de "vous devez, vous êtes obligés de" mourir.

Le phronèma tès sarkos (désir, pente de la chair) est, nous le savons, thanatos (mort). La chair attire dans la mort ceux qui se tournent vers elle.

Le contraire (13b) promet la vie à celui qui fait mourir dans l'Esprit les actions du corps (sôma de nouveau ici pour sarx). L'idée de kata sarka zèn (v.5.13) (vivre selon la chair) est maintenant rendue par praxeis tou sômatos (les œuvres du corps). La chair montre son autorité dans les praxeis, les actions, les œuvres de l'homme (Col 3,9).

 

Le contraire de vivre selon la chair, de faire les actions du corps, de tès sarkos pronoian poieisthai eis épithumian (Rm 13,14 : litt."faire la préoccupation de la chair pour [en satisfaire] la convoitise", est ici tas praxeis … thanatoûn. Ce thanatoûn exprime bien la radicalité de l'exigence : Paul aime drama-tiser le combat spirituel. Rapproche la formulation un peu différente de Col 3,5s :"nekrôsate oûn ta melè, ta épi tès gès" (litt."faites mourir vos membres, ceux qui sont sur la terre = ce qui, en vous, appartient à la terre : débauche, impureté, passion, désir mauvais, et cette cupidité qui est idolatrie).

Ce v.13b ne doit pas être compris seulement au sens d'une ascèse corporelle, bien que celle-ci, le cas échéant, puisse servir à ce qui est visé. Paul a en vue quelque chose de plus vaste et de plus fondamental : l'arrêt de tout agir autocentré (qui remplace le pouvoir du péché et de la mort, cf.6,12), un renoncement à toute recherche de soi, ce qui dépasse "l'être naturel et instinctuel de l'homme".

 

"par l'Esprit" (pneumati). Ce thanatoûn, cette mise à mort (ce renoncement radical), se fait par l'Esprit.

Par l'Esprit seulement il ne devient pas à son tour un combat dont l'honneur reviendrait à l'homme seul, un kata sarka zèn, une des erga nomoû (œuvres du corps).

Certes, c'est une décision de l'homme, mais une décision qui est prise avec l'assistance et sous l'exigence de l'Esprit. C'est seulement ainsi, comme don de soi à l'Esprit qui m'ouvre, à moi le croyant, le don que le Christ a fait de lui-même pour moi, et qui par là me rend libre, me libère de ma propension à vouloir mon Ego, me libère pour le remerciement et l'action de grâces, c'est seulement ainsi que le triomphe sur les actions autocentrées est un pur accomplissement du vouloir de Dieu, c'est seulement ainsi qu'il a la promesse "vous vivrez" (zèsesthe).

Cette vie (zôè) est toujours quelque chose de reçu, quelque chose d'accordé, et que l'on saisit comme accordé, quelque chose de saisi et d'accordé en même temps.

La conduite, fût-elle la plus hautement morale, où l'homme se complaît et n'advient pas en pneumati (en l'Esprit) est une entreprise mortelle.

 

Voici donc  la suite logique de la pensée de Paul :

Aux v. 9-11 il était dit : vous êtes dans le pneuma (l'Esprit), et par suite, aujourd'hui et plus tard, dans la vie.

Les v.12-13 poursuivent : donc, frères, vous ne devez plus vous sentir obligés par rapport à votre ancienne existence tournée sur vous-mêmes, mais vous devez vous décider, dans l'Esprit, contre toute praxis (action) centrée sur l'Ego.

L'ancienne conduite mène seulement à la mort, la nouvelle assure la vie, qui justement est offerte par l'Esprit et est saisie par une décision que lui, l'Esprit, rend libre.

 

Verset 14 :"Tous ceux en effet qui sont conduits par l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu".

 

Que sera la vie de ceux qui par l'Esprit font mourir les actions du corps ? La réponse est donnée aux v.14-17.

 

Le v.14 commence par un enseignement objectif à la 3e personne :"Ceux qui se laissent conduire par l'Esprit, ceux-là sont fils de Dieu". Hosoi = pantes, hoi, comme Ga 6,12; Ph 4,8.

Maintenant, "ceux qui dans l'Esprit font mourir les œuvres du corps" pneumati théoû agontai (sont menés par l'Esprit). L'Esprit Saint les prend par la main, ils "se laissent conduire" par l'Esprit, ils "se laissent" à l'Esprit.

On retrouve la même dualité actif/passif en Ga 5,16 et 5,18 : "pneumati péripateîte kai épithumian sarkos ou télésèteei pneumati agesthe" ("conduisez-vous par l'Esprit, et vous n'accomplirez pas la convoitise de la chair…si vous vous laissez mener par l'Esprit".

L'agir du chrétien est toujours à la fois conduite par l'Esprit et décision. Il est décision dans l'Esprit.

Dès lors le pneuma qui nous "conduit" si nous nous abandonnons à lui (et ainsi nous fait mettre à mort les actions de l'homme clos sur lui-même) habite en nous et constitue la dimension dans laquelle nous sommes (en tant que baptisés).

Être de l'Esprit, cela signifie toujours aussi être sollicité par lui et se laisser conduire par lui. Mais cela, nous l'apprenons comme en passant, en rapprochant 14a et 13b.

Ce que veut expliquer notre v.14, c'est proprement le zèsesthe (vous vivrez) de 13b. Et l'explication, c'est que ceux qui se laissent conduire par le pneuma sont des fils de Dieu (huioi théoû ou [v.16] tekna théoû)

On retrouve "fils de Dieu" (huios tou théoû) appliqué au chrétien, en Rm 8,19 ; et huiotesia (filiation) en 8,15.23; Ga 4,5; Ep 1,15 (partiellement au sens eschatologique).

 

 

Mais cette filiation révélée pour l'avenir s'est inaugurée déjà dans la foi et le baptême (Ga ,26), car aux "fils" Dieu a donné (dans leur cœur) le pneuma de son Fils (Ga 4,6), et cet Esprit, s'ils se laissent mener par lui, leur prouve et prouve aux autres qu'ils sont fils de Dieu, comme cela apparaît clairement ici Rm 8,14ss.

Être fils de Dieu, cela recouvre donc trois choses pour le croyant :

1)      la filiation commencée dans le baptême et dans la foi (Ga 3,26; 4,6)

2)      la filiation réalisée dans l'existence sous la conduite du pneuma (Rm 8,14)

3)      la filiation manifeste et définitive (Rm 8,19.2)

On pourrait ajouter, à partir de Rm 8,29; Ep 1,5 : la pré-détermination à être fils de Dieu, c'est-à-dire laisser s'accomplir le plan de Dieu sur chacun de nous.

 

 

Verset 15 :"Aussi bien, n'avez-vous pas reçu un esprit de servitude pour retomber dans la crainte, mais vous avez reçu un Esprit d'adoption, qui nous faut crier :"Abba, Père !"

           

En quoi se manifeste la filiation au long de l'existence par abandon à l'Esprit (filiation avec laquelle la zôè (vie) future est déjà donnée) ? – en ce que les chrétiens peuvent crier : "Abba, Père".

            De nouveau Paul revient au "vous" (elabete, vous avez reçu ; v.15a x 2) , puis au "nous" d'une sorte ce confession de foi (v.15b.16.17). Le v.15 est lié à v.14 par "car" (gar) : on peut appeler fils de Dieu ceux qui se laissent conduire par l'Esprit, parce que cet Esprit nous fait crier avec confiance vers Dieu, notre Père. Il est l'Esprit qui atteste lui-même notre filiation (v.16).

BJ : Plus que simple maître intérieur, l'Esprit est le principe d'une vie proprement divine dans le Christ  (cf. Rm 5,5s; Ga 2,20.

 

Les v.15 et 16 vont expliquer pourquoi ceux qui s'ouvrent à l'Esprit  et s'en remettent à l'Esprit, sont fils de Dieu et peuvent appeler Dieu comme Père.

 

²                 Le v.15 l'explique négativement : ils n'ont pas reçu un esprit d'esclavage.

 

"esprit d'esclavage" (pneuma douleias) . C'est l'esprit qu'a l'esclave, l'esprit qui produit l'esclavage, qui caractérise l'esclavage. Ce serait de nouveau un pneuma eis phobos, un esprit qui de nouveau amène la crainte.

 

"crainte" (phobos) est à entendre dans un sens fondamental. Ce n'est pas la peur d'un objet précis, mais l'angoisse, liée à la situation de douleia (esclavage), déjà décrite en Rm 6 et 7 : la situation de la loi, du péché et de la mort ; donc la situation fondamentale liée à la situation d'esclavage.

            Précédemment, sous la domination du péché, il n'y avait d'autre vécu que l'angoisse. Le péché n'offrait à l'homme d'autre issue que le péché lui-même, et d'autre avenir que la mort. Même là où cette angoisse était amortie (dominée philosophiquement, étouffée par la jouissance, raidie par l'héroïsme, recouverte par le culte de la jeunesse).

            La même chose vaut de la situation sous-la-loi (c'est-à-dire la conduite de l'Ego). Car c'est aussi une situation d'esclavage (douleueîn, douleia, Rm 7,6; Ga 4,24; 5,1) : la loi, sous la coupe du péché, n'engendre que péché et mort. Dans cette situation de domination de la loi et de la conduite égoïste, situation qui cachait en elle péché et mort, le monde (kosmos) se posait en réclamateur. La douleia (esclavage) était, selon Ga 4,1ss.8s :"hupo ta stoikheia toû kosmou .. dedoulôménoi" (Ga 4,3), et la situation est décrite en Ga 4,8 :"Jadis, quand vous ne connaissiez pas Dieu, vous étiez asservis à des dieux qui, de leur nature, ne le sont pas".

            Mais justement, cette rébellion du monde et de ses puissances élémentaires qui empêchait tout accès au vari Dieu, et menaçait de mort la vie (suscitant la crainte [phobos] par un tel esclavage, et remplissant du pneuma (esprit) de l'angoisse), cela ne vaut plus pour les fils de Dieu. Ils ont vaincu l'angoisse de mort (car dans l'angoisse s'annonce toujours la mort), cette angoisse qui est l'état d'âme fondamental de l'homme.

 

²                 Forme positive en 15b : ils ont reçu l'Esprit d'huiotésia (filiation).

 

Huiotésia signifie "filiation, adoption comme acte juridique". Le concept n'est pas connu du monde juif ; Paul le reprend à un contexte hellénistique (il manque dans la LXX).

Rm 9,4 Adoption d'Israël comme fils de Dieu (cf. Ex 4,22; Is 1,2)

Ga 4,5  Du point de vue chrétien : c'est le but de l'envoi du Fils, qui va libérer ceux qui sont assujettis à la loi : "pour qu'il vous soit donné d'être fils adoptifs"

Ep 1,5   L'huiotésia (adoption) du chrétien est un projet éternel de Dieu.

 

Huiotésia (filiation) est aussi un phénomène eschatologique : "Nous attendons l'huiotèsia, la rédemption de notre corps" (Rm 8,23). Nous avons déjà reçu, au baptême, l'Esprit d'huiotésia, qui nous ouvre cette filiation, et avec lequel elle nous pénètre. Et cet Esprit d'huiotésia (filiation) ne nous incline pas à l'angoisse, mais nous fait crier avec confiance vers le Père. Dieu reçoit l'homme comme fils, et l'Esprit ouvre à l'homme cette adoption comme fils. C'est dans l'Esprit que nous crions "Abba, Père", et ce cri exprime ce que nous sommes dans l'Esprit.

 

Remarques sur plusieurs détails :

 

1)                  "Crier" (krazein) est un mot qui a trait à l'inspiration (cf. déjà la LXX : Ps 29,2; 107,13, et l'inspir.proph.)

Dans le NT, c'est l'inspiration des démons ou celle des prophètes (Mc 3,11; 5,5.7; et Act 16,7; Mc 11,9; Jo 1,15; 5,28.37; 12,44; Rm 9,27 et Is 22,2s)

 

2)            Ici nous crions dans l'Esprit de filiation (v.15), mais en Gal 4,6 "l'Esprit crie" dans nos cœurs :"Fils, vous l'êtes bien. Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils, qui crie "Abba, Père" (la prière même du Christ à Gethsémani, Mc 14,36). L'Esprit "crie" dans notre cœur, pendant que nous "appelons". Il appelle en nous, et nous par lui.

 

3)      Abba est araméen, comme marana tha, amen, hôsanna, alléluia (1 Co 16,22; Did 10,6).

Ici il est, de plus, traduit (Lc 11,2 = pater). À partir de l'usage des époques mishnique et targumique, on pourrait avoir "ho patèr hèmôn", "abbûn".

            Ce n'est pas l'appel angoissé vers le Dieu absent, mais le cri de confiance vers le Dieu présent, qui est "le Père" auprès de qui nous avons accès par l'Esprit (Ep 2,18).

 

4)      La forme araméenne et le "nous" renvoient probablement à un cri liturgique. C'est lors du culte communautaire que les chrétiens, poussés par l'Esprit, crient dans l'Esprit "Abba,Père".

 

Résumé sur v.14-15 : Ceux qui se laissent conduire par l'Esprit, qui font cesser leur agir auto-centré, ceux-là vivront. Ils sont bien fils de Dieu et ont reçu l'Esprit, l'Esprit d'adoption par Dieu, le Père. Eux, autrefois esclaves pleins de l'angoisse de vivre, sont maintenant, grâce à l'Esprit, des fils de Dieu pleins de confiance Ils crient dans l'Esprit avec la communauté rassemblée "Abba, Père".

 

Verset 16 :"L'Esprit lui-même témoigne à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu".

 

Autrement nous ne l'appellerions pas ainsi !

Donc non seulement les chrétiens sont enfants de Dieu grâce à l'Esprit, mais ils le savent aussi par le témoignage de cet Esprit. Summartureîn tini = non pas "témoigner en même temps que quelqu'un", mais "témoigner à quelqu'un"(Rm 9,1; 2,15). Le verbe composé remplace souvent le verbe simple dans la koinè.

De quelle manière ce summmarturein (témoigner) de l'Esprit s'accomplit, il est difficile de le dire exactement.

Vraisemblablement Paul pense que l'appel "Abba" dans  la communauté (appel qui atteste bien que nous avons l'Esprit) est en même temps l'appel de l'Esprit qui nous rend certains de son don.

 

En tout cas, l'Esprit ne nous laisse pas sans connaissance ni certitude de notre filiation, cette filiation qu'il nous a ouverte dans le baptême. C'est cela justement qu'exprime le cri "Abba" inspiré, qui en même temps réaffirme, assume notre être-fils (cet être-fils qui se réalise comme don du baptême lorsque nous nous laissons conduire par l'Esprit.

L'Esprit du baptême nous fait être fils de Dieu. Si nous nous remettons à lui (qui nous presse à partir de l'Évangile) nous nous approprions cet être-dans-l'Esprit.

Mais aussi nous témoignons de cet être-fils dans l'appel "Abba", au sein de la communauté réunie. Ce cri exprime en même temps l'assistance de l'Esprit à notre esprit, qui nous rend certains que nous sommes enfants de Dieu.

Si (dans notre abandon à l'Esprit, et en présentant comme pièce d'identité cet "Abba" enseigné par l'Esprit) nous sommes enfants de Dieu, alors notre avenir est assuré (v.17).

 

Verset 17 :"Enfants, donc héritiers ; héritiers de Dieu, et cohéritiers de Christ, si toutefois nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui".

 

Nouvelle formulation de ce qui était dit avec le zèsesthé  : aux enfants(vous vivrez) du v.13 : les enfants de Dieu que nous sommes ont en perspective l'être-héritiers. L'héritage dont héritent les enfants de Dieu, c'est :

-          la participation à la basileia toû théoû (Règne de Dieu), d'après 1 Co 6,9s; 15,50; Ga 5,21; Ep 5,5 ;

-          l'aphtharsia (incorruptibilité), 1 Co 15,50 ;

-          la liberté de la gloire des enfants de Dieu (Rm 8,21.18; Ep 1,18, etc.

Dans notre contexte, Paul ne précise pas en quoi consiste cet héritage (les biens eschatologiques), mais souligne que nous sommes héritiers de Dieu, des fils que Dieu destine à l'héritage, et donc des cohéritiers de Christ, des héritiers qui vont partager l'héritage avec le Christ, ce Christ avec qui ils vivront (Rm 6,8).

Mais cela correspond à ce qui nous est promis en :

Rm 8,29     "afin qu'il soit l'aîné d'une multitude de frères"

Ph 3,21       "il transfigurera notre corps humilié pour le rendre semblable à son corps de gloire"

1 Co 15,49  " nous serons à l'image de l'homme céleste (le Christ ressuscité)

 

À vrai dire, être fils de Dieu, héritiers de Dieu, cohéritiers du Christ,  cela présuppose – ce qui arrive en fait – que nous souffrions avec le Christ (v.17c).

La phrase en eiper surprend un peu. Dans le contexte elle est un ajout supplémentaire, un rappel : Paul se souvient de ce qui est une condition de l'héritage futur, et ce rappel doit prévenir toute méprise.

Mais en même temps, le v.17 est une transition vers les développements sur le caractère incompréhensible de l'héritage futur, qui est maintenant nommé doxasthènai.

Eiper, ici comme en 8,9 = si toutefois, comme c'est le cas, nous co-souffrons avec lui (Rm 3,30; 8,9; 2 Th 1,6 etc.

Si nous comprenons le v.17 ainsi, et non – ce qui serait possible – comme une conditionnelle qui serait alors une exhortation indirecte, la proposition finale qui clôt le § ,"pour être aussi glorifié avec lui", prend tout son poids. Paul a en vue l'énoncé suivant : nous sommes enfants de Dieu, donc ses héritiers et les cohéritiers du Christ et les participants de sa doxa (gloire) … et il rappelle les souffrances liées à la doxa, comme en 5,2s :"nous mettons notre orgueil dans l'espérance de la gloire de Dieu, bien plus nous mettons notre orgueil dans nos détresses même" ; cf. 2 Co 4,16ss :"nos détresses d'un moment sont légères par rapport au poids extraordinaire de gloire éternelle qu'elles nous préparent".

Le sun, dans ces verbes sum-paskhomen, sundoxasthômen, équivaut à un sun christô (avec le Christ), cf. 2 Tim 2,11, phrase semblable, dans un petit chant de confession de foi :"si nous mourons avec lui, avec lui nous vivrons. Si nous souffrons avec lui, avec lui nous régnerons".

 

Autres remarques :

 

1)                 la souffrance des chrétiens augmente dans le temps eschatologique (cf.v.18 : ta pathèmata toû nun kairou, les souffrances du temps présent). C'est toujours une participation au destin de Jésus Christ, à sa mort, tout comme le sundoxasthènai (glorifié avec) est participation à son élévation et à sa glorification. Tout a déjà été souffert par lui, et tout est déjà prêt en lui ; notre souffrance n'est jamais une souffrance solitaire. Le Christ a toujours pré-souffert, et notre souffrance est pour ainsi dire le reste de sa souffrance ; cf.Col 1,24.

2)                 Dans ce "souffrir avec le Christ" s'amorce la future participation à sa gloire ; par là les chrétiens réalisent leur baptême de manière existentielle. Il suffit de rapprocher v.17c de Rm 6,8 (ce que Paul, bien sûr, n'a pas fait réflexivement) : "si nous sommes morts (par le baptême) avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui". Le "souffrir avec le Christ" est, en tant que vécu existentiel, un "mourir"(cf. Rm 8,36).

3)                 Si d'un côté l'abandon actif à l'Esprit et à sa conduite nous ouvre l'héritage ("actif" car il faut faire mourir les œuvres du corps !), si d'autre part dans le souffrir-avec le Christ nous recevons la future glorification ouverte avec lui, il faut supposer que ce "souffrir-avec", lui aussi, advient dans la force de l'Esprit (1 Th 1 6; 2 Th 2,14).

4)                 Les deux : "souffrir-avec le Christ" et "tuer les actions égocentrées", constituent une manière de vivre justifiée par la foi ; cette vie justifiée qui, comme le montre Rm 5,1s, en tant que telle a une perspective sur la doxa (gloire) future et vit de cette espérance.

La justification par la foi est réalisée dans une telle conduite sanctifiante par l'Esprit. Cela est dit explicitement en Ph 3,9ss (bien que sans la mention de l'Esprit).

 

Résumé sur Rm 8,12-17 :

. Avant tout l'affirmation : vous êtes dans l'Esprit et l'Esprit est en vous, vous êtes marqués par l'Esprit et remplis

. Donc, frères, nous ne sommes plus obligés d'obéir à la chair égocentrique, qui apporte la mort.

. Nous vivrons, si nous faisons mourir ses actions et si nous nous laissons conduire par l'Esprit.

. Alors nous sommes des fils de Dieu, comme nous l'atteste l'Esprit dans son appel confiant à Dieu, le Père.

. Mais si nous sommes fils de Dieu, nous sommes aussi ses héritiers, c'est-à-dire des cohéritiers du Christ.

. Alors nous expérimenterons la gloire future ensemble avec lui, nous qui souffrons maintenant avec lui.

 

Leenhardt : La souffrance est inévitable, mais surtout elle est un signe et comme une preuve d'authenticité de la condition chrétienne. Souffrance et gloire future sont inséparables, parce que le présent n'est que la transition en vue de l'avenir, le visible est une anticipation de l'invisible

Tout doit se référer à un autre monde, celui de l'Esprit, qui met tout en cause, qui met tout en crise, qui installe au cœur de l'être une insatisfaction essentielle, étant lui-même la réalité dernière et exerçant à ce titre une pression ontologique sur les réalités mondaines. Visiblement Paul emprunte aux apocalypticiens, qui avaient médité sur la rencontre et le conflit entre l'éternité divine et la condition historique.


 

3me partie : L'Esprit, qui anime notre prière,

nous prépare à la gloire (v.18-30)

 

 

 

 

Verset 18 :"Oui, j'estime que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit se révéler pour nous".

 

Paul vient de souligner au v.17 l'articulation étroite de la souffrance-avec et de la gloire future. C'est cette idée qu'il développe au v.18 comme l'une de ses convictions.

 

"j'estime" (logizomai), en grec classique        I. calculer, compter,

                                                           II. calculer en soi-même, réfléchir, considérer, conclure par un raisonnement, inférer (donc non seulement une opinion, mais un enseignement mûrement réfléchi).

Les souffrances du temps présent sont sans proportion ("ne font pas le poids") avec la gloire qui doit se révéler pour nous. Axia+pros, dans la langue rabbinique "n'est pas du même poids que", indique, par son étymologie, que l'on donne du poids à ce que l'on juge.

 

"présent", c'est-à-dire pour Paul, le temps entre Passion/Résurrection du Christ et sa Parousie ; ce présent est rempli de souffrances.

 

"le temps présent" ( [ho] nûn [kairos])

Rm 3,21           Mais maintenant, sans la loi, la justice de Dieu s'est manifestée

Rm 3,26           il voulait manifester sa justice au temps présent

Rm 5,9 combien plus, maintenant, justifiés en son sang, serons-nous par lui sauvés de la colère

Rm 5,11           NSJC par qui dès à présent nous avons obtenu la réconciliation

Rm 6,21           Quel fruit recueilliez-vous alors d'actions dont maintenant vous rougissez ?

Rm 7,6             Mais à présent nous avons été dégagés de la loi.

Rm 11,30         au temps présent vous avez obtenu miséricorde

Rm 11,31         eux de même au temps présent ont désobéi

Rm 13,11         la salut est maintenant plus près de nous qu'au temps où nous sommes venus à la foi

 

C'est le nûn aiôn (temps de maintenant) : 1 Tim 6,17; 2 Tim 4,10; Ti 2,12, caractérisé par l'événement du salut en Jésus Christ. Il s'oppose au aiôn mellôn (temps à venir).

C'est un âge avec lequel, avec le Christ, on touche à la fin des temps (ta télè tôn aiônôn, 1 Co 10,11), l'âge toujours bousculé dans sa tranquillité, parce qu'il est toujours placé de nouveau devant sa fin pas l'Évangile.

Il est plein de souffrances, comme déjà le prédisait l'apocalypse juive : IV Esd. 13,16-19 :"Malheur à ceux qui seront restés en ces jours-là .. parce qu'ils vivront de grands dangers et beaucoup de détresses (anagkas). Apoc. syr.Baruch 25,1ss :"Ce sera le signe, quand les habitants de la terre seront saisis et pétrifiés de terreur, ils tomberont dans de nombreuses détresses, ainsi que dans de puissantes tortures". Cf. Dn 10,1.

 

Ces souffrances culminent dans ce que Paul appelle "les souffrances du Christ", c'est-à-dire les souffrances endurées par le Christ et pour le Christ :

2 Co 1,5ss       "De même que les souffrances du Christ abondent pour vous, de même, par le Christ, abonde aussi votre réconfort".

2 Co 4,11        "Quoique vivants nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre chair mortelle".

Ph 1,29                       "C'est par faveur qu'il vous a été donné, non seulement de croire au Christ, mais encore de souffrir pour lui".

Ph 3,10                       "le connaître, lui, avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances (kai koinônian pathèmatôn autoû).

Col 1,24          "En ce moment je trouve ma joie dans les souffrances que j'endure pour vous, et je compense (contrebalance : ant-ana-plèrô) en ma chair l'arriéré des souffrances du Christ, pour son corps qui est l'Église.

 

Ces souffrances attendent Paul, mais aussi tous ceux qui veulent suivre le Seigneur :

1 Th 3,3ss        "ces tribulations (thlipseis), vous savez bien que c'est là notre partage"

1 Th 1,6           "Vous vous êtes mis à nous imiter, nous et le Seigneur, en accueillant la parole, parmi bien des tribulations (en thlipsei pollè) avec la joie de l'Esprit Saint ".

2 Th 1,4           "nous sommes fiers … de votre foi dans toutes les tribulations que vous supportez".

 

Mais ces souffrances englobent aussi tout ce qui est oppression, douleur, frayeur du mal, par lesquels, consciemment ou inconsciemment, cet âge se défend contre sa fin et … s'y prépare.

Rm 8,35           "…la tribulation, l'angoisse, la persécution, la faim, la nudité, le péril, le glaive".

1 Co 7,26ss     "en raison de la détresse présente" (dia tèn énestôsan anagkèn).

2 Co 10,23ss   " les travaux, les emprisonnements, les coups".

           

            Tout cela, dit Paul, n'est pas comparable en importance et en profondeur avec la gloire de l'eschaton, la gloire de Dieu en Jésus Christ, qui sera nôtre aussi. Le présent et le visible ne se comprennent qu'à la lumière du futur et de l'invisible, c'est-à-dire à la lumière de ce monde nouveau que Dieu a commencé d'instaurer dans le Christ et dont l'action secrète, mais certaine, est déjà efficace par la communion avec le Christ.

            Face à ce "poids (kbd) éternel de gloire (kbd)" (2 Co 4,17), toutes les souffrances ne sont que "la légère tribulation d'un moment"(to parautika élaphron tês thlipséôs hèmôn).

            Cet avenir de gloire, qui est ouvert à celui qui croit et espère, fera bien plus que compenser le présent : il l'éclipsera incomparablement.

 

Ici mieux que partout ailleurs Paul explique ce qu'il faut entendre par doxa (gloire) :

-                     elle doit venir sur nous (eis hèmas) pour nous prendre en elle, pour que nous soyons transfigurés et glorifiés avec le Christ dans la gloire de Dieu ;

-           et cette doxa future doit se révéler. Ce n'est donc pas seulement un reste de la doxa qui rayonne de la création (bien que nous l'obscurcissions constamment), pas seulement non plus la doxa qui dès maintenant nous illumine, nous saisit et nous transforme, dans le miroir de l'Évangile, comme gloire du Christ. Cf. 2 Co 3,8ss.18 :"nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, allant de gloire en gloire, comme par le Seigneur qui est esprit" ou 2 Co 4,4.6 :"les incrédules .. ne voient pas briller l'Évangile de la gloire du Christ, qui est l'image de Dieu ; .. le Dieu  qui a dit : 'Que des ténèbres resplendisse la lumière' est Celui qui a resplendi dans nos cœurs pour faire briller la connaissance de la gloire de Dieu, qui est sur la face du Christ".

-           elle éclatera "sur" nous (eis hèmas), à visage découvert et définitivement, dans son mystère inouï et in-comparable, pour une expérience directe, et s'emparera de nous ;

-           elle est la Réalité du Dieu vivant, qui deviendra alors événement manifeste.

-           la doxa (gloire) est donc pour Paul plus qu'un concept ; elle est cette Réalité de Dieu qui nous prendra en elle et nous fera vivre en Jésus Christ. Ce sera pour nous la réalité ultime : nous verrons l'invisible. C'est la Réalité de Dieu manifestée, qui est vie, lumière, force, liberté, paix et joie sans mesure.

-           il est clair que, face à cette apparition (révélation, apokaluphthènai), la souffrance de ce kosmos (monde), même si elle s'exacerbe "maintenant", même si parfois elle nous désarçonne et ébranle notre foi au Dieu de la vie, n'est que "peu de chose".

 

Mais comment pourrons-nous connaître une telle gloire, la gloire d'une telle gloire ? Qui peut nous parler d'un tel avenir, qui peut nous montrer cet inouï, qui dépasse tellement nos vues ?

À cette question, Paul donne d'abord ici une réponse étrange : il renvoie à un fait simple, mais accessible seulement dans l'Esprit, à celui qui s'y ouvre dans la foi et l'espérance : tout attend cette gloire. Cette vue, cette doxa, est ce vers quoi tendent :

le soupir de la création (v.19-22)

les chrétiens qui ont le pneuma (v.23-25)

le pneuma lui-même (et ce vers quoi il nous fait tendre (v.26-27).

Partout où il y a attente, désir, espoir et nostalgie, sortie de soi, saisie intuitive et vouloir de quelque chose au-dessus de soi, ce qui est cherché (maladroitement parfois) est en définitive la doxa, selon Paul.

Il n'insiste pas ici sur la certitude de la doxa qui va fondre sur nous, mais bien plutôt sur sa surabondance. La certitude, Paul en parle en Rm 5,5 :"l'espérance ne déçoit pas, parce que l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné". Ici c'est de son caractère in-comparable qu'il est explicitement question, et non seulement au v.18, mais dans tous les développements des v.18-27.

 

Verset 19 :"La création attend en effet avec impatience la révélation des fils de Dieu".

 

De quelle création (ktisis) s'agit-il ?

 

Chez Paul le mot peut renvoyer :

au processus de la création : Rm 1,20 :" Depuis la création du monde ses œuvres rendent visibles à l'esprit ses [attributs] invisibles : sa puissance éternelle et sa divinité".

à l'être nouveau de l'homme sauvé par le Christ : 2 Co 5,17 :"si donc quelqu'un est au Christ, c'est une kainè ktisis (nouvelle création); Ga 6,15 : "ce qui compte, c'est d'être une kainè ktisis".

à l'ensemble : hommes+puissances+tout du monde : Rm, 8,39 :"ni hauteur, ni profondeur, ni quoi que ce soit de créé ne pourra nous séparer de l'amour que Dieu nous témoigne en CJNS".

 

Dans notre présent contexte …

1)      Paul a en vue pâsa hè ktisis (toute la création), v.22, l'ensemble de la création vouée à la mataiotès (vanité) et à la phtora (corruption), donc les hommes dans la mesure où ils n'ont pas le pneuma (Esprit), la création animée et inanimée, les puissances et les forces célestes.

2)      C'est la création assujettie à cette servitude à cause d'Adam.

3)      Sa libération est liée à celle des "enfants de Dieu".

4)      C'est, de toute façon, l'ensemble de la création liée à l'homme et à son destin.

 

Paul pense donc vraisemblablement à la nature et à l'histoire en tant qu'elles sont créées et qu'elles représentent maintenant le monde mutilé de l'homme, la création déchue, y compris les puissances. Cela correspondrait au concept apocalyptique : 4 Esd 7,11s.23; Bar.Syr. 51,12s; 32,6.

 

Quelle est l'apokaradokia (attente, attention vive, impatience) de la création déchue ?

Ailleurs, on la trouve seulement en Ph 1,20, où elle est parallèle à elpis (espérance, espoir) :"selon ma vive attente et mon espoir que je n'éprouverai aucune confusion".

Le grec hellénistique connaît seulement le verbe apokaradokéô (attendre avec impatience) (Polybe, Joséphe BJ).

En grec classique karadokéô signifie "tendre la tête pour observer ou écouter" (to kara = la tête). Par ex. Xénophon, Polybe, Euripide :"écouter quelqu'un le cou tendu ; observer ou épier attentivement quelqu'un (en tendant le cou) ; attendre quelque chose avec impatience, anxieux de ce qu'on va peut-être voir ou découvrir.

 

            Peut-être, puisqu'il s'agit de l'ensemble de la création, Paul voulait-il éviter le terme elpis (espérance, espoir), plus personnel et plus confiant, et noter en même temps plus nettement le caractère indéterminé du désir.

            La création est en attente, en se tendant vers l'extérieur ; son attente est ainsi un désir tendu au-dessus et hors d'elle-même  Paul prête à la création des sentiments humains. C'est son habitude intellectuelle que de personnifier les grandeurs théologiques.

 

Apodékhesthai (attendre) est employé pour cette nostalgie de la création comme pour celle des chrétiens (v.23.25). Le mot revient souvent chez Paul pour l'attente eschatologique :

1 Co 1,7     "Vous ne manquez d'aucun don de la grâce, dans l'attente où vous êtes de la révélation de NSJC"

Ga 5,5     "Car l'Esprit qui nous fait attendre de la foi les biens qu'espère la justice"

Ph 3,20               "Pour nous, notre cité se trouve dans les cieux, d'où nous attendons ardemment, comme sauveur, le Seigneur Jésus Christ ".

Hb 9,28    "Le Christ, après s'être offert une seule fois pour enlever les péchés d'un grand nombre, apparaîtra une seconde fois (ek deutérou) –hors du péché – à ceux qui l'attendent pour leur donner le salut"

(il y a bien un texte,1 P 3,20, qui envisage le passé "lorsque temporisait (attendait) la longanimité divine"

 

            La création, tout le créé, tel qu'il se présente et s'offre, blessé, à la foi dans laquelle elle se reflète, n'est pas close sur elle-même ; elle se sait non-comblée, dans sa temporalité et sa finitude, mais demeure sans repos et attend quelque chose d'autre qui la dépasse.

            L'existence de l'homme, vue de là où Paul regarde, est toujours fondamentalement "intentionnelle", en tension vers la doxa, au-dessus et en dehors d'elle-même. Mais la structure du créatural demeure sauve, à savoir le fait, pour l'homme, d'être créé.

            La création, et les hommes en tant que créatures, demeure désirante vers l'homme, plus exactement vers la doxa qui va faire irruption sur lui, autour de lui, en lui, d'en haut, à partir de l'avenir. Dans cette doxa la création elle aussi, sera prise.

            La création attend donc "la révélation" des fils de Dieu. Son attente, son désir porte sur l'apparition définitive et manifeste de ce que les chrétiens sont dans la foi, de ce que tous les hommes peuvent et doivent être, à savoir se tenir dans la gloire. Apokalupsis (révélation) désigne naturellement ici, comme le verbe au v.18, la révélation eschatologique (1 Co 1,7; 2 Th 1,7; cf; Rm 2,5; 1 Co 3,13; 1 P 1,7.13).

            La création attend avec persévérance l'homme transfiguré ; apparemment close sur elle-même, et en tant que monde de cet homme, elle sera elle-même transfigurée. Mais l'homme transfiguré, c'est l'homme en tant que fils de Dieu, héritier de Dieu et cohéritier du Christ (v.17a).

            L'homme se voit donc confier une responsabilité immense : mener à son accomplissement toute nostalgie de la terre et du ciel. Non pas que lui-même réaliserait ce désir dans sa sortie au-dessus de lui-même, mais en ce sens qu'il accomplit l'attente de la création en traversant cet éon (âge) dans la force de l'Esprit, comme fils de Dieu, dans la foi et l'espérance, pour être comblé et traversé de la plénitude éternelle de la doxa surabondante.

            Comment l'homme va-t-il accomplir l'attente de la création ?

Non pas seulement par son activité terrestre d'homo technicus (cela ne procure pas l'activité dernière de la terre), mais en vivant dans ce monde comme fils de Dieu, dans la foi et l'espérance, comme promis à la gloire,

"en traversant l'âge du monde" avec la force de l'Esprit, tendu vers la plénitude de Dieu, vers la doxa qui le comblera. C'est en l'homme comblé que la terre sera comblée.(cf.BJ).

 

Leenhardt (v.19) :"Nous vivons encore en sarki (dans la chair), bien que nous puissions dire que le Christ vit en nous (Ga 2,20) ou que notre vie est cachée avec le Christ en Dieu (Col 2,27; 3,4). À ce titre nous participons à la destinée générale du monde. Notre condition de souffrance a quelque chose de commun avec la sienne, et la création est tout entière tendue (apokaradokia) vers les fins que Dieu lui a assignées. Elle est en situation historique : elle est en mouvement, elle attend.

            La venue du Christ donne à cette attente une justification nouvelle, car en Lui la création pt retrouver son destin originel, dont la désobéissance de l'homme l'a frustrée. Le Christ institue dans la création l'humanité nouvelle des "enfants de Dieu". Par Lui, l'homme, rendu à la relation filiale avec Dieu, deviendra capable de soumettre la création à ce travail utile qui fut sa vocation dès l'origine. Par ce travail il rendra à la création le service de la "dominer". C'est ainsi qu'il se révélera à elle comme le porteur de l'image de Dieu, placé au sommet de l'œuvre de la création, pour y exercer, de la part de Dieu, son autorité bienfaisante. Il se révélera à elle comme l'homme nouveau qu'elle attend pour parvenir à sa fin."

 

La philosophie grecque voulait libérer l'esprit de la matière considérée comme mauvaise ; le Christ libère la matière elle-même.

BJ d :" Le monde matériel, créé pour l'homme, en partage la destinée. Maudit en raison du péché de l'homme  (Gn 3,17), il se trouve actuellement dans un état violent : vanité (v.19 ; qualité d'ordre moral liée au péché de l'homme), servitude de la corruption (v.21 ; qualité d'ordre physique).

            Mais tout comme le corps de l'homme, destiné à la gloire, le monde matériel est objet de rédemption (v.21.23) ; il participera, lui aussi, à la "liberté" de l'état glorieux (v.20.23). Même extension du salut au monde non humain (spécifiquement au monde angélique) en Col 1,20; Ep 1,10; 2 P 3,13, Ap  21,1-4. Sur la création nouvelle, cf.2 Co 5,17."

 

Verset 20 : "Assujettie à la vanité, non de son plein gré, mais par (l'autorité de) celui qui l'y a assujettie, elle a néanmoins gardé l'espérance".

H.Schlier :"Denn die Kreatur ist der Nichtigkeit unterworfen worden, nicht aus eigenem Willen, sondern durch den, der sie unterworfen hat - auf Hoffnung".

 

Pourquoi la création doit-elle et peut-elle attendre cet événement eschatologique ?

Pour répondre à cette question, il faut, selon Paul, garder en vue la condition présente de la création. Ce qu'il explique dans ce v.20, commentaire (gar) du v.19.

 

Sans qu'elle y soit pour rien, la création a été entraînée dans la "vanité" de son existence historique à cause d'Adam et avec lui; Toutefois demeure pour elle une espérance – justement dans les fils de Dieu.

 

A été assujettie" (hupotagè) … par Dieu (passif théologique).

 

Ce qui la régit maintenant, c'est la "mataiotès" (vanité).

Bailly : vanité, chose vaine ou frivole.

Bauer (sur mataios) : vain, frivole, sans vérité, sans utilité, sans résultat, sans force, sans valeur, sans perspective, sans chance.

Contre la plupart des auteurs, il faut dire que ce n'est pas la même chose que la phtora (corruption) du v.21, mais quelque chose de plus fondamental, à savoir ce qu'il advient de la création (Rm 1,23s) lorsque l'homme ne veut pas en être redevable  Dieu, lorsque la ktisis (création) veut être elle-même le ktistès (Créateur).

Rm 1,25 appelle cela le pseûdos (mensonge), au sens objectif :"n'avaient-ils pas délaissé le vrai Dieu pour le mensonge, adoré et servi la créature au lieu du Créateur ?

Mensonge, illusion : la création se donne pour ce qu'elle n'est pas (elle devient par cela irréelle, fictive)

Elle ne se donne pas pour ce qu'elle est, à cause de cette mataiotès (vanité) qui la régit et rend-vain tout.

Elle ne se présente plus dans sa vérité ; elle ne le peut pas, à cause de cette "illusion" qu'elle donne.

La conséquence et la marque de cette auto-aliénation, c'est la phtora (corruption) qui la réduit en servitude.

 

Phtora             Bailly : 1. perdition, perte, ruine, dissolution de la matière

                                   2. action de corrompre, corruption, séduction

                                   3. dégradation(des couleurs)

√ pheirô : 1. détruire ; 2. gâter, corrompre.

Ce n'est pas seulement la caducité, ni non plus la putrescibilité ou la corruptibilité,

mais la corruptibilité comme mode de déchéance et de ruine, à cause d'une absence de force, d'éclat, d'esprit et de vie. ( 1 Co 15,42.50; Ga 6,8; Col 2,22; 2 P 1,4; 2,12.19).

            Une sorte d'anathème rejette la création dans l'irréalité, laquelle s'exprime par la déchéance et la ruine. Dès lors l'attente de la création doit se tourner vers ce qu'elle n'est pas et ne donne pas ; son désir est libre pour quelque chose d'autre, de futur.

            À cela s'ajoute que la création a été entraînée dans ce destin de "vanité" oukh  hekoûsa, "contre son gré". Il n'est pas question de faute pour elle. Son esclavage dans la vanité et la corruption doit être rapporté à celui qui l'a livrée, c'est-à-dire, pour Paul, Adam.

 

            Bien distinguer ici Dieu, qui l'a livrée, et Adam à cause de qui elle a été livrée.

            Ici diverses traductions :

 

Osty : Voir plus haut.

 

BJ 3 : " Si elle fut assujettie à la vanité – non qu'elle l'eût voulu, mais à cause de celui qui l'y a soumise,- c'est avec l'espérance d'être…" note "Probablement l'homme par son péché ; ou "Dieu par son autorité vengeresse" ; ou "Dieu comme Créateur".

 

TOB : "livrée au pouvoir du néant – non de son propre gré, mais par l'autorité de celui qui l'y a livrée – elle garde l'espérance", note :" Il s'agit sans doute de Dieu (cf.Gn 3,17) qui, à l'intérieur de son dessein de salut, sanctionne le péché de l'homme, véritable responsable de cet assujettissement (?) Rm 11,32. Pour d'autres il s'agit également de Dieu, mais indépendamment du péché de l'homme. Pour d'autres, enfin, il s'agit de Satan".

 

Käsemann : "not willingly, but (left) in hope, looking to (comptant sur) him who subjected it".   neither Satan nor Adam implicated the destiny of creation in the fall of mankind. Apart from its own action God subjected it to futility along with mankind.

 

Schlier : Certes, Dieu a été, juste auparavant, l'acteur (passif théologique) ; et on pourrait comprendre que Dieu est aussi Celui "à cause de qui". Mais il ne faut pas traduire dia+acc. (à cause de) comme s'il y avait dia ou hupo +gén. '(par).

            De plus, pourquoi Paul ferait-il cette 2e mention de Dieu immédiatement après l'avoir compris comme agent de hupotagè ?

            La raison pour laquelle un hupotassein est maintenant attribué à Adam est la suivante : la faute d'Adam, selon Paul, a été la cause pour laquelle la soumission de la création a été réalisée par Dieu; C'est donc Adam, et non pas la création elle-même, qui a soumis la création à la vanité.

 

Paul pense probablement à des tradi. Ancien Testament et juives, comme :

Gn 3,17ss :"Maudit soit le sol à cause de toi !"(ba'abûrekkâ)

Gn 5,29      "la peine de nos mains, qui vient de ce sol qu'a maudit Y"

IV Esd 7,11ss :"lorsqu'Adam eut transgressé mes préceptes, le jugement fut porté sur ce qui avait été fait. Les voies de ce monde devinrent étroites, pénibles, difficiles, peu nombreuses, mauvaises, pleines de dangers et accompagnées de grandes peines".

Jub.3,25 : "que le sol soit maudit à cause de toi.

Gn Rabba 12,5 ; Or.Sib. III, 785ss (?).

 

Et bien voir que ép'elpidi depend de hupotagè.

 

Donc la création, frappée par Dieu à cause d'Adam de l'anathème de la vanité et de la phthora (corruption) [et l'homme lui appartient, puisqu'il vit dans la nature] attend et désire passionnément sa libération ; elle l'entrevoit avec nostalgie dans un avenir qui ne viendra pas d'elle.

            Cela n'a de sens que parce que cette "livraison" laisse subsister une elpis (espérance). Dieu ne l'a pas engagée dans un destin désespéré, mais l'a bannie, dans cet apparaître où elle apparaît, en sorte qu'elle conserve une perspective d'avenir.

 

Elpis,   à comprendre objectivement "quelque chose à espérer".

La création vaine se trouve toujours face à une perspective qui lui vient de Dieu. Ce qui signifie qu'en elle brûle une espérance. Et également, à cause de cela, qu'elle est, non pas purement souffrante, mais attendante, désirante de quelque chose qui la dépasse.

La vanité et la phthora ne la lâchent pas : elle ne peut se libérer elle-même. Le monde historique, avec l'ensemble de la création, demeure au ban de son destin originel, à cause d'Adam (dans sa longueur/largeur/hauteur et profondeur, dans toute son évolution et son hominisation). Mais il demeure à l'intérieur d'un horizon eschatologique qui lui a été ouvert par Dieu dès le début de l'histoire.

 

Verset 21 : "parce la création, elle aussi, doit être libérée de l'esclavage de la corruption pour connaître la glorieuse liberté des enfants de Dieu".

 

Quelle est cette espérance à laquelle la création a été liée ? La phrase avec hoti nous l'explique.

Elle aussi, avec les enfants de Dieu, sera "libérée". Il faut donc comprendre cette libération de la création à partir de la liberté glorieuse des enfants de Dieu.

            Les "fils" qui ont le pneuma (esprit) et le laissent régner en eux sont, actuellement, liés à la corruption, en tant que créatures. Mais Dieu leur fera don de la liberté. Ce sera la liberté de la doxa (gloire) eschatologique, la liberté de celui qui reçoit sa vie de la puissance et de l'éclat de la présence de Dieu et du kurios (Seigneur) exalté dans les cieux.

            Ce sera la liberté de la vie, la liberté du vivant, qui vit dans la vue et par la vue de Dieu, apparaissant dans le visage du Christ.

Une telle liberté, loin d'être une liberté autonome, est une liberté par rapport à la faute, à la tromperie, à la mort ; c'est une liberté par rapport aux hommes et aux puissances, comme ailleurs chez Paul, mais aussi une liberté pour aimer : Ga 5,13 "C'est à la liberté que vous avez été appelés … Par l'amour mettez-vous au service les uns des autres".

La liberté englobe toutes ces libertés, et, comme nous le lisons en 2 Co 3,17s, elle est déjà vécue, partiellement, dans la libre vue de la doxa (gloire) du Seigneur qui souffle dans l'Évangile, vue qui se produit dans l'Esprit.

Mais définitivement et immédiatement elle sera donnée avec la gloire qui fera irruption sur les fils de Dieu. Cette gloire sera liberté. Cette liberté sera gloire. Et dans cette liberté sera prise la création. La puissance et l'éclat eschatologique des enfants de Dieu libéreront aussi le créatural pour le rendre à sa réalité et à son essentiel.

C'est cela l'espérance désirante de la création. La création n'est pas rejetée par Dieu pour toujours, car un jour débordera sur elle la gloire des fils de Dieu, qui la fera resplendir d'une manière nouvelle.

 

Cette gloire ne viendra pas de la créature elle-même :

ce sera la gloire qu'expérimenteront les fils de Dieu et dans laquelle la création se verra incluse, et les enfants de Dieu eux-mêmes ne recevront leur gloire que par participation à la gloire du Christ.

            Ce ne sera pas l'aboutissement d'une évolution toute naturelle des choses : il n'y a là en aucun sens évolution, mais don inattendu et grandiose de Dieu.

            Comme si souvent, Paul voit les choses dans une grande tension : tout le présent est dominé par la vanité et la corruption, mais dans l'avenir dont Dieu seul dispose se produira l'éclatement de la liberté, dans la surabondance de la gloire où les fils de Dieu entreront avec le Christ. Et les deux moments sont tenus ensemble par la fidélité de Dieu. Le reflet de cette cohérence est cette attente et ce soupir de la création, dont parle Paul.

 

            Celui qui sait cela reconnaît la responsabilité des chrétiens, non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour le pur créatural. Cela débouche non pas sur une prétendue ouverture au monde, qui la plupart du temps est une accommodation au monde, mais sur l'acquisition pour eux-mêmes de la liberté de la gloire eschatologique, afin que la création accède également à sa liberté ultime, par cette liberté et dans cette liberté des hommes.

            D'après Paul, les premiers pas vers cette liberté qui fait irruption sur nous sont :

-          la vue de la doxa dans l'Évangile,

-          la souffrance dans l'espérance (cf.v.17).

2 Co 3,17s :"Nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image".

         4,4      "les incrédules … ne voient pas briller l'Évangile de la gloire du Christ, qui est l'image de Dieu".

         4,6      "pour y faire briller la connaissance de la gloire de Dieu, qui est sur la face du Christ".(+ 4,16ss).

 

Verset 22 :"Nous savons, en effet, que jusqu'à maintenant la création tout entière gémit dans les douleurs de l'enfantement".

 

Aux v. 20-21, Paul voulait seulement expliquer pourquoi la création attend impatiemment la révélation des fils de Dieu dans leur doxa (gloire). Et il parlait du désir brûlant de la création vers cette doxa pour souligner la grandeur d'une telle gloire : la création elle-même est sans repos vers cette gloire.

Il revient ici à l'idée du v.19, et la met en relief avec d'autres mots ; cf. P.Claudel :"Toute la souffrance qu'il y a dans le monde, ce n'est pas la douleur de l'agonie, c'est celle de la parturition".

Le gar (en effet) à la fois entame quelque chose de nouveau et est légèrement explicatif. On peut comprendre ainsi la logique de la pensée : … la création a été assujettie à la vanité … dans l'espérance … nous le savons : un soupir la traverse.

 

"nous savons"(oidamen)renvoie au savoir de la foi, qui est fondamentalement un savoir partagé.

Rm 2,2 "Nous savons que le jugement de Dieu s'exerce selon la vérité sur ceux qui commettent de telles actions."

Rm 3,19 "Nous savons que tout ce que dit la Loi, c'est pour ceux qui sont sous la Loi"

Rm 7,14 "Nous savons, en effet, que la Loi est spirituelle"

Rm 8,28 "Nous savons d'ailleurs que Dieu fait coopérer toutes choses au bien de ceux qui l'aiment" (etc…)

 

"toute la création" (pâsa hè ktisis).Sans exception. Tout entière elle gémit et elle est dans les douleurs.

C'était déjà présupposé v.19, maintenant c'est affirmé, pour que l'on garde définitivement devant les yeux la situation de la création, son ouverture désirante et son mouvement vers l'eschaton.

 

"gémit" : sustenazei, sunôdinei : le sun ne signifie pas "avec nous", qui avons le pneuma (Origène : creatura cum filiis Dei congemiscit), mais, comme dit Thédoret : "sumphônôs stenazei"(gémit en accord, d'accord avec, résonnant ensemble)" (Huby : "toutes les créatures sont unies dans un immense concert").

            Celui qui sait (cf.oidamen) entend la symphonie secrète, le soupir ou le gémissement de la création, sous la charge ou la douleur. Ce soupir lui dévoile qu'elle a à attendre quelque chose d'indicible qui la dépasse. Pour celui qui sait, la création n'est pas muette. En tant que telle elle n'a aucune parole, mais d'elle s'échappe une plainte secrète, car elle est tout entière dans les douleurs de l'enfantement. Et par là est décrite sa situation eschatologique : la misère de la création est douleur de celle qui enfante.

 

"les douleurs" . Vraisemblablement Paul  pense aux ôdînes de

Mc 13,18   "Priez pour que cela n'ait pas lieu en hiver"

Mt 24,8      "Et tout cela sera le commencement des douleurs"

1 Th 5,3   "Lorsque les hommes diront : Paix et sûreté, c'est alors que, soudain, fondra sur eux la ruine, comme les douleurs sur la femme enceinte"

Act 2,24     "Dieu l'a fait se lever, le délivrant des douleurs de la mort"

Apoc 12,2  "Elle est enceinte et elle crie dans les douleurs et les tortures de l'enfantement"

c'est-à-dire les douleurs d'enfantement qui doivent accompagner les temps du Messie, d'après les prophètes et l'apocalypse (voir plus loin).

            Ces douleurs messianiques se produisent maintenant, dans cet éon (âge) qui est messianique. Lorsque le temps messianique fond sur cet éon, la souffrance jaillit. Et ce sera toujours ainsi, tant que la création sera. Elle gît tout entière dans les douleurs akhri toû nûn, "jusqu'à maintenant". Ce "maintenant" durera jusqu'à ce que vienne le "alors" ; le "maintenant" est ce temps présent, ho nûn kairos.

            Mais si le gémissement de la création, perçu par la foi, est gémissement de celle qui enfante, il est en lui-même signe d'espérance. Toute souffrance de la création dans le monde entier, ose dire Paul, n'est pas annonce et commencement de la mort, mais du salut. Tout soupir dans le monde entier, toute attente, tout désir, signifient la gloire du salut, la gloire des enfants de Dieu dans la gloire du Christ.

            Comment, dès lors, les souffrances pourraient-elle encore avoir de l'importance ? En elles déjà agissent, cachées dans l'impuissance et l'obscurité, la puissance et l'éclat de Dieu, présent et sur-puissant.

 

Odines dans la tradition juive : habalîm, heblô šel mâšîaħ, aram.ħabléyt dimešîaħ

Os 13,13    "les douleurs de celle qui enfante lui surviendront. C'est un fils qui n'est pas sage, car il ne se présente pas à temps"

Jer 22,23 "Comme tu soupireras quand t'arriveront les douleurs, un frisson, comme à celle qui enfante"

Jer 30,6    "Demandez donc et regardez : est-ce qu'un mâle enfante ?"

Mi 4,9s    "A-t-il péri, ton conseiller, pour que te saisisse une convulsion comme de celle qui enfante ? Convulse-toi et sursaute, fille de Sion, comme celle qui enfante"

Is 26,17   "Comme une femme enceinte qui s'apprête à enfanter, qui est en travail et pousse des cris de douleur, ainsi avons-nous été devant toi, Y"

1 Hen 62,4 "Alors la douleur viendra sur eux comme sur une femme en travail avec les douleurs de l'enfantement – lorsqu'elle donne naissance, (l'enfant) se présente à l'entrée du sein et elle souffre de l'accouchement"

IV Esd 4,40 (100-120 ap .JC) "Va et demande à une femme qui a un enfant si, une fois les neuf mois accomplis, son sein peut contenir l'enfant plus longtemps"

1QH IV,7ss "Je fus dans la détresse comme une femme pour enfanter ses premiers fruits, lorsque les douleurs lui surviennent et qu'un cruel tourment est à son utérus pour que celle qui enfante mette au jour son premier-né. Car les enfants sont parvenus à la vulve de la mort. Et celle qui est enceinte de l'Homme est dans l'angoisse à cause de ses transes. Car à la vulve de la mort, elle donne naissance à un (Enfant) mâle, et des liens de Sheol, de la fournaise de celle qui est enceinte a jailli l'Admirable Conseiller avec sa force, en sorte que l'Homme est libéré de la vulve.

            Sur celle qui est enceinte de Lui se précipitèrent toutes les douleurs et des souffrances cruelles lors des enfantements de ceux-ci. L'effroi saisit celles qui sont enceintes de ceux-ci.

            Lors de son enfantement, toutes les douleurs surviennent à la fournaise de celle qui est enceinte".

trad.M.Delcor

 

Verset 23 :"Elle n'est pas seule : nous aussi qui possédons les prémices (de) l'Esprit, nous gémissons nous aussi en nous-mêmes dans l'attente de l'adoption, de la rédemption de notre corps".

 

Il n'y a pas que la création qui soit, de cette manière paradoxale, témoin de la gloire à venir : nous aussi, les chrétiens, nous sommes témoins. Nous aussi nous gémissons vers la révélation, la découverte, le dévoilement ; et cela sera pour nous l'apparition de nous-mêmes dans notre gloire, l'apparition de la gloire déjà cachée et encore cachée.

Ce nouveau pas, ce niveau spécial est franchi avec les v.23-25.

 

La formulation du v.23 est un peu complexe, et les mns hésitent : kai hèmeis autoi, k.a.h., kai autoi.

La phrase commence par une ellipse : ou monon de. Cf. Rm 9,10 "ce n'est pas tout"; 2 Co 8,10 "ce n'est pas tout"; rapprocher : Rm 9,24 "non seulement d'entre les juifs"; Rm 13,5 "non seulement par crainte de la colère".

À compléter ainsi, d'après ce qui précède :"il n'y a pas que la création qui gémit".

 

"nous, les chrétiens, nous avons le pneuma"

 

Le pneuma est prémices (aparkhè), donc annonce plus :

Rm 11,16 :"si les prémices sont saintes"

1Co 15,20 :"Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui se sont endormis"

1 Co 15,23 :"Mais chacun à son rang : comme prémices, Christ"

1 Co 16,15 :"Stéphanas et les siens sont les prémices de l'Achaïe"

Rm 16,5:"Saluez mon cher Épénète, prémices de l'Asie pour Christ"

 

Ou encore, puisqu'ici aparkhè≠arrabôn, le pneuma est un premier acompte, un premier versement, mais par lequel l'acquisition du tout nous est déjà assurée. Cf. 2 Co 1,22 :"Dieu a mis dans nos cœurs les arrhes de l'Esprit"; 2 Co 5,5 :"Dieu, qui nous a donné les arrhes de l'Esprit"; Ep 1,14 :"l'Esprit Saint, ces arrhes de notre héritage".

 

Nous avons l'Esprit Saint, il est prémices (génitif epéxégétique).

En Lui déjà nous avons tout. Et cependant nous gémissons encore en héautois (en nous) vers l'accomplissement, et nous attendons cet accomplissement qui nous est garanti avec le pneuma, et qui pourtant n'a pas encore fait irruption. Car l'accomplissement serait "la rédemption de notre corps", "la liberté de la gloire" (v.21).

 

Nous avons l'Esprit, l'Esprit tout court, qui est la force de l'auto-ouverture de Dieu, la puissance de la remémoration de Dieu et du Christ : Rm 8,9 :"Si quelqu'un n'a pas l'Esprit de Christ, il ne lui appartient pas"; 1 Co 7,40 :"Et je pense bien, moi aussi, avoir l'Esprit de Dieu".

 

Nous avons reçu l'Esprit.

Rm 8,15 :"Vous avez reçu un Esprit d'adoption, qui vous fait crier : Abba, Père !";

1 Co 2,12 :"Nous n'avons pas reçu, nous, l'esprit qui vient du monde, mais l'Esprit de Dieu"; 

2 Co 11,4 :" S'il s'agit de recevoir un Esprit différent de celui que vous avez reçu".

 

L'Esprit nous est donné par Dieu :

Rm 5,5 :"l'amour de Dieu (pour nous) a été répandu dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné";

2 Co 1,22 :"lui qui nous a aussi marqués d'un sceau et a mis dans nos cœurs les arrhes de l'Esprit Saint";

2 Co5,5: "Celui qui nous a faits pour cela-même, c'est Dieu, qui nous a donné les arrhes de l'Esprit.

 

L'Esprit nous est offert par Dieu :

" Ga 3,5 :"Celui qui vous dispense (épikhorègôn) l'Esprit et opère parmi vous des miracles".

 

Nous avons été marqués de son sceau (au baptême) :

Ep 1,13 :"vous avez été marqués d'un sceau par l'Esprit promis, l'Esprit saint, ces arrhes de notre héritage".

Ep 4,30 :"l'Esprit Saint de Dieu, par qui vous avez été marqués d'un sceau pour le jour de la rédemption".

 

Il habite en nous :

Rm 8,9 :"si toutefois l'Esprit de Dieu habite en vous;

Rm 8,11 :"par son Esprit qui habite en vous".

1 Co 3,16 :"Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu, et que l'Es. de Dieu habite en vous ?"

1 Co 6,19 :"Ou bien ne savez-vous pas que votre corps est un temple du SE qui est en vous et que vous tenez de Dieu ?"

 

Nous vivons "dans" (en) l'Esprit, par l'Esprit :

Rm 8,9 :"Vous, vous êtes dans l'Esprit, si toutefois l'Esprit de Dieu habite en vous"

Ga 5,16 :"conduisez-vous par l'Esprit (pneumati peripateîte), et vous n'accomplirez pas la convoitise de la chair"

 

Nous vivons "selon l'Esprit" (kata pneuma), en nous réglant sur lui, en nous mettant à son unisson :

Rm 8,4-5 :"notre conduite s'inspire, non de la chair, mais de l'Esprit … ceux qui vivent selon l'Esprit désirent les choses de l'Esprit".

C'est lui qui détermine le cours de notre existence, comme chrétiens (Ga 5,16 + ht).

Nous nous remettons à sa conduite :

Rm 8,14 :"Tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu"

Ga 5,18 :"Si vous vous laissez mener par l'Esprit (ei de pneumati agesthe), vous n'êtes pas sous la Loi".

 

C'est par sa force que nous pouvons dépasser nos œuvres faussement autonomes :

Rm 8,13 :"si par l'Esprit vous faites mourir les œuvres du corps, vous vivrez"

Il nous donne de récolter ce que lui-même produit : la vie éternelle :

Ga 6,8 :"qui sème dans l'Esprit moissonnera de l'Esprit la vie éternelle".

Tout cela, nous l'avons par lui et en lui !

 

Si nous nous remémorons cela pour nous remémorer sa grâce :

maintenant déjà nous avons accès auprès du Père,

Ep 2,18 :"nous avons l'accès auprès du Père en un seul Esprit"

maintenant déjà nous avons la filiation (huiothésia),

Rm 8,15 :"vous avez reçu un esprit de filiation, qui nous fait crier : Abba, Père".

Ga 4,5 :"la preuve que vous êtes des fils, c'est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils"

maintenant déjà nous avons la force qui nous transforme, qui fortifie et renouvelle l'homme intérieur

Ep 3,16 :"qu'il vous donne, selon la richesse de sa gloire, d'être puissamment fortifiés par son Esprit"

Ep 4,23 :"pour vous renouveler dans l'esprit de votre intelligence"

2 Co 3,17s :"Car le Seigneur, c'est l'Esprit, et là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté"

 

Il nous insère en même temps dans le Corps du Christ et l'Église, et nous assure la communion avec le Christ et entre nous :

1 Co 12,13 :"Aussi bien est-ce en un seul Esprit que nous tous avons été baptisés pour ne former qu'un seul corps"

2 Co 13,3 :"La grâce du Seigneur Jésus Christ, l'amour de Dieu le Père et la communion du SE soient avec vous tous !"

Ep 2,22 :"vous entrez dans l'édifice pour former une demeure de Dieu dans l'Esprit"

Ep 4,3s :"vous efforçant de garder l'unité de l'Esprit par le lien de la paix; un seul corps et un seul Esprit"

Ph 1,27 :"tenez bon dans un seul Esprit, luttant d'une seule et même âme"

Ph 2,1 :"la communion dans l'Esprit",                       etc.

 

C'est elle, la force de l'Esprit, qui justifie, qui sanctifie :

1 Co 6,11 :"vous avez été justifiés par le nom du Seigneur Jésus Christ et par l'Esprit de notre Dieu"

2 Th 2,13 :"en vue du salut par l'action sanctifiante de l'Esprit"

qui accorde la foi, l'amour, la connaissance, qui éveille les charismes.

2 Co 4,13 :" possédant ce même Esprit de foi"

Ga 5,22 :"le fruit de l'Esprit est amour, joie et paix"

Rm 5,5 :"l'amour de Dieu (pour nous) a été répandu dans nos cœurs par l'Esprit Saint"

Rm 15,30 :"je vous en prie, frères, par la charité de l'Esprit"

Col 1,8 "la charité que vous inspire l'Esprit Saint (tèn humôn agapèn en pneumati)"

1 Co 2,10ss :" C'est à nous que Dieu l'a révélé par l'Esprit ; l'Esprit en effet sonde tout , même les profondeurs de Dieu"

1 Co 2,14 :"L'homme psychique n'accueille pas ce qui est de l'Esprit de Dieu".

1 Co 14,1ss :"ambitionnez les dons spirituels"

 

La force de l'Esprit donne liberté, joie et paix :

Rm 8, 6.11 :"les désirs de l'Esprit sont la vie et la paix …donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit"

Rm 14,17 :"le Royaume de Dieu est justice, paix et joie dans l'Esprit Saint"

2 Cori 3,17 :"où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté"

2 Cori 3,6 :"la lettre tue, l'Esprit vivifie"

Ga 5,22 :"le fruit de l'Esprit est charité, joie et paix"

1 Th 1,6 :"accueillant la parole parmi bien des tribulations avec la joie de l'Esprit Saint"

 

La force de l'Esprit Saint enflamme l'espérance :

Rm 15,13 :" pour que vous abondiez d'espérance par la puissance de l'Esprit Saint"

Ga 5,5 :"c'est par l'Esprit que nous attendons de la foi la justice espérée"

 

C'est la force de l'Esprit qui nous ouvre la perspective sur l'héritage à venir, destiné aux fils :

Ep 1,14 :"l'Esprit Saint, ces arrhes de notre héritage"

Ep 4,30 :" ne contristez pas l'Esprit, l'Esprit Saint de Dieu par qui vous avez été marqués d'un sceau pour le jour de la rédemption".

 

Tout cela, et bien plus encore, nous l'avons, selon Paul, "dans l'Esprit", qui nous ouvre tout cela.

 

Et pourtant, nous aussi, nous gémissons "en nous-mêmes" :

            En heautois peut signifier : "en nous regardant nous-mêmes" (Schlier; cf. 2 Co 5,2;4), "à cause de nous-mêmes", "entre nous-mêmes", 'intérieurement" (TOB, BJ2), "en nous-mêmes"(Osty).

            Nous nous préparons dans la force de l'Esprit à travers la souffrance un poids surabondant de doxa (gloire), et nous gémissons après cette gloire (2 Co 4,17). L'Esprit fait de nous des fils, et nous attendons la filiation.

            Notre existence à nous, les chrétiens, et justement la nôtre, n'est pas comblée en elle-même, mais désire et attend quelque chose de tout autre.

            Car quelque chose nous limite et nous rend "provisoires", quelque chose que le pneuma ne peut vaincre, (qu'il ne peut vaincre que dans sa manière provisoire de nous appartenir) et qui ne nous laisse pas encore parvenir à l'essentiel. Et ce quelque chose, c'est le corps, notre existence dans le corps.

            Paul ne vise pas ici le corps de péché (Rm 6,6), de la mort (7,20), de chair (Col 2,11; Rm 8,13), le corps déchu de la mort et de la faute, attaché à la "chair" qui ne cherche qu'elle-même (car ce corps-là est déjà vaincu et rejeté par la force de l'Esprit grâce au baptême dans la foi).

            Ce qui est visé, c'est ce qui demeure, même pour celui qui a l'Esprit : ce corps comme tentable et mortel, toujours menacé par son passé de se révolter contre l'Esprit, contre le don de la vie justifiée et sanctifiée par Dieu. Cette "rédemption" est attendue de ceux qui ont l'Esprit, et qui gémissent après une filiation manifeste et définitive.

 

"rédemption" (apolutrôsis) désigne primitivement le rachat d'un prisonnier ou d'un esclave, la libération ou l'affranchissement, ou le  paiement d'une rançon (cf. Hb 11,5:"refusant leur "délivrance".

 

Nous avons, comme attestations :

Libération et rédemption générale : Dn 4,34 LXX :"épi suntéleia tôn hepta étôn ho khronos mou tès apolutrôséôs èlthé".

Rédemption présente : 1 Co 1,30 :"le Christ Jésus, qui, de par Dieu, est devenu pour nous justice et sanctification et rédemption"

Rm 3,24 :"en vertu de la rédemption qui est dans le Christ Jésus"

Ep 1,7 :"C'est en lui, par son sang, que nous avons la rédemption, le pardon de nos fautes"

Col 1,14 :"en qui nous avons la rédemption, la rémission des péchés"

Hb 9,15 :"pour la rédemption des transgressions commises sous la première alliance"

Rédemption future : Lc 21,28 :"relevez vos têtes, parce que votre rédemption est proche"

Ep 1,14 : l'Esprit Saint "en vue de la rédemption de ce qu'il s'est acquis"

Ep 4,30 : l'Esprit Saint "par qui vous avez été marqués d'un sceau pour le jour de la rédemption"

Rm 8,23 (ici)

 

Cette rédemption a lieu par la lutrôsis du Fils de l'homme  :

Lc 1,68 :"le Dieu d'Israël a visité et racheté son peuple"

Lc 2,38 :"elle parlait de l'enfant à tous ceux qui attendaient la rédemption d'Israël"

1 Hen 51,2 :"le jour du salut sera venu pour eux"

Ct 2,13 (?)

 

Même les chrétiens qui ont le pneuma regardent :

vers ce changement d'existence :

1 Co 15,51s :"Oui, je vais vous dire un mystère : nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons transformés"

vers ce moment où ce qui est mortel sera englouti par la vie :

2 Co 5,4 :"nous voudrions nous revêtir par-dessus, afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie"

vers le sôma pneumatikon (corps spirituel), le corps en doxa (gloire), en dunamis (puissance), en aphtharsia (incorruptibilité) : 1 Co 15,42ss :"on est semé dans la corruption, on ressuscite dans l'incorruptibilité"

 

Notre désir de chrétiens vise l'accomplissement de la filiation ouverte dans l'Esprit, quand le Christ changera notre corps de misère (tès tapeinôséôs) de telle sorte qu'il le rendra semblable à son corps de gloire (Ph 3,21)

 

Notre nostalgie attend, non pas (ce qui serait non paulinien) que ce corps soit rejeté pour que l'âme puisse se hâter vers Dieu, mais que cette existence (corporelle, incarnée) cesse, qu'elle soit libérée de sa "tentabilité" et de sa mortalité, et éclose dans la liberté de la gloire, que nous partagerons avec la gloire de Jésus Christ.

 

Cette doxa (gloire) sera surabondante, car elle est attendue, espérée, désirée

non seulement par la création, liée à la vanité et à la corruption,

mais par la nouvelle création : les hommes justifiés, sanctifiés, illuminés et réconciliés par l'Esprit :

2 Co 5,17 :"si quelqu'un est en Christ, c'est une création nouvelle"

Ga 6,15 :"ce qui compte, c'est d'être une création nouvelle"

 

Versets 24 et 25 :"Car ce n'est qu'en espérance que nous avons été sauvés. Or voir ce qu'on espère, ce n'est pas espérer ; ce que l'on voit, comment l'espérer ?

            Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l'attendons avec constance".

 

Ces versets redisent la même chose d'une manière différente.

Ils expliquent (gar) encore une fois pourquoi les chrétiens aussi gémissent et attendent.

Nous sommes sauvés en espérance.

 

Aucun chrétien ne contestera que nous sommes sauvés. L'aoriste ésôthèmen affirme le fait comme advenu :

Ep 2,5 :"c'est par grâce que vous êtes sauvés" Ep 2,8 "moyennant la foi"

2 Ti 1,9 "Dieu, qui nous a sauvés et appelés d'un saint appel"

Ti 3,5 "n'écoutant que sa miséricorde, il nous a sauvés par le bain de la régénération"

 

Nous avons déjà fait l'expérience du salut, dans le baptême et dans l'Évangile.

Cette expérience du salut continue dans l'Évangile et la Cène du Seigneur, de sorte que, dans la foi, nous pouvons saisir ce salut et le garder.

Il produit son effet dans l'amour, qui fait de tous les charismes un don d'amour.

C'est maintenant le jour du salut (2 Co 6,2), mais il nous advient toujours de nouveau tè elpidi (en espérance) ; il est toujours en même temps espérance, parce que ce n'est pas encore le face à face

 

"en espérance" . Le datif tè elpidi fait difficulté.

 

1) "en espérance" Zerwick, p.349 :"spe= secundum spem 'nondum re ipsa, scilicet  quoad redemptionem corporis). Osty (cf. + haut), TOB :note p." Comme l'adoption notre salut est déjà acquis, mais nous attendons encore sa pleine réalisation". BJ 3 :"Car notre salut est objet d'espérance", note f.:"C'est en espérance (par mode d'espérance) que nous sommes sauvés. Le salut est eschatologique". Einheitsübersetzung :"Denn wir sind gerettet, doch in der Hoffnung"; de telle manière que nous espérons". Käsemann, p.230 :"For in this hope we are saved". Cela, naturellement, a du sens, surtout si l'on précise avec Bengel "non medii, sed modi". Leenhardt :"notre salut nous a faits pour l'espérance" : en dépit de cette traduction, il se range bien parmi les partisans du en modal; et c'est à lui qu'on doit ce commentaire:"l'attente est donc la condition présente du croyant, dans un monde en travail où Dieu poursuit son œuvre avec patience. Ce qui est déjà fait pour nous permet de dire :"nous sommes sauvés". Ce qui demeure à faire en nous oblige à dire que ce salut est objet d'espérance" (p.130).

2) "pour l'espérance" ."zur Hoffnung", Schlier (dont on s'écarte ici).

 

Elpis qui suit désigne ce que l'on espère : l'huiotésia (filiation) ou la rédemption du corps (apolutrôsis toû sômatos).

 

La suite, aux v.24-25 n'est pas non plus très claire. Le but, certes, est net. Paul  veut argumenter ainsi :

-          nous aussi, qui avons l'Esprit, nous gémissons et attendons ;

-          car nous sommes sauvés et nous espérons quelque chose à espérer ;

-          mais qu'est-ce que l'espérance ? L'espérance (chose espérée) n'est rien de visible. Quand on espère, on attend. Et ainsi nous attendons avec patience.

 

 

Paul s'exprime d'abord  négativement :

Un bien espéré que l'on voit n'est plus un bien espéré (cf. 2 Co 4,18). Et il motive cela avec la question : "Qui a besoin d'espérer (attendre) ce qu'il voit ?", ou (car le texte est dérangé) :"Ce que quelqu'un voit, quel besoin a-t-il encore de l'espérer, de l'attendre ?

 

Ensuite, au positif, il souligne, que nous espérons (v.25) d'une attente patiente;

Espérer, attendre et patience vont ensemble. Une espérance authentique a pour effet et se prouve dans la patience

Rm 12,12 :"Soyez joyeux dans l'espérance, constants dans la tribulation"

Rm 15,4 :"afin que par la constance et la consolation des Ecritures, nous possédions l'espérance"

1 Th 1,8 :"nous rappelant sans relâche … la constance de votre espérance en NSJC"

 

"nous attendons" :

-     soit parce que le salut est eschatologique (interprétation chronologique)

-          soit parce que le salut n'est pas de l'ordre du visible (cf. 2 Co 4,18) ;

-.   soit parce que nous imitons Abraham, qui a espéré contre toute espérance (Rm 4,18), alors que sa condition contredisait ce que Dieu lui annonçait. Nous avons, nous aussi, à nous en remettre à Dieu pour le choix du moment et des moyens par lesquels il réalisera ce qu'il a promis. Si nous voyons ce que nous espérons, c'est que nous nous sommes nous-mêmes chargés d'anticiper, par une initiative intempestive issue de notre incrédulité, ce que Dieu avait déclaré vouloir accomplir lui-même souverainement (cf. Leenhardt, 131).

 

"avec constance" (di'hupomonès) ou "avec patience". La patience cache l'espoir en soi, le garde, le renforce, et conduit à un nouvel espoir : Rm 5,3s "la vertu éprouvée produit l'espérance". Elle est la force de (dans) l'attente, elle est attente en force. Schlatter :"La force pour attendre, c'est l'hupomonè qui la donne, la capacité de ne pas flancher, de ne pas être vaincu, mais de porter le poids du présent et de garder ce qui a été reçu".

 

Résumé des versets 23-25 :

 

Nous aussi, nous qui avons l'Esprit, et avec lui tout le salut imaginable, nous gémissons.

Nous aussi nous attendons encore quelque chose : la présence enfin venue, non cachée, directe et définitive, de ce que nous sommes, de notre être-fils.

Nous aussi nous attendons avec désir la rédemption de ce corps qui est nôtre, l'accomplissement, la

 consommation, la venue et l'actualisation de ce corps en un corps de gloire.

Nous sommes sauvés en espérance, nous aussi, nous justement, et ainsi nous espérons et attendons

 avec patience.

Nous aussi qui avons l'Esprit, la gloire nous meut et nous tire vers elle.

Combien glorieuse doit être cette gloire !

Nous aussi, nous sommes des témoins d'un avenir grandiose, que nous n'avons pas encore expérimenté corporellement, dans notre corps spirituel.

Face à cet avenir, la souffrance est la tribulation d'un moment.

 

Verset 26 :"De même aussi l'Esprit Saint vient en aide à notre faiblesse. Car nous ne savons pas prier comme il faut ; mais l'Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables"

 

Il est aussi quelqu'un d'autre qui gémit, et ainsi atteste la grandeur de la gloire à venir : l'Esprit lui-même.

Certes il ne gémit pas pour lui-même, comme nous et la création. Mais il gémit : de cela il n'y a aucun doute.

Le ôsautôs de kai (de même aussi) du v.26 se rapporte au thème stenazein (gémir) (v.22-23), et non pas au v.16 summarturei (témoigne), ni non plus au v.11 (Thomas : l'Esprit qui habite en nous).

 

Mais Paul s'exprime d'une manière différente qu'auparavant :"De même aussi l'Esprit vient en aide à notre faiblesse".

Le gémissement de l'Esprit est un gémissement pour nous. Par son gémissement il vient en aide à notre faiblesse, à notre insuffisance, à notre impuissance.

L'Esp ne gémit pas pour lui; Comment le pourrait-il, puisqu'il est Esprit d'espérance, de paix, de joie ?

Rm 15,13 :"pour que vous abondiez d'espérance par la puissance de l'Esprit Saint"

Ga 5,5 :"c'est par l'Esprit que nous attendons dans la foi la justice espérée"

Rm 14,10 :"le Royaume de Dieu est justice, paix et joie dans l'Esprit Saint"

Ga 5,22 :"le fruit de l'Esprit est charité, joie et paix, patience, bonté, bénignité, fidélité, douceur, tempérance"

1 Th 1,6 :"accueillant la parole parmi bien des tribulations avec la joie de l'Esprit Saint".

 

L'Esprit est donc la force de l'auto-ouverture de Dieu.

L'Esprit nous aide par son gémissement, à côté de notre gémissement.

Il "prend une part du travail", parce que nous sommes trop faibles.

 

"venir en aide" (sun-anti-lambanomai) :

Bailly : aider à se rendre maître de, aider à supporter, prendre le parti de, venir au secours de.

Liddell-Scott : help in gaining (a thing), assist in supporting ; +datif : take part with help

 

Dans l'AT :

Gn 30,8 : Et Rachel dit :"Dieu m'a aidée et j'ai lutté avec ma soeur et je l'ai emporté"

Ex 18,22 : (à propos des responsables pris parmi le peuple pour qu'ils aident Moïse)

            "Ainsi allège ce qui te pèse, et qu'ils le portent (nś') avec toi"

Nb 11,17 : "ils porteront avec toi la charge du peuple et tu ne la porteras plus à toi seul !"

Ps 88(89),21 : le roi Davidique "lui que ma main soutiendra et que mon bras fortifiera".

 

Dans le NT :

Lc 10,10 : "dis-lui donc de m'aider !"

 

Le simple anti-lambanomai (au moyen) = se saisir de, s'emparer de, saisir par l'intelligence ; s'attacher à, s'inquiéter de, faire effort pour > venir au secours, prendre parti pour, se charger de, retenir, arrêter.

            antilambanô : prendre ou recevoir en échange.

 

"faiblesse" (asthéneia)         

La faiblesse règne non seulement dans la vie extérieure du chrétien, mais également dans sa vie intérieure et sa prière. Dans ce contexte de la prière, nous sommes faibles, car dans notre prière nous ne pouvons que faiblement comprendre, vouloir et dire "katho deî", ce qui est convenable, approprié, à propos, de demander à Dieu, pour prier selon sa volonté.

Nous gémissons, dans notre prière, vers cette gloire dont la surabondance nous arrache ce gémissement. Mais nous ne le faisons réellement, en le sachant et en le voulant, que lorsque le pneuma que nous avons (aparkhè toû pneumatos : prémices=l'Esprit) intercède lui-même pour nous, dans notre cœur, en priant, lorsque lui élève sa voix en nous et pour nous.

Son aide pour notre faiblesse, c'est justement le fait qu'il élève sa voix en nous, pour nous.

Notre prière, notre regard vers quelque chose d'autre, notre vouloir de ce qui nous dépasse, sont toujours marqués, même si nous sommes chrétiens, d'une insuffisance, d'une inadaptation. Notre gémissement et notre désir, si intimes qu'ils soient, ne saisissent jamais ce vers quoi ils appellent. Car cela dépasse toute intelligence ; c'est la doxa.

Mais puisque ce n'est pas seulement nous qui gémissons, puisque le pneuma lui aussi gémit, et qu'il peut, lui, saisir la gloire, le pneuma enflamme en nous ce gémissement qui est sien, ajoute ce gémissement au nôtre et en fait un gémissement approprié, adapté.

 

"gémissement(s)" (stenagmos, -oi)

Act 7,34 (citant Ex 3,5.7-10) "J'ai vu, j'ai vu les mauvais traitements de mon peuple qui est en Egypte, j'ai entendu son gémissement, et je suis descendu pour le délivrer"

1 Cl 15,6 (citant Ps 11,4-6) "À cause de la misère de l'indigent et des gémissements du pauvre, je vais me lever, dit le Seigneur, je le mettrai en sécurité, j'agirai en toute liberté avec lui"

Herm.(V) 3,9,6 :"

Le verbe stenazô (gémir) :

Mc 7,34 "levant les yeux au ciel, il poussa un gémissement et lui dit : Ephphata !"

2 Co 5,2-4 "Aussi gémissons-nous dans cet état, ardemment désireux de revêtir par-dessus l'autre notre habitation céleste, puisque, l'ayant revêtue, nous ne serons pas trouvés nus. Oui, nous qui sommes dans cette tente, nous gémissons accablés …"

Hb 13,17 :"(les chefs) il faut qu'ils puissent le faire avec joie, et non en  gémissant"

Ja 5,9 :"Ne gémissez pas, frères, les uns contre les autres (kat'allèlôn)"

 

Le gémissement de l'Esprit n'a pas de langue, même pas la langue de la glossolalie.

Il est "sans mots" (hapax alalètos).

Il n'y a pas de mots pour ce vers quoi il soupire/gémit, puisque la doxa, telle un chiffre, transcende toute langue

Il faudrait rapprocher plutôt les arrèta rhèmata (paroles/choses sans mots) que l'extatique "entend" (et non prononce) 2 Co 12,4.

 

Et pourtant il dit quelque chose, ce gémissement de l'Esprit. Il dit ce qui est essentiel (pour nous !) et il est audible, audible pour Dieu ! C'est un gémissement de Dieu à Dieu dans notre cœur. C'est un gémissement qui ne partage pas notre faiblesse, mais la prend en charge.

 

Verset 27 :"et Celui qui sonde les cœurs sait quel est le désir de l'Esprit, et que (car) c'est selon Dieu qu'il intercède en faveur des saints

 

Le gémissement de l'Esprit s'éveille dans le caché et l'inaccessible du cœur, inaccessible pour l'homme lui-même. Mais cela n'empêche pas Dieu de l'entendre, car il sonde les cœurs, et donc les pénètre de son regard.

Cf. Ancien Testament : éraunân (rechercher) :

Ps 7,10 :"Toi qui sondes les cœurs et les reins, ô Dieu juste !"

Prov 15,11 :"Sheôl et Abaddôn sont devant Y, combien plus les cœurs des fils d'homme !"

Jer 11,20 :"Mais toi, Y des armées, qui juges avec justice, qui sondes les coeurs et les reins"

 

NT : Dieu comme kardiognôstès (connaisseur du cœur) :

Act 15,8 :"Dieu qui connaît les cœurs"

Act 1,24 :"Toi, Seigneur, qui connais tous les cœurs"

 

Rapprocher 1 Sm 16,7 :"l'homme regarde l'apparence, mais Y regarde au cœur !"

 

Dieu entend, venant du cœur, la voix de l'Esprit. Il sait ce que veut l'Esprit, son intention, son phronèma :

Rm 8,6-7 :" l'Esprit tend à la vie et à la paix".

Il voit où tend cette intention de l'Esprit : vers ce que Dieu lui-même pense.

kata théon≠kata to thelèma toû théoû (selon Dieu=selon la volonté de Dieu) :

2 Co 7,9 :"vous avez été attristés selon Dieu"

2 Co :"cette tristesse selon Dieu"

2 Co 11,17 :"selon le Seigneur"

Huby :"Il demande ce qui est conforme à la volonté divine ; ses soupirs indicibles appellent la réalisation des desseins de Dieu dans l'ordre du salut".

 

"les saints"

Et Dieu sait en même temps pour qui est cette intention, naturellement pas pour l'Esprit lui-même, mais pour nous, les klètoi hagioi (les appelés saints) :

Rm 1,7 :"à tous les bien-aimés de Dieu qui sont à Rome, appelés à être saints"

1 Co 1,2 :"à ceux qui ont été sanctifiés en Christ Jésus, appelés à être saints"

2 Co 1,1 :"ainsi qu'à tous les saints qui sont dans l'Achaïe entière".

Puisque hagioi est sans article, il désigne probablement les chrétiens en général, les saints, auxquels nous appartenons : l'Esprit intercède pour des hommes qui déjà appartiennent à Dieu et vivent une relation positive avec lui.

Dieu sait ce que veut le désir de son pneuma dans notre cœur, ce désir qui surpasse toute pensée et toute langue. Ce qu'il veut, c'est la gloire de Dieu pour ceux que déjà, dans la foi, il fait être saints. Il sait que le "souffle" de sa doxa veut souffler cette doxa sur les saints.

 

Verset 28 :"Nous savons d'ailleurs que Dieu fait coopérer toutes choses au bien de ceux qui l'aiment, de ceux qui sont appelés selon son dessein".

Mais cette imploration de l'Esprit pour nous, qui, plus encore que le désir des chrétiens et l'attente de la création, nous ouvre la certitude de la gloire à venir, Dieu ne fait pas que la savoir, il l'exauce. Car Dieu aide de toutes les manières pour le bien des saints qu'Il a appelés et qu'Il aime. Dieu les a déjà aidés, Il les a glorifiés.

Il se peut que le oidamen (nous savons) ici encore soit comme l'introduction d'une thèse à la manière juive, que la langue reflète la tradition juive, et que le contenu aussi soit en relation avec la pensée juive.

Pour attester que Dieu entend le gémissement de l'Esprit, pour consoler et encourager "les saints", Paul revient à une affirmation de la foi commune : nous savons par la foi que Dieu, pour ceux qui l'aiment, ne laisse rien advenir qui ne serve à leur salut (Paul et naturellement aussi la communauté chrétienne).

 

La compréhension du v.28 dépend de la critique textuelle :

 

traduction 1 :"Mais nous savons que pour ceux qui aiment Dieu, tout aide à leur bien, à ceux qui sont appelés selon le projet (de Dieu)"

traduction 2 :"pour ceux qui (l') aiment, Dieu fait tout concourir toutes choses au bien".

traduction 3 :"Dieu collabore (concourt) en tout au bien de ceux qui l'aiment.

 

Pour la traduction 3 (Schlier), panta = accusatif de relation.

De toute façon, Dieu est pensé comme Celui qui opère pour le bien, et cela en toutes choses, même dans la souffrance, même dans la souffrance eschatologique.

 

"pour le bien" (eis agathon) : d'après l'usage juif, "pour le salut", pour la vie, et dans notre contexte, "pour la glorification":

Sir 39,25-27 :"Les biens furent créés pour les bons dès le commencement, comme les maux pour les pécheurs, toutes ces choses sont des biens pour les hommes pieux, mais pour les pécheurs, elles se changent en maux".

Berakh, 60b :"Rabbi Aqibah (†137) disait : Que l'homme s'habitue à dire :'tout ce que fait le tout-puissant, il le fait pour le bien".

Peut-être faut-il comprendre en ce sens

Rm 13,4 :"l'autorité … elle est un instrument de Dieu pour te conduire au bien".

Rm 15,2 :"Que chacun de nous plaise à son prochain pour le bien, en vue d'édifier".

Rm 10,15 (Is 52,7) :"Qu'ils sont beaux les pieds (les pas !) de ceux qui annoncent de bonnes nouvelles (ta agatha).

 

"concourir/collaborer" (sun-ergein) : 1) travailler avec, aider pour un travail, coopérer ; 2) aider, assister quelqu'un en quelque chose ou pour quelque chose.

Citations :

Test.Gad 4,7 :"le pneuma de la haine aide Satan en toutes choses pour la mort des hommes"

Test.Benj. 4,5 :"(l'homme bon) aide celui qui aime Dieu"

Ja 2,22:"la foi coopérait à ses œuvres (Abraham)"

Mc 16,20 :"le Seigneur coopérait avec eux en confirmant la Parole par les signes qui l'accompagnaient"

2 Co 6,1 :"Et puisque nous sommes ses coopérateurs, nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu".

 

"aimer Dieu" (agapân)

Ex 20,6 :"pour ceux qui m'aiment et observent mes commandements"

Deut.5,10 :même texte

Deut.7,9 : même texte

Deut.10,12 :"Qu'est-ce que Y ton Dieu réclame de toi, sinon de craindre Y, de marcher dans toutes ses voies, de l'aimer"

Deut.11,1 :"Tu aimeras Y, ton Dieu, et tu observeras son  observance"

Deut.11,13 :"en aimant Y, votre Dieu, et en le servant de tout votre cœur"

Deut.11,22 :"en aimant Y, votre Dieu, en marchant dans toutes ses voies"

Jos 23,11 :"Vous prendrez bien garde à vous-mêmes, pour aimer Y, votre Dieu"

Jg 5,31 :"Ceux qui t'aiment, qu'ils soient comme le soleil"

Tobie 13,14 :"bénis soient à jamais tous ceux qui  t'aiment !"

Sir 1,10 " Il l'a dispensée à ceux qui l'aiment"

Sir 2,15-16 :"ceux qui l'aiment gardent fidèlement Ses voies" .."ceux qui l'aiment se rassasient de sa Loi"

Sir 31 (ou 34),16 :"Les yeux du Seigneur sont sur ceux qui l'aiment"

Dn 9,4 (LXX) :"Ah ! Y, le Dieu qui garde l'alliance et la fidélité à ceux qui l'aiment !"

Bel 38 :"O Dieu, tu n'as pas délaissé ceux qui t'aiment"

Ps.Sal.4,25 :"Que ta grâce, Seigneur, soit sur tous ceux qui t'aiment !"

Ps.Sal 6,6,6 :"Béni soit le Seigneur qui fait miséricorde à ceux qui l'aiment selon la vérité"

Ps.Sal.10,3 :"la grâce du Seigneur est sur ceux qui l'aiment selon la vérité"

Ps.Sal.14,3 :"le Seigneur est fidèle à ceux qui l'aiment selon la vérité"

Test.Jos 5,127 ?

Test.Jos 7,16 ?

Test.Benj.3,1 :"Maintenant , mes enfants, vous aussi, aimez le Seigneur !"

Test.Benj.4,5 :"Celui qui aime Dieu, Il se porte à son secours"

Test.Dan 5,3 :"Aimez le Seigneur dans toute votre vie"

 

Ceux-là, qui reçoivent tout de Dieu comme un don, sont "ceux qui aiment Dieu".

 

Par "aimer", Paul entend la force et la preuve de la foi, l'entrée et la durée dans l'amour que Dieu, par l'Esprit, a versé dans les cœurs. Il s'agit de :

Rm 5,5 :"l'amour de Dieu (que Dieu a pour ns) a été répandu dans nos cœurs par le SE qui nous a été donné"

Ga 5,6 :"dans le Christ Jésus .. compte seulement la foi opérant la charité"

1 Co 2,9 :"l'œil n'a pas vu .. ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment" (parallèle à : toîs agapôsin auton)

1 Co 8,3 :"si quelqu'un aime Dieu, celui-là est connu de Lui"

Lc 10,27 (=Deut.6,5) :"Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur"

 

Ceux qui aiment Dieu (28a) sont, d'un autre côté (28c), ceux qui sont appelés selon le projet de Dieu.

 

"projet" (prothésis) : action de placer devant, d'où :

1)      exposition publique, 2) ce qu'on se propose, projet, dessein, intention, propos délibéré, 3) (philos. :proposition à développer, à discuter) ; hb. ‘ëşâh.

À propos de la prothésis de Dieu :

Rm 9,11 :"hè kat'eklogèn prothesis : le dessein qui procède par libre choix (TOB), la liberté du choix divin (Osty)

Ep 1,11 :"suivant le projet de celui qui mène tout au gré de sa volonté, nous avons été d'avance destinés à être à la louange de sa gloire"

Ep 3,11 :"la sagesse multiple de Dieu, selon le projet éternel qu'il a exécuté en JCNS"

2 Tim 1,9 "Dieu nous a sauvés et appelés par un saint appel, non en vertu de nos œuvres, mais en vertu de son propre dessein et de sa grâce"

 

Paul parle de l'appel de Dieu adressé à eux, mais non par opposition à ceux qui éventuellement n'auraient pas été appelés. Paul vise seulement ce que Dieu a fait d'avance poux ceux qui l'aiment, et pour qui tout concourt à la vie, de ce qui leur advient.

 

"appelés" (klètoi)

Dieu les a appelés, en sorte qu'ils sont des "appelés" (1 Cori 1,24), des "appelés saints" (Rm 1,7), des "appelés de Jésus Christ" (Rm1,6; cf. Jude 1 :"appelés qui ont été aimés en Dieu le Père et gardés pour Jésus Christ". Apoc. 17,14 :"ceux qui sont avec lui, appelés, élus, fidèles".

 

Le ousin est à prendre au sens fort : ils sont appelés et se tiennent maintenant dans et sous cet appel, qui leur a ouvert et leur ouvre l'avenir, et leur fait entendre à la fois ce que Dieu leur promet et ce que Dieu leur demande. Cet appel correspond à l'intention éternellement devançante et au projet de Dieu, qui est à la base de tout, même si ce projet ne se réalise que dans l'Évangile;

 

Les saints qui aiment Dieu (27 fin, 28a), l'aiment en réponse à l'appel (28c) de Dieu, qui éternellement les aime en Jésus Christ.

C'est à eux que Dieu fait servir tout destin pour le salut, parce que (hoti) (v.29) Dieu déjà leur a fait advenir tout son salut.

 

Versets 29 et 30 :"Car ceux que d'avance il a connus, il les a aussi destinés d'avance à être conformes à l'image de son Fils, pour qu'il soit un premier-né parmi de nombreux frères ;

            ceux qu'il a destinés d'avance, il les a aussi appelés ; ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés ; ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés".

 

La présentation de ces actions accomplies par Dieu se fait en deux temps :

 

a. verset 29                              en deux membres : proégnô / proôrisen

(il a d'avance connu /il a d'avance destiné)

b. verset 30                              sorite de 4 membres : proôrisen / ékalésen / édikaiôsen / édoxasen

(il a d'avance destiné / il a appelé / il a justifié / il a glorifié)

 

TOB p.471 w : Paul ne cherche pas tellement à mettre en évidence une succession chronologique entre des étapes (certaines peuvent coïncider). Il veut manifester un mouvement qui tend vers un terme la gloire, dont le Christ est maintenant revêtu, et qui nous sera communiquée par lui.

 

Eux, qui aiment Dieu et que la grâce de Dieu a touchés, les saints, les fils ou enfants de Dieu qui ont le pneuma, Dieu les a connus d'avance :

 

"il a d'avance connu" (prognônai) :

Rm 11,2 :"(Israël) Dieu n'a pas rejeté son peuple que d'avance il a connu"

1 P 1,2 :"Pierre aux élus .. élus selon la préscience (prognôsis) de Dieu le Père"

1 P 1,20 :"(Christ) le Christ prédestiné avant la fondation du monde et manifesté à la fin des temps"

Act 2,23 :Cet homme (Jésus), selon le plan bien arrêt et la préscience (prognôsis)de Dieu, vous l'avez livré"

 

Et ce "connaître" inclut pour Paul un "reconnaître", un "s'approprier, adopter", une estime d'amour :

1 Co 8,3 :"si quelqu'un aime Dieu, il est connu de lui"

1 Co 13,12 :"(dans la gloire) alors je connaîtrai comme je suis connu"

Ga 4,9 :"maintenant que vous connaissez Dieu, ou plutôt que vous êtes connus de lui"

2 Tim 2,19 :"Le Seigneur connaît les siens"

Cf. yâda‘, Am 3,2 :"Je n'ai connu que vous parmi les familles de la terre"

Os 13,5:"moi, je t'ai connu dans le désert"

Jer 1,5 :"Avant de te former au ventre de ta mère, je t'ai connu"

 

"d'avance déterminé" (proôrisen) :La connaissance de Dieu qui précède tout s'avère être une prédétermination.

Ce que Dieu réserve aux hommes est, antécédemment à tout, déjà "défini" par Dieu :

1 Co 2,7 :"Nous enseignons la sagesse de Dieu, mystérieuse et demeurée cachée, que Dieu, avant les siècles, avait d'avance destinée à notre gloire"

Ep 1,11 :"destinés d'avance selon le plan préétabli de Celui qui accomplit tout selon la décision de sa volonté"

Ign.Antichrist. (Eph. Intr.) :"Ignace, dit aussi Théophore, à celle qui est bénie en grandeur dans la plénitude de Dieu le Père, prédestinée avant les siècles à être en tout temps, pour une gloire qui ne passe pas, inébranlablement unie et élue dans la passion véritable du Christ".

 

En Ep 1,5 la formulation est différente :"Dieu, par amour, nous a "d'avance destinés" à la filiation par JC"

L'amour de Dieu a éternellement pré-destiné les fils qui aiment Dieu.

 

"conformes" (summorphos) :

Ici, en Rm 8,29, la "filiation par Jésus Christ envers Dieu", que nous avions en Ephésiens, est décrite par l'expression "être conformes à l'image de son Fils. En d'autres termes : Dieu, antécédemment à tout, a ordonné les hommes à partager le mode d'être du Christ. (Et cela devient manifeste à ceux qui aiment Dieu, qui ont donné et donnent leur réponse à l'appel de Dieu).

Summorphos tès eikonos = avoir la même morphè. Mais morphè signifie chez Paul, non pas "forme", mais "manière/mode d'être" et eikôn (image) est ici la manifestation de l'être :

Col 1,15 :"il est l'image du Dieu invisible = il manifeste l'être du Dieu invisible"

1 Co 11,17 :"l'homme .. est l'image et la gloire de Dieu"

 

D'après 1 Co 15,48s, porter l'eikôn toû épouraniou (l'image du Céleste), c'est être céleste comme  le Céleste.

 

Mais qu'est-ce que l'"eikôn" (image) du Christ ?

D'après Ph 3,21, c'est son corps de gloire, to sôma tès doxès autoû, son corps plein de gloire.

2 Co 3,18 :"Nous réfléchissons la gloire du Seigneur et nous sommes métamorphosés en cette même image"

2 Co 4,4 :"la gloire du Christ, qui est l'image de Dieu"

Avoir part à son être de gloire, donc être comme lui corporellement, rempli de doxa, c'est à cela que Dieu a ordonné l'homme, comme cela se manifestera à ceux qui l'aiment :

Rm 9,23 :"afin de faire connaître la richesse de sa gloire envers des objets de miséricorde que, d'avance, il a préparés pour la gloire".

Par là il a ajouté beaucoup de "frères" au Christ comme premier-né : eis to einai, "afin que"/ en sorte que".

 

"premier-né" (prôtotokos) : nom messianique, et donc, d'après l'usage juif : "le plus aimé".

Le Christ l'est non seulement en fonction de la création (Col 1,15), mais aussi de par sa résurrection :

Col 1,18 :"Il est Principe, Premier-né d'entre les morts"

Rm 8,11 :"l'Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts"

1 Co 15,22s "tous revivront dans le Christ"

Apoc 1,5 :"le premier-né des morts et le prince des rois de la terre"

D'après Hb 2,17, il l'est aussi en fonction de son humanité, explicitement en fonction de la gloire qui est la sienne et celle de ses frères :"aussi devait-il se faire en tout semblable à ses frères, afin de devenir dans le service de Dieu un grand prêtre miséricordieux et fidèle, pour expier les péchés du peuple".

Cf.Hb 2,11s :"Car le sanctificateur et les sanctifiés ont tous même auteur. C'est pour cette raison qu'il ne rougit pas de les appeler ses frères, quand il dit : J'annoncerai ton nom à mes frères".

 

Pour ceux qui aiment Dieu, qui, appelés par Dieu se tiennent sous l'appel de Dieu, il devient évident que la définition de l'existence humaine est : le chrétien partage avec le Christ et dans le Christ la gloire du mode d'être de ce Frère aîné.

Ainsi émerge une fois de plus la doxa à venir, surabondante (v.18), qui éclipse et absorbe toute souffrance sur terre. La doxa ici n'est pas nommée, mais elle n'est pas absente et précède tout ; c'est une éternité avant notre détermination par Dieu. Bien plus, cette gloire, cet avenir de l'homme qui précède tout, nous advient déjà.

 

Verset 30

 

"appelé" (kaleîn) : introduit la réalisation historique de ce à quoi l'homme est destiné.

 

Appelés comment ?

- par l'Évangile :+2 Th 2,14 :"C'est à cela qu'il vous a appelés par notre Évangile, à posséder la gloire de NSJC".(TOB 639y : La gloire appartient en propre au Christ ressuscité, mais il appelle tous les croyants à la partager déjà avec lui, en participant à la même vie, animée par l'Esprit Saint "prémices").

-          par la grâce de Jésus Christ : Ga 1,6 :"vous vous détournez de Celui qui vous a appelés par la grâce du Christ"

 

Appelés pour quoi ou à quoi ?

1)      à la paix : 1 Co 7,15 :"c'est pour vivre en paix que Dieu vous a appelés (relation de foyer)" ;  Col 3,15 :"Que règne en vos cœurs la paix du Christ, à laquelle vous avez été appelés, tous en un seul corps"

2)      à la sainteté : 1 Th 4,7 :"Dieu vous a appelés en hagiasmô, dans la sanctification". TOB 622m :"Le chrétien est saint dès son appel, par lequel Dieu déjà le sanctifie, quelle que soit à ce moment sa conduite morale, mais à cause de cet appel, sa conduite doit changer et devenir conforme à sa foi en Jésus Christ"

3)    à la liberté : Ga 5,13 :"C'est à la liberté que vous avez été appelés, seulement que cette liberté ne donne aucune prise à la chair, mais, par amour, mettez-vous au service les uns des autres" ; 1 Co 7,17ss :"Que chacun vive selon la condition que le Seigneur lui a donnée en partage, et dans laquelle il se trouvait quand il l'a appelé".

4)  à la communion avec son Fils, JCNS : 1 Co 1,9 :"Il est fidèle, le Dieu qui vous a appelés à la communion avec son Fils, JCNS".

5)      au royaume (basileia) et à la gloire (doxa) de Dieu : 1 Th 2,12 :"Nous vous avons adjuré de vous conduire d'une manière digne de Dieu qui vous appelle à son royaume et à sa gloire" ; cf.+1 Th 2,14

 

"justifié" (édikaiôsen)            Avec cet appel quelque chose d'autre s'est passé : l'appel du Dieu fidèle qui justifie.

Par sa réponse de foi, l'appelé a été justifié, il est devenu juste, pris par la puissance de la justice de Dieu (+qui est la constance de Dieu dans son propos d'Alliance et de salut).

Rm 5,3 :"Maintenant que nous avons été justifiés par le sang du Christ"

Rm 5,1 :"Ayant donc été justifiés en raison de la foi, nous sommes en paix avec Dieu par NSJC"

1 Co 6,11 :"Vous vous êtes lavés (baptême), vous avez été sanctifiés, vous avez été justifiés par le nom du Seigneur Jésus Christ et par l'Esprit de notre Dieu"

 

Ainsi les appelés sont admis comme justes devant Dieu, moyennant la foi et l'acte du baptême, et ils sont glorifiés, de sorte qu'ils expérimentent d'avance la future dikaiôsis zôès (Rm 5,18 : la justification qui donne la vie [Osty] ; cf.Rm 4,25 "ressuscité pour notre dikaiôsis) en attendant leur justification définitive : Ga 5,5 :"Pour nous, en effet, c'est par l'Esprit que nous attendons la justice espérée (elpida dikaiosunès apekdekhometha)

 

L'appel de Dieu se révèle donc être justification de l'homme par la justice de Dieu +

"glorifié" (édoxasen) : la justification du croyant est, enfin, l'entrée dans la gloire. C'est le dernier pas de la phrase conclusive. Formulation singulière chez Paul :

-          d'une part pour l'emploi de doxazein (glorifier), qui sonne presque johannique, et qui signifie ici "admettre et prendre dans la gloire".

-          d'autre part à cause de l'aoriste, qui renvoie à un fait déjà accompli. La doxa ne serait-elle pas uniquement future ? uniquement désirée ? la glorification uniquement espérance ?

Certes non ! Car il ne s'agit pas seulement d'une "anticipation triomphante" de la part de Paul, comme on le croit trop souvent, mais d'une anticipation de ce que Dieu fait, présentement, par sa grâce. Non seulement Paul exprime la certitudo futuri (certitude du futur), mais il désigne un fait de maintenant , un don actuel, déjà actuel, de Dieu, en prémices (Cf. Rm 8,23; TOB).

            De même que la doxa, d'après 2 Co 4,4.6, brille "dans l'Évangile de la doxa du Christ", comme traduction de la "connaissance illuminée de la gloire de Dieu sur le visage de Jésus Christ",

de même, tournés vers le kurios et son pneuma, reflétant la gloire de Dieu qui brille sur la face du Christ, nous sommes changés dès maintenant en l'être-doxa du Christ ( 2 Co 3,16ss).

            Cette gloire nous a déjà saisis et embrassés ; le chrétien est déjà entré dans l'attraction de la gloire.

            Dieu nous a déjà "glorifiés" dans la foi et par l'Esprit, comme les "aimants" qu'il a appelés, mais aussi comme ceux qui espèrent l'éclosion de la gloire dans laquelle déjà ils se trouvent, et dans laquelle ils portent avec patience les douleurs et les souffrances de ce temps, devenues à leurs yeux insignifiantes.

            Huby :"Ce que ces termes expriment c'est l'absolue souveraineté de Dieu, la transcendance de sa bonté qui ne saurait se subordonner à aucune de ses créatures ni à aucun de leurs actes. Dans l'ordre du salut, il est l'Amour, l'Amour prévenant qui n'a sa source qu'en lui-même ; non pas une réponse, mais un élan".

 

            Nous n'anticipons pas la gloire de notre corps, dans notre corps, mais possédant l'Esprit Saint, qui est prémices, nous avons part progressivement, par la foi et l'amour, à la gloire du Christ, à la gloire de Dieu sur le visage du Christ (puisque nous sommes transformés progressivement, "de gloire en gloire", 2 Co 3,18), tout comme nous avons part progressivement à sa vie, à sa résurrection, à sa filiation, à sa session auprès du Père dans les cieux.

 

Résumé des versets 17-30 :

 

La vie sur terre, spécialement en ce temps de la fin, est remplie de détresse et de souffrances.

Mais par la force de l'Esprit, de l'autoouverture de Dieu en Jésus Christ, une perspective victorieuse est ouverte à

cette vie, que Paul ne peut désigner autrement que par doxa, la gloire.

 

Devant la transcendance insaisissable, salvifique, de cette gloire, les souffrances sur terre perdent toute importance.

 

Cette doxa rayonne si puissamment, elle est si indiciblement lumière de vie, que tout soupire, non seulement

l'homme, mais la création, compagne de l'homme.

 

La chercher des yeux et tendre vers elle est le mouvement fondamental de la création, dans la mesure où cette création, liée à la corruption et livrée à la vanité, à l'irréel, attend que se lève et que brille cette gloire dans les hommes (qui sont libérés définitivement pour être libres), dans les fils ou enfants de Dieu, lorsqu'ils seront manifestés.

Car tout ce qui est créatural, même dans l'homme, est inclus dans le destin de l'homme et de sa liberté.

Vers cette transcendance surabondante la création s'enfante dans son devenir, elle qui se tient sous l'unique grand gémissement suscité par les souffrances et la gloire qui certainement va venir.

 

Mais les chrétiens, eux aussi, sont des témoins de la gloire qui aimante vers elle tout désir, toute aspiration.

Ils ont l'Esprit ; avec lui et en lui ils ont aussi déjà cette ultime liberté pour laquelle ils doivent être libérés.

Cette liberté leur est ouverte, et dans la mesure où ils se confient à l'Esprit, ils sont déjà en marche vers elle.

Et cependant ils gémissent eux aussi. Car la gloire manifeste est encore plus que la possession anticipée de l'Esprit.

 

La gloire inclut aussi la rédemption du corps. Celui-ci, par le baptême et la foi, n'est déjà plus déchu, dans la mort et le péché (car l'Esprit le tient déjà dans sa puissance), mais il demeure encore tenté et mortel, et donc exposé à la possibilité de la chute dans le péché et dans la mort.

 

Les chrétiens aussi sont encore créature. Ils sont libérés par le pneuma pour aimer et espérer, et en ce sens ils sont créature détachée d'elle-même. Mais par leur existence dans leur corps ils sont encore liés à la tapeinôsis (humilité) de leur passé, comme à une possibilité nouvelle et terrible.

Seule la doxa victorieuse qui va venir peut les arracher à cette possibilité.

Avec eux et en eux gémit aussi l'Esprit Saint lui-même. Il gémit pour eux. C'est lui qui a connaissance de leur

accomplissement.

Et ainsi, dans son gémissement inaudible, sans mots, il aide ceux qui gémissent prient sans saisir précisément ce qu'il faudrait demander en priant.

Ainsi le pneuma fait de la prière des faibles (et ce sont les chrétiens !) une prière forte, une prière pure qui demande la gloire.

 

Dieu entend dans les cœurs cette prière de l'Esprit, et il l'exauce.

Il est le Dieu souverain qui tourne tout en bien, donc en doxa, même la souffrance, pour ceux qui l'aiment parce qu'il les a appelés.

Il est le Dieu qui éternellement a destiné l'homme à la gloire, et qui donne part à cette gloire aux justifiés, dans l'événement de l'appel.

Cet extrême, justement cette gloire, repose déjà sur l'homme qui, avec l'Esprit, languit après elle.

 

Tout attend la gloire : la création et l'Esprit.

 


 

4ème partie : L'amour vainqueur de Dieu

dans l'Esprit (v.31-39)

 

 

Paul se hâte vers la fin de son chapitre sur l'Esprit, et vers la fin de ses développements sur les dons de Dieu garantis au justifié. Mais il jette encore un regard d'ensemble, et il est comme impressionné par les éléments qu'il apporte dans son résumé.

Cela se sent au changement de ton : il quitte le style de l'enseignement et de l'argumentation, et adopte un ton rhétorique et hymnique, le ton d'un discours spirituel traversé d'éléments de la diatribè.

 

Du point de vue de la forme, on peut distinguer :

 

1.         v.31a : introduction ti oûn éroumen (que dire, que dirons-nous)? question rhétorique habituelle à Paul, ailleurs la plupart du temps introduisant une réflexion théologique. Ici avec l'ajout pros tauta (après cela).

 

2.         v.31b-36 : série de questions : ti, pôs, tis, tis ,tis, la cinquième étant renforcée par une citation.

 

3.         v.37 : affirmation solennelle, qui est un cri de victoire.

 

       4.           v.38-39 : conclusion hymnique, motivant le cri de victoire.

 

Pour la structure détaillée de 2, regarder de près. Le problème est surtout celui-ci : v.33b, théos ho dikaiôn (Dieu qui justifie) et v.34b, Khristos.. hos..hos kai (le Christ qui.. et qui) sont-ils des questions ou des affirm.?

Osty : deux affirmations.

BJ : une affirmation, une question.

Schlier : deux questions ; ses arguments sont les suivants : les phrases ne répondent pas directement aux questions posées ; par ailleurs il est emporté par ses questions (au point qu'en 32 la confession chistologique, que Paul n'a pas créée, mais qu'il reprend, est explicitement prise dans la question : hos..alla..pôs). De plus en 35 Paul commence ou continue 34b avec une question assez ample.

 

Verset 31 :"Que dire après cela ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?"

 

"après cela"(pros tauta)

Se rapporte naturellement d'abord à ce qui vient d'être dit (v.28-30) sur l'action de Dieu envers nous, mais cette présentation de l'action de Dieu est elle-même étroitement liée aux développements qui la précèdent (v.26-28), où il est question de l'intercession du pneuma pour les saints (ce pneuma qui est le don décisif fait aux justifiés par la foi, qui fait l'objet principal du ch.8, et qui est le couronnement des ch.5-8 sur les dons liés à la justification.

"Dieu pour nous" (ho théos huper hèmôn) de v.31b reprend d'ailleurs, en formulation générale ce qui a été dit auparavant de Dieu en Jésus Christ par l'Esprit Saint, non seulement en 8,28 et 8,1, mais en 7,24, 7,4, ch.6, 5,18ss, 5,1s.

 

"pour/contre" (huper hèmôn/kath'hèmôn)

Cette opposition thématise déjà la situation de jugement que les v.33-34 présenteront : "accuser /condamner" (egkalesei/katakrinein). La vie de chaque homme se joue constamment et fondamentalement en responsabilité devant le jugement de Dieu.

Paul lui-même répond à la question soulevée par lui. Et cette réponse est symptomatique. Elle ne nomme pas l'adversaire ("qui", tis) : face à Dieu il ne peut y en avoir. Paul ne répond même pas :"personne", ce qui, à ses yeux, serait trop faible. Il répond plutôt en présentant le "pour nous" (huper hèmôn) comme englobant tout, sans surenchère possible. La nouvelle question (v.32) liquide déjà la première.

 

Verset 32 :"Lui, qui n'a pas épargné son propre Fils, mais l'a livré pour nous tous, comment ne nous accorderait-il pas toutes choses avec lui ?"

 

            Sous forme de question, Paul parle du fait (avec lequel tout nous est garanti) : le don qui nous a été fait du Christ.

 

"épargné" (pheidesthai)

Voir aussi pour ce pheidesthai de Dieu, Rm 11,21 :"Si Dieu n'a pas épargné les branches naturelles, il ne t'épargnera pas non plus".

Même idée, en positif, "il l'a livré pour nous tous (huper hèmôn pantôn parédôken) ; cf. Rm 4,25 :"JCNS, lequel a été livré pour nos fautes"(hos padédothè dia ta paraptômata hèmôn). À rapprocher de Is 53.

Il n'y a pas, selon Schlier, de réminiscence de Gn 22,16. Quel sens aurait-ce que Dieu agisse comme Abraham ?

On comprendrait seulement qu'Abraham agisse comme Dieu !

Le "pour nous" de Dieu (v.31) se montre en ce que Dieu a livré son Fils pour nous tous !

 

"livré" (paradidômi) : I. transmettre, 1. remettre de la main à la main, 2. remettre par succession, 3. livrer à la postérité, 4. livrer, remettre ; II. confier ; III. concéder : accorder, permettre.

Et avec ce don du Fils en faveur de tous, Dieu nous garantit tout. En Jésus Christ, son Fils, est enclos tout le salut : ta panta, non pas "le Tout", mais le salut eschatologique, tout l'héritage.

 

"accorder"(kharizesthai) : I. être agréable, 1. faire plaisir à, être agréable à qqun, accorder la faveur de quelque chose ; 2. complaire à, avoir des complaisances pour ; 3. chercher à plaire avec le désir d'être agréable ; II. tardivement (NT) : accorder gracieusement, pardonner.

1 Co 2,12 :"les dons que Dieu nous a faits"(ta hupo toû théou kharisthenta humîn)

Ga 3,18 :"c'est par voie de promesse que Dieu a accordé sa faveur à Abraham" (tô de Abraham di'épaggelias kekharistai ho théos)

Ep 4,32 :"vous pardonnant mutuellement comme Dieu vous a pardonné dans le Christ"

Ph 2,9 :"Dieu lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom"

Col 2,13 :"nous pardonnant toutes nos fautes"

 

Dans ce mot, Paul entend certainement la kharis toû théoû, la grâce que Dieu nous a donnée à tous avec le Christ, c'est-à-dire son don libre, l'effet de sa kharis (grâce), qui déjà est active et qui sera active.

Rm 3,24 :"Tous sont justifiés gratuitement par sa grâce en vertu de la rédemption qui est dans le Christ Jésus"

Rm 5,2 :"Jésus Christ, à qui nous devons d'avoir accès par la foi à cette grâce où nous sommes établis"

Rm 5,15 :"Il n'en va pas du don de la grâce comme de la faute … à bien plus forte raison la grâce de Dieu et le

don que confère la grâce d'un seul homme, Jésus Christ"

Rm 5,17 :"ceux qui reçoivent l'abondance de la grâce"

Rm 5,20s "où le péché avait abondé, la grâce a surabondé, afin que, comme le péché avait régné dans la mort, la grâce régnât de même par la justice", etc.

 

Verset 33 :"Qui accusera des élus de Dieu ? Dieu, qui les justifie ?"

 

Nouvelle question. Le "contre nous" (kath'hèmôn) du v.31 est développé clairement ici comme processus de jugement eschatologique (accuser/des élus, egkaleîn/eklegein).

 

"accuser" (egkaleîn) : terme juridique pour la citation en justice : 1.réclamer, 2.reprocher, accuser.

Sir 46,19 :"et personne ne parla contre lui (Samuel)"

Sg 12,12 :"Qui te fera des reproches pour avoir détruit des nations que tu as faites ,"

Josèphe, Contre Apion 2,138.

Act 19,38 :"qu'on se cite en justice

Act 23,28 :"Voulant savoir la raison pour laquelle ils l'accusaient"

 

"élus" (eklektoi) . Ce sont les "appelés" (klètoi) du v.28.

Rm 16,13 :"Saluez Rufus, cet élu dans le Seigneur"

Col 3,12 :"Comme des élus de Dieu, saints et bien-aimés

 

C'est un terme de dignité des fils d'Israël  :

1 Chr 16,13 :"descendance d'Israël son serviteur, fils de Jacob, ses élus"

Ps 105,6 :"descendance d'Abraham, son serviteur, fils de Jacob, ses élus"

Ps 105,43 :"il fit sortir son peuple en allégresse, ses élus, avec des cris de joie"

et maintenant de l'Israël de Dieu : Ga 6,16 :"paix sur eux et miséricorde, ainsi que sur l'Israël de Dieu"

 

En 33b, Paul continue par une question (Sch), qui commente le "qui accusera" (tis egkalesei), et montre qu'il est impossible de faire cette supposition : Dieu va m'accuser.

Car Dieu est "celui qui justifie" (ho dikaiôn), qui crée le droit, qui déclare le droit (dans la situation juridique présupposée). Cf. Is 50,8 :"ho dikaiôsas me" :"Il est proche, celui qui me justifie [LXX : m'a justifié], qui veut débattre avec moi ? Comparaissons ensemble ! Qui sera mon adversaire en justice ? Qu'il s'avance vers moi ! Adonay me secourra ; qui est celui qui pourrait me condamner ?"

Dieu est donc celui qui fait être juste un homme qu'il a d'avance destiné et appelé, et qu'il va ensuite glorifier. Tout cela est condensé magnifiquement dans cette question qui est en même temps une réponse.

 

Verset 34 :"Qui les condamnera ? Christ Jésus, qui est mort, que dis-je ? ressuscité, qui est à la droite de Dieu, qui intercède pour nous !"

 

Ce verset poursuit la question, peut-être en écho à Is 50,8s, avec deux remplacements :

au verset 33 : "qui les accusera ? (tis egkalesei kata) …Dieu (théos)

au verset 34 :" qui condamnera ? (tis ho katakrinôn)Christ (khristos)

 

La réponse négative est maintenant donnée en fonction du Christ et avec un large développement sur son œuvre de salut. Le Christ nous condamnera pas (°inclusion avec le v.1 !), car il est mort et ressuscité ; il a part à la puissace de Dieu et intercède pour nous.

 

La phrase est faite :

de deux participes, "celui qui est mort"(ho apothanôn), "celui qui est ressuscité" (egertheis)

de deux relatives, 1."lui qui est aussi" (hos kai estin)…2."lui qui aussi intercède" (hos kai entugkhanei)

Vraisemblablement nous avons là une homologie traditionnelle et déjà élargie.

 

À remarquer :

d'une part la correction :"bien plus, qui est ressuscité" (mallon egertheis)

d'autre part l'ajout dans la relative 1 : "à la droite de Dieu" (en dexia théou)

Ps 110,1 :"assieds-toi à ma droite"

Ep 1,20 :"en le faisant asseoir à sa droite dans les cieux"

Col 3,1 :"là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu"

mais aussi, par exemple :

Mt 26,64:"vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de Dieu"

Act 2,33, citation du Ps 110,1

Act 7,55s :"(Étienne) vit les cieux ouverts et Jésus debout à la droite de Dieu ..je vois les cieux ouverts et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu"

Hb 1,3 :s'en est allé s'asseoir … à la droite de la Majesté"

1 P 3,22 :"Jésus Christ, qui est à la droite de Dieu"

et l'ajout dans la relative 2 :"et qui intercède pour nous" (kai entugkhanei huper hèmôn)

 

Ces deux ajouts ne se trouvent pas dans les homologies courtes plus anciennes, mais sont des prolongements tout à fait en situation, tirés peut-être par Paul lui-même du contexte.

 

Pour l'intercession, "pour nous", du Christ élevé à la droite de Dieu :

Hb 7,25 :"puisqu'il est toujours vivant pour intercéder en leur faveur (huper autôn)"

1 Jo 2,1 :"nous avons auprès du Père un Paraclet, Jésus Christ le Juste"

Est maintenant pour nous le Christ Jésus, en tant qu'il est le mort, le ressuscité, l'élevé à la droite de Dieu, (opposer "pour nous" (huper hèmôn) à propos de Dieu, au v.32).

 

L'acte historique de sa mort "pour nous se poursuit dans son intercession "pour nous".

Mais cela se réalise pour nous dans l'Esprit qui intercède "pour nous", comme nous l'apprenons en Rm 8,26.

 

La croix demeure toujours présente. Ainsi le Christ qui devant Dieu intercède pour nous (avec l'Esprit Saint), ne peut nous condamner, pas plus que Dieu (le Dieu justifiant) ne peut nous accuser, nous qui sommes dans le Christ.

 

Introduction à v.35-39 : La question "qui contre nous ?"(tis kath'hèmôn) du v.31b, a reçu sa réponse ; personne ! car Dieu et le Christ sont pour nous. Mais une nouvelle question va nous amener jusqu'au bout du chapitre (v.35-39) : ne pouvons-nous pas être séparés du Christ, et donc de Dieu, par ce qui nous advient comme souffrances et oppression et par les forces et les épaisseurs de ce monde ?

            La réponse, maintenant, ne sera plus donnée sous forme de question, mais sous la forme de 2 confessions : 1. v.37; 2.v.38-39 (qui inclut la 2me question, qui n'a pas été explicitement formulée).

 

Verset "35 :"Qui nous séparera de l'amour du Christ ? La tribulation ?, l'angoisse ?, la persécution ? la faim ? la nudité ? le péril ? le glaive ?"

 

Dieu ne nous accuse pas, mais nous justifie. Le Christ ne nous condamne pas, mais intercède pour nous.

Vient alors l'idée :"Rien, aucun destin ni aucune force du monde, ne peut nous séparer de l'amour du Xt (v.35), de Dieu en Christ Jésus Notre Seigneur" (v.39b).

 

Au v.35, l'expression "l'amour du Christ" résume tout ce qui nous est advenu ou nous advient par Jésus Christ.

2 Co 5,14s :"(à propos de sa mort) l'amour du Christ nous presse, à la pensée que, si un sel est mort pour tous, alors tous sont morts".

Ep 3,19 :"l'amour du Christ, qui surpasse toute connaissance"

En dehors du v.37, aimer (agapân) avec le Christ comme sujet, revient seulement :

Ga 2,20 :"le Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi"

Ep 5,2 :"tout comme le Christ vous a aimés et s'est livré pour vous"

C'est, équivalemment, "l'amour de Dieu en JCNS" (v.39).

Dans l'amour montré par le Christ jusqu'à la mort agit l'amour de Dieu :

Rm 5,5 :"l'amour de Dieu (pour nous) a été répandu dans nos cœurs par l'Esprit Saint"

Rm 5,8 :"preuve insigne de l'amour de Dieu à notre égard"

dont il est question en :

2 Co 13,11 :"et le Dieu de l'amour et de la paix sera avec vous"

Ep 2,4 :"à cause du grand amour dont il nous a aimés"

 

Il est clair que :

1.                  Paul parle de l'amour (montré par le) Christ assez rarement, mais d'une manière précise : c'est le don de lui-même sur la Croix en notre faveur.

2.                  Justement dans cet amour est à l'œuvre l'amour de Dieu (qui s'empare de nous) dans l'amour de l'Esprit (Rm 15,30)

De cet amour, aucun destin contraire, qui nous advient en ce monde, ne peut nous séparer (tis…khôrisei ?)

 

La question est posée d'abord avec un "qui ?" (tis), puis ce "qui ?" est développé en 7 situations qui sont celles de Paul lui-même ; mais puisque Paul dit "nous", ce sont des destins typiques du chrétien en général dans ce temps eschatologique.

 

À partir de 2 Cori 11,23ss, nous comprenons pourquoi Paul nomme ici les épreuves qui menacent de nous séparer de l'amour du Christ :"coups/mort/fouet/verges/lapidation/naufrage, etc."

C'est la vie de Jésus qui se manifeste dans notre corps quand nous portons partout et toujours en notre corps les souffrances de Jésus, la nékrôsis toû théou.

Cette vie est :

tribulation (eschatologique), thlipsis

détresse, anxiété, espace étroit, resserré , stenokhôria

persécution, diôgmos

faim, limos

nudité, gumnotès

danger, kindunos

glaive (= exécution capitale), makhaira

 

Verset 36 :"Selon qu'il est écrit : À cause de toi on nous met à mort à longueur de journée ; on nous regarde comme brebis d'abattoir"

 

Citation du Ps 43,23(LXX) que les rabbins appliquaient volontiers à la mort des témoins.

Toutes ces expériences amères ou effrayantes constituent une "mise à mort" incessante (holèn tèn èmeran) comme celle de l'abattoir, mais à cause de toi" (hénéken sou).

 

Comment ces souffrances pour le Christ et à cause du Christ pourraient-elles nous couper de l'amour du Christ (agapè toû khristou) qui enracine nos vies dans le salut et l'enveloppe constamment dans le salut ?

 

Verset 37 :" Mais en tout cela nous triomphons par celui qui nous a aimés"

 

La réponse est donnée, et même avec une déclaration solennelle de victoire.

Son amour nous rend "sur-vainqueurs" aussi et surtout dans les souffrances eschatologiques que nous partageons avec lui.

"en tout cela" (en toutoîs pasin) : rien, pas même la mort, n'est assez puissant pour pouvoir faire échec à notre victoire. "Vaincre" (nikân) est trop peu (vaincre, triompher de). Paul connaît bien les composés en "sur-" (huper)

huperpérisseuein (Rm 5,20; 2 Co 7,4)

huperphronein (Rm 12,3)

huperupsoûn (Ph 2,9)

huperauxanein (2 Th 1,3)

huperpléonazein (1 Tim 1,14)

 

Ici, c'est plus qu'une victoire ; c'est un triomphe de victoire, parce que la mort concrète quotidienne ne nous fait pas échapper à l'amour du Christ, et cela, non par notre force, mais justement par la force de cet amour que le Christ a pour nous et qui jamais ne nous abandonne, par la force de Celui qui aime absolument.

Il nous tient ferme, et ainsi nous sommes vainqueurs de la souffrance et de la détresse.

 

Mais il ne s'agit pas seulement de la souffrance qui vient de la main des hommes. Il s'agit aussi et finalement des puissances surpuissantes qui oppriment et menacent cette vie.

 

Car l'homme n'expérimente pas seulement un destin historique, il est constamment menacé par le ciel et la terre. Là encore, le croyant est vainqueur par la force de l'amour de Dieu en Jésus Christ, et Paul exprime sa forte conviction aux v.38-39.

 

Verset 38 :"Oui, j'en ai l'assurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances,"

 

"j'en ai l'assurance" (pepeismai) affirme dès le début la certitude de Paul, et naturellement celle des chrétiens  en général.

Rm 14,14 :"Je sais et suis persuadé dans le Seigneur Jésus "

Rm 15,14 :"Je suis, pour ma part, mes frères, bien persuadé"

2 Tm 1,15 :"Tu le sais (oidas), tous ceux d'Asie se sont détournés de moi"

Certitude et confiance que le monde (kosmos) non plus, avec ses puissances, n'est capable de nous séparer de l'amour que Dieu a pour nous.

Si puissantes et si variées que soient ces forces (qui nous sont hostiles comme puissances de tentation, de séduction/attirance, de menace), elles ne peuvent rien contre l'amour de Dieu qui nous tient ferme.

L'énumération de ces puissances se fait presque en style hymnique ; cela n'indique toutefois pas que Paul ait repris un hymne préexistant (le ni..ni ne va pas dans ce sens). Paul compte 10 puissances, et il est intéressant de voir lesquelles. En passant, on peut pressentir, comment Paul se représente le monde et la vie humaine.

Il faut considérer non seulement l'homme, mais le monde (kosmos) dans lequel il vit.

 

En première place des puissances "la mort" (thanatos). Pas seulement à cause du :"nous sommes mis à mort" (thanatoumetha) de la citation au v.36, mais parce qu'elle est le dernier ennemi (1 Co 15,26), et donc la puissance la plus puissante.

Elle fait ici couple avec "la vie" (zôè)

Elle également peut être "puissante", une force qui séduit, attire loin de l'amour de Dieu, et menace. À la fois le tout de la vie et chaque moment de vie. La vie paisible et anodine, tout autant que la vie agitée et dangereuse, peut devenir hostile, justement en ce qu'elle sépare de l'amour du Christ pour nous.

C'est toujours la vie liée au corps pécheur, elle est toujours épreuve.

La séparation que cette vie (puissance) peut amener, vient de ce qu'elle se place, avec ses séductions, entre le Seigneur et nous, contrecarrant ce qui est dit des chrétiens en Rm 14,7-9, qu'ils vivent pour le Seigneur, meurent pour le Seigneur, et non plus pour eux-mêmes et pour leur monde.

 

Deuxième paire : "anges" (aggeloi) et "principautés"(arkhai). Les Anges sont aussi principautés.

Col 2,18 :"le culte des anges"

1 Co 4,9 :"nous avons été livrés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes"

1 Co 6,3 :"Ne savez-vous  pas que nous jugerons les anges ?"

1 Co 11,10 :"Voilà pourquoi la femme doit avoir sur la tête un signe de sujétion, à cause des anges".

et les deux sont considérés comme des puissances du monde (kosmos) démonique ; cf. l'énumération en :

1 Co 15,24 :"après avoir détruit toute principauté"

Ep 1,21 :"au-dessus de toute principauté

Col 1,16 :"c'est en lui qu'ont été créées toutes choses aux cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, soit les Trônes, soit les Seigneuries, soit les Principautés"

 

            À ces puissances appartiennent également les dunameis, puissances-du-mal de toutes sortes.

Ces puissances et ces forces sont essentiellement anonymes et sur-personnelles ; mais elles ont un effet concret : justement séparer de l'amour du Christ.

 

            Parmi ces puissances, il y a aussi "les choses présentes" (enestôta) et "les choses à venir" (mellonta), le temps présent et futur comme puissance : le présent comme esprit du temps, l'avenir comme Utopie agissante et séduisante. En ce sens cette "puissance" est une tentation et une menace permanentes, qui voudraient nous détourner de l'amour du Christ et de l'amour de Dieu dans le Christ.

 

            Mais il n'y a pas que le temps : l'espace aussi, dans sa puissance, est un danger, une dimension dans laquelle on peut se perdre, dans l'angoisse ou l'insolence.

 

Verset 39 :"ni hauteur ni profondeur ni quoi que ce soit de créé ne pourra nous séparer de l'amour que Dieu nous témoigne en CJNS"

 

"hauteur" (hupsôma)  : position élevée, point culminant, terme ontologique désignant l'espace intermédiaire entre la position d'un étoile et le zénith.

"profondeur" (bathos) : l'espace sous l'horizon, d'où montent les constellations.

 

Il s'agit donc de la hauteur et de la profondeur du tout cosmique, l'espace des mondes comme lieu surpuissant de l'errance. Face à ces puissances, l'homme, entouré et sollicité par elles, est impuissant. Mais il est une chose qu'elles ne peuvent faire : nous séparer de l'amour que Dieu nous a prouvé et nous prouve en Jésus Christ.

 

Par l'amour de Dieu, l'homme, en toute situation et face à tout être hostile, est gardé inébranlable. Il n'y a, comme dit Paul en terminant, aucune "créature" (ktisis) qui puisse arracher l'homme à l'amour de Dieu, si l'homme lui-même ne se détache de lui.

C'est-à-dire, en résumant le chapitre :"Si l'homme demeure en l'Esprit de Jésus Christ et s'en remet à la conduite de l'Esprit jusque dans ses actes, si l'homme fait confiance au Kurios (Seigneur) jusqu'à la fin.

 

Ce n'est pas un hasard si le chapitre se termine sur cette formule liturgique :

 

"l'amour de Dieu en Jésus Christ notre Kurios.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Retour Paul

 

Page d'accueil